Samira Mezeghrane est l’une des meilleures demi-fondeuses en France. Peu connue du grand public, la militaire en poste à Paris brille pourtant par sa régularité depuis une dizaine d’années, marquée par 5 sélections internationales et de belles références sur 5000m (15’43) et 10 Km (32’26).
A l’heure de retrouver son meilleur niveau, nous avons rencontré l’athlète.
Jour de grand soleil sur le Champ de Mars. Face aux touristes aimantés par la dame de fer se dresse l’imposante Ecole Militaire de Paris. Le vaste complexe du XVIIIe siècle accueille plusieurs structures d’enseignement militaire.
En longeant ses murs extérieurs, on distingue une grande bâche marquée d’un « fier de nos athlètes » qui met en avant l’engagement de l’armée auprès des sportifs de haut niveau.
C’est ici que Samira Mezeghrane est en poste depuis le début de l’année comme militaire au bureau des sports. La tenue d’athlétisme est toujours là, mais les bâtiments classés ont remplacé les décors habituels des pistes en tartan. « C’est prestigieux ici. Il y a quelques jours, c’était l’effervescence pour la préparation du 14 juillet » montre Samira en parcourant les lieux.
L’athlète est entrée à l’armée en 2007, un an après sa naturalisation, à une époque où les athlètes étrangers avaient plus de facilités pour s’intégrer. Une chance pour la native de Tizi-Ouzou en Algérie : « On pouvait rejoindre le corps d’armée pour s’entrainer dans de bonnes conditions sans la contrainte du quotidien du travail. C’est plus difficile aujourd’hui. Pour la naturalisation aussi. »
Au fil des saisons, l’athlète a su se faire une place durable dans le paysage de l’athlétisme tricolore quel que soit le terrain. Le plaisir sans pression, c’est la ligne de conduite que s’est aujourd’hui fixée la parisienne de 37 ans. As-telle encore quelque chose à prouver ?
« Ici je peux m’entrainer facilement, doubler, courir sur le Champ de Mars, dans les Bois de Boulogne, les parcs … On a tout ce qu’il faut à Paris ! »
L’armée comme opportunité
A Paris depuis 2009, Samira Mezeghrane profite avec l’Ecole Militaire d’un nouvel écrin idéal, elle qui devait auparavant parcourir plus de 500 Km par semaine pour travailler à Rambouillet : « Ca m’a changé la vie ! C’était compliqué avant pour récupérer et gérer la fatigue. Ici je peux m’entrainer facilement, doubler, courir sur le Champ de Mars, dans les Bois de Boulogne, les parcs … On a tout ce qu’il faut à Paris » se réjouit Samira.
A nos pieds, une piste bitumée de 300m usée par le temps jouxte le manège à chevaux : « Il m’arrive même de m’entraîner ici, ça ne me dérange pas. »
Au bout d’un long couloir brut de tout superflu, les portraits d’illustres sportifs passés par l’armée sont fièrement dressés sur les murs.
Dans une salle de sport illuminée par les grandes fenêtres du bâtiment, des militaires s’affairent sur les machines. Plus loin, un plaque mentionne « Service des sports ». Les bureaux sont tout aussi sobres : « c’est classé, on ne peut pas faire de travaux » précise Samira avant d’aller enfiler sa tenue civile.
2 fois par semaine le midi, elle entraîne un groupe de militaires et de civils : « c’est toujours un plaisir car ce sont tous des passionnés de course à pied. Chacun fait sa séance à son rythme ». En croisant ses chefs, Samira est félicitée pour sa médaille d’argent des France de 5000m qu’elle a amenée pour l’occasion. « Mon supérieur est marathonien, c’est sûr que ça aide pour comprendre mes besoins et mes contraintes ! ».
Retour à son meilleur niveau
Après une belle année 2016, 2017 résonne comme une nouvelle dynamique : « J’ai retrouvé mes jambes d’il y a 10 ans ! ».
Depuis le début de l’année, elle est entraînée par Pascal Machat (Responsable national du demi-fond jeune à la FFA) : « Auparavant j’étais souvent seule et je m’organisais selon mes partenaires d’entrainement. Pascal m’a apporté un programme structuré, surtout pour préparer la piste. J’ai refait des séances spécifiques que je n’avais pas fait depuis très longtemps. »
« J’ai retrouvé mes jambes d’il y a 10 ans ! »
Les résultats arrivent après un stage bénéfique à Monte Gordo (Portugal) avec les jeunes de l’équipe de France. Début avril, elle décroche un temps canon au 10 Km de Valenciennes en 32’42, sa 2e meilleure performance après Roanne en 2004 (32’26) : « Un vrai bonheur ! Mon entraineur et mon mari étaient là, c’est toujours de belles émotions » se souvient Samira.
