Laurent Favarel, préparateur mental pour sportifs, également spécialiste en sophrologie, revient pour échanger avec nous sur un sujet qui peut concerner les coureurs : le stress.
« Quand le corps est ici, en train de courir, et que l’esprit est ailleurs… ».
Laurent tente de répondre à nos questions sur cette problématique, qui gâche parfois le plaisir des sportifs.
Que peut-il se passer si un sportif est trop stressé juste avant une course ?
Souvent l’espace qui va de la fin de l’échauffement jusqu’au départ de la course est délaissé par les compétiteurs.
Il est considéré comme perdu parce qu’il ne laisse pas suffisamment de temps ou d’espace (ex : appel des concurrents sur la ligne de départ) pour continuer l’échauffement.
Pourtant, un athlète qui est dans une posture d’attente à moins de cinq minutes du départ voit sa température musculaire diminuer. Cet effet le rend plus sensible aux sensations corporelles relevant du stress.
Dit autrement, l’attente dans une posture peu mobile facilite l’apparition de questionnements, de ruminations, en lien avec des sensations corporelles désagréables (gorge serrée, fébrilité musculaire, sensation d’oppression etc…).
Est-ce que tu peux être plus précis sur ce qui se passe dans la tête à ce moment-là ?
Oui, à l’entraînement, quand des préoccupations diverses traversent l’esprit d’un runner, il est en capacité d’aller d’un point « A » à un point « B » de façon machinale, sans véritablement être attentif aux changements dans son environnement, et au temps qui passe.
Le corps est dans l’action de courir, mais l’esprit est dans des souvenirs ou des projets : le corps est ici, l’esprit est ailleurs !
De la même façon dans une posture d’attente, des idées provenant de l’imagination d’un athlète sont susceptibles d’accaparer toute son attention.
La raison est qu’elles transportent une charge émotionnelle considérable.
Ce processus de déconcentration est identique avec des pensées issues de la mémoire : sans y avoir été invités, des souvenirs se propagent spontanément dans la conscience malgré la proximité du départ.
En résumé, un athlète peut faire monter son niveau de tension exagérément parce qu’il est totalement accaparé par son dialogue interne, en prise avec des pensées négatives relevant du passé ou du futur (schéma – visées de l’attention).
Je comprends que les pensées sont susceptibles de détourner notre concentration à cause de nos émotions et de provoquer un stress supplémentaire. Est-ce pareil pendant le déroulement d’une course ?
Pour te répondre, je vais m’appuyer sur le témoignage d’Asafa Powell, ancien recordman du monde du 100m plat (9 s 77, Zurich, août 2006).
En 2007, dans le cadre d’une série de reportages intitulés « Secrets d’athlètes », il a été suivi par une équipe de journalistes de la chaîne télévisée Arte.
Avec la collaboration de scientifiques japonais, l’amplitude de sa foulée a pu être mesurée au plus fort de son accélération. A l’entraînement, elle était de 2m60 à environ quarante mètres de l’arrivée.
Quelques semaines après, en finale du 100 mètres aux championnats du monde d’Osaka, A. Powell est à pleine vitesse quand il prend conscience que Tyson Guay se rapproche dans le couloir de droite.
En une fraction de seconde, son attention bascule sur son dialogue interne et le doute s’empare de son esprit.
Voici ce qu’il explique dans le reportage : « d’abord, j’ai vu ses jambes, je pensais courir vite et quand je l’ai vu se rapprocher, j’ai pensé : qu’est-ce qui se passe ? Et j’ai paniqué.
A ce moment-là, je ne pensais plus à courir correctement mais à me détacher des autres, je ne réfléchissais plus aux bonnes choses à faire. Je voulais juste courir vite et c’était une grave erreur. »
Sur les trente derniers mètres de sa course, sa foulée a été mesurée à 2m40, soit vingt centimètres de moins que ce qui avait été mesuré par l’équipe scientifique auparavant.
Confronté à un possible échec, A. Powell a paniqué, il s’est désuni corporellement.
Il explique qu’il a forcé sa foulée pour ne pas être rejoint et s’est crispé plus que de raison.
Il a sans doute été victime de coactivation musculaire.
C’est quoi la coactivation musculaire ?
Pour comprendre ce mécanisme, je te propose de t’imaginer sur un « trail ».
Disons que tu descends un chemin à grandes enjambées pour perdre le moins de temps possible ou en gagner.
Tu commences à ressentir des changements au niveau de tes appuis, et ces perceptions anormales t’amènent à fixer plus attentivement la surface de course qui se dégrade sous tes pieds.
Ta conscience a perçu le risque de chute.
Cette information est relayée par ton cerveau, ce qui déclenche l’activation simultanée des muscles agonistes et antagonistes, intervenant dans l’augmentation de la résistance articulaire de tes jambes.
Le signal de danger a interféré dans la fonction de la moelle épinière, qui assurait jusque-là l’automaticité des grandes enjambées de ta foulée.
Ce mécanisme t’a permis de freiner pour éviter la chute et la blessure.
Selon toi, des pensées trop négatives pourraient activer ce mécanisme en course !
Oui, l’exemple précédent a mis en évidence que la prise de conscience du danger a automatiquement diminué l’amplitude et la cadence de la foulée.
Si cette fonction est salutaire face à un risque réel, il est possible qu’elle soit activée quand un athlète se laisse aspirer dans des pensées d’une trop grande négativité.
Je trouve le témoignage d’A.Powell particulièrement parlant à ce sujet.
Me concernant, je pars du principe que si les émotions sont mal contenues, l’organisme peut faire une confusion entre un réel danger et le stress produit par son discours intime.
Une confusion entraînant une désautomatisation de la foulée, et par extension, une diminution de sa fréquence et de son amplitude.
De manière plus nuancée, l’imagination ou la mémoire (l’esprit) peuvent être à l’origine de tensions inhibant, en partie, les capacités d’un athlète.
A un autre niveau, les « kinés » et les « ostéos » pourraient nous en dire beaucoup sur la question.
D’autant plus quand ils connaissent bien un athlète, ils peuvent faire ce lien de causalité entre l’état d’esprit d’un compétiteur, et l’état de crispation de certaines zones corporelles.
En résumé, le stress peut mettre à mal des mois de préparation en moins de temps qu’il ne faut pour le dire…
Oui, ce n’est pas systématique mais ça arrive.
Sans généraliser mes propos, soyons particulièrement vigilants quand les contre-performances se répètent à intervalles réguliers, et que ces contre-performances sont fréquemment associées à des blessures.
Ceci dit, l’expérience m’a appris à relativiser mes positions sans pour autant tout remettre en question à la moindre contrariétée.
Si ce que j’ai dit n’est pas à graver dans le marbre, je pense que la problématique soulevée, c’est à dire l’influence de l’intellect sur la performance, mérite d’être considérée plus largement aujourd’hui.
Me concernant, j’ai choisi de travailler en m’appuyant sur ce principe. Pour éviter des erreurs, j’individualise chaque préparation mentale en renonçant aux solutions exclusives.
Le piège serait d’avoir en soute toujours les mêmes propositions, sans tenir compte de la personnalité d’un runner ou de la spécificité de sa discipline.
Le fond de mon intervention doit permettre à un compétiteur dans l’adversité de renforcer son aptitude à penser et agir de façon autonome, tout en contenant les tensions et les doutes inhérents à ses prises de décision.
Références : F.Lestienne et A.Feldman, Sciences et motricité N°45 p16, Editions Deboeck, 2002
Merci à Laurent FAVAREL de partager ses connaissances avec nous.