« L’avènement des migrants » titrait Cyril Pocréaux dans Athlétisme Magazine de février-mars 2016.
Il est vrai que lors des derniers championnats d’Europe de Cross à Hyères, l’émergence d’athlètes africains naturalisés a remis sur la table le débat des naturalisations : sont-elles excessives ? Sont-elles justes pour les athlètes européens ?
Du point de vue du public, on constate vite une forme de dépit. Le danger est que la réussite de ces athlètes puisse atténuer dans le futur l’intérêt de suivre ou d’assister à ces courses. Car les cas sont nombreux.
Le champion d’Europe de cross, Ali Kaya (ex Stanley Kiprotich, né à Eldoret au Kenya) est arrivé en Turquie en 2010 pour y être naturalisé en 2013. Il devient double champion d’Europe junior 5000 / 10 000m. En tant qu’espoir, il est vice champion d’Europe de cross 2014 puis rafle tous les titres jusqu’aux championnats d’Europe de cross à Hyères. Ses victoires sont nettes. Soulignent-elles la dominance des coureurs africains sur l’Europe ou au contraire la relative faiblesse des athlètes européens ? La question fait débat.
Pourtant, la France n’a pas été la dernière à avoir naturalisé des athlètes qui ont d’abord porté les couleurs d’autres pays. Mais bien souvent, la nation d’origine possède des liens particuliers avec la France. Ainsi, Driss El Himer, Hassan Maazouzi, El Hassan Lahssini ou Ismaïl Sghyr ont porté les couleurs du Maroc avant de rapporter médailles, titres et records nationaux en cross et sur piste.
En fait, tout dépend du but premier de la naturalisation. Philippe Dupont, manager général du demi-fond à la FFA, donne son avis : « dans un monde qui bouge, on doit accepter qu’il y ait des flux migratoires. Je ne suis pas personnellement pour un monde cloisonné où la géographie appartiendrait à certains hommes, et pas à d’autres. Quand un athlète change de nationalité suite à une migration justifiée, il n’y a rien à dire. Quand on fait face à une politique de naturalisation à tout-va pour recruter des équipes, cela me gène un peu plus. […] comment savoir si un kenyan est venu en Turquie pour y chercher de meilleures conditions de vie, ou parce qu’il y a été recruté comme sportif ? Je ne me permettrais pas de juger. »
Les exemples ne manquent pas : Sifan Hassan (championne d’Europe de cross, championne du monde en salle du 1500m) naturalisée hollandaise en 2013, Ayad Lamdassen (naturalisé espagnol en 2007) Ilias Fifa (ex-marocain naturalisé espagnol), tout comme Adel Mechaal. Le cas de Alemayehu Bezabeh (éthiopien naturalisé espagnol en 2008), 2nd des Europe de cross à Hyères, déjà champion d’Europe en 2009 et 2013 et hauteur d’un 12’57″25 sur 5000m, fait plus débat. Suspendu 2 ans pour dopage en 2010, il revient à la compétition et gagne le titre en 2013. Il y avait également en Turquie les cas de Meryem Erdogan (2012) ou d’Elvan Abeylegesse, prise récemment dans la liste des athlètes turques convaincus de dopage.
L’avis des athlètes français dans cet article d’Athlétisme Magazine, est intéressant. Clémence Calvin, 7è de ces championnats, confirme que les naturalisations sont gênantes quand elles sont uniquement dans un but sportif, comme peut le faire le Qatar, ou comme en 2011 aux championnats d’Europe espoir ou l’Azerbaïdjan avait naturalisé plus de 30 athlètes et ainsi tué la compétition. Clémence Calvin admet, comme Florian Carvalho (6è à 15s du podium, avec uniquement des athlètes naturalisés devant lui) admet que cela peut hausser le niveau européen et réduire ainsi la marche avant le niveau mondial. Mais ce dernier refuse de s’exprimer avec des « si »… Il accepte bien volontiers la compétition. Tant que l’éthique est respectée…
On espère seulement qu’au vu de cette tendance, des athlètes plus jeunes ne se découragent pas à tendre vers le haut niveau. Nous vous rappelons l’article que nous avons fait paraître récemment sur le record d’Europe du marathon (https://www.u-run.fr/60653-le-record-deurope-du-marathon-a-t-il-ete-battu), qui attendait d’être validé ou pas en fonction de la date de naturalisation des athlètes africains concernés.
Mathieu BERTOS
Photos : european athletics / getty images
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