La saison de piste sur 5000m a confirmé ce retour. Si la licenciée du Stade de Vanves visait initialement un ambitieux mais réaliste 15’30, elle a néanmoins battu son record au Meeting de Carquefou en 15’43’’07 sur une course impériale.
Elle efface sa précédente marque datant de 2006 (15’46’’87 à Marseille). Aux France de piste début juillet, elle s’offre logiquement une médaille d’argent derrière une Liv Westphal intouchable avec qui elle a sympathisé en équipe de France.
De précieux alliés
La course à pied, c’est aussi une histoire de couple. Son mari Achour est tout aussi mordu : « Il a toujours un œil sur moi, c’est lui qui me connait le mieux. Comme Pascal Machat m’entraîne à distance, Achour sait quand je suis fatigué, quand les allures ne sont pas bonnes … A la maison, on ne parle pas que course à pied mais elle prend une place importante de notre vie, on ne va pas dire le contraire. C’est une chance d’être avec quelqu’un qui connait et comprends mon sport. »
« La passion, elle, n’a pas changé et est toujours intacte ! »
Si la naissance de sa fille en 2014 a bousculé l’organisation du quotidien, il n’en a pas pour autant altéré son envie de courir : « La passion, elle, n’a pas changé et est toujours intacte ! Bien sûr, après un échec ou une mauvaise séance, on est vite rattrapé par les couches et les pleurs … ça permet de relativiser ! » s’amuse la jeune maman.
Licenciée au Stade de Vanves depuis 2012 après 4 ans à la SCO Sainte Marguerite et un passage à l’EFS Reims, Samira avait fait le choix de se libérer des contraintes : « J’en avais besoin à l’époque pour revenir tranquillement. C’est un club qui n’exige rien de moi et qui n’exerce pas de pression sur le haut niveau. »
Samira a aussi trouvé un précieux groupe d’entraînement avec la Team Lenglen : de solides routards qui se retrouvent chaque mercredi soir et samedi matin sur la piste Suzanne Lenglen d’Issy les Moulineaux aux portes de Paris. « C’est une motivation supplémentaire de les avoir à mes côtés. Je fais mes séances sur piste avec eux et il se rattachent souvent à mes entraînements, jouent le rôle de lièvres, le tout dans une bonne ambiance… Un vrai plus pour préparer la piste ».
Encore de belles années
La suite ? Samira l’évoque sans complexes : « Je suis consciente que ça ne durera pas éternellement, le poids de l’âge est là et va peser à un moment donné. Je ne me prends pas la tête et je vais continuer à me faire plaisir ».
Au programme, le semi-marathon de Lille début septembre après un mois à Font-Romeu : « Nous y allons chaque été et j’aime beaucoup cet endroit. Au regard de mon début de saison, ce sera idéal de s’y préparer car il y a quelque chose à faire sur la route ! ».
« Je suis consciente que ça ne durera pas éternellement, le poids de l’âge est là et va peser à un moment donné. »
Ensuite, il sera temps de retrouver les labours auxquels elle est fidèle chaque année. Une saison hivernale qui pourrait bien l’amener de nouveau vers les championnats d’Europe en Slovaquie (4 sélections entre 2006 et 2016). « Il y aura encore belle équipe avec Liv (Westphal), Sophie (Duarte), le retour de Clémence (Calvin) … ». Porter le maillot tricolore, c’est « la récompense de mon travail » aime à rappeler Samira, tout en retenue.
D’autres perspectives s’ouvrent aussi à l’expérience de la demi-fondeuse : le partage avec les jeunes espoirs comme au stage de Monte Gordo : « ça donne autre sens à notre sport. A mon âge, ça les motive de se dire qu’ils peuvent me battre ! » sourit Samira.
En juin, elle a été lièvre sur le 3000m du meeting de Fontainebleau pour emmener la jeune Mathilde Sénéchal vers les minimas juniors (elle réalise 9’25 »76). Le 12 juillet dernier, la talentueuse blésoise devenait vice-championne d’Europe sur la distance. A chacun sa mission.
A 37 ans, Samira Mezeghrane reste l’un des meilleures françaises sur route, piste et cross dans des disciplines où la relève peine encore à émerger. Assurément, l’avenir lui promet encore de belles émotions sportives.
PALMARES
Championne de France 10 km route (2007 et 2010)
Championne de France 5000m (2010)
Médaille de bronze par équipe aux Championnats d’Europe de Cross (2006)
RECORDS
5000m : 15’43’’07 (2017)
10 Km route : 32’26 (2004)
Semi-marathon : 1h14’38 (2016)
SELECTIONS
4 sélections en Championnat d’Europe de Cross
1 Sélection aux Mondiaux de Semi-Marathon (2017).
Texte et photos : Rémi Blomme