Le semi-marathon de Bourg en Bresse constituait à la fois un test dans mon approche du marathon de Paris 2016, mais aussi un objectif à part entière. L’entrainement en course à pied a beau être généreux et structuré, il ne garantit pas toujours la réussite le jour J.
Ma préparation pour Paris dure depuis 12 semaines, et tout miser sur un seul objectif est à la fois frustrant et risqué. En cas de maladie, de blessure ou si l’on est dans un « jour sans » le jour du marathon, ce sont des espoirs et des heures d’efforts qui « tombent à l’eau ». Pas toujours facile à vivre.
Mon entrainement, depuis les vacances de décembre, est proche de la limite de ce que je peux absorber. D’abord, parce que j’ai un morphotype ingrat (loin des stéréotypes des bons coureurs), des aptitudes ordinaires, mais aussi un métier et une famille. Je ne suis pas un professionnel. Mon entrainement en course à pied représente, à titre indicatif, un volume de 440 km en janvier (32h33’ et 28 sorties) et 401 km en février (29h37’ et 25 sorties). Dans cet entrainement, figurent toutes les séances utiles aux coureurs sur route : VMA, travail de l’allure 10 km, de l’allure semi, de l’allure marathon, de l’endurance critique, de l’endurance, des côtes, de la PPG, des sorties longues (30 à 34 km), des sorties en endurance à jeun…
Mon indice de forme est satisfaisant sur les séances de type VMA, et est franchement bon (pour moi) sur les sorties aux allures semi/marathon (16/17 km/h). Mes « compétitions de rodage » sont positives au niveau du rapport chrono / sensations. Au niveau du déroulement de ces dernières, je n’ai pas eu beaucoup de chance dans la configuration de course. A la Foulée des Mont d’Or, 22 km seul sur 23.8 km de course ; au 10 km de Feillens, près de 8 km seul, avec un vent de 60 à 80 km/h (ça déplie les alvéoles pulmonaires !) ; sur la course nature de Montrevel 7.5 km seul sur 8.6 km. Je redoute d’avoir le même schéma de course à Bourg. Cela me préoccupe tellement, que j’ai dû consulter au moins 10 fois la liste des engagés lors de la dernière semaine avant la course.
Cela me préoccupe, car être seul est légèrement « pénalisant » pour faire un bon chrono en course à pied. Derrière le passage d’un athlète, ou mieux, d’un groupe de gars, les molécules de l’air sont « désorganisées », il y a des « turbulences » et il est plus facile de pénétrer cette masse d’air. (Ceci est communément appelé « l’aspiration » en cyclisme, même si d’autres effets s’ajoutent, sur une bicyclette). Cela joue sur une économie d’énergie de quelques pourcents, sur 2 ou 3 pulsations/min, sur quelques watts. C’est dérisoire, mais bien réel. Cet effet s’amplifie avec la vitesse (un coureur évoluant à 17 km/h aura plus à gagner qu’un coureur évoluant à 14 km/h) et en cas de vent contraire. Pour des gars comme moi, ça compte.
Sur la semaine d’approche, je veille à bien récupérer des efforts des semaines précédentes. Je soigne l’hydratation, l’alimentation, et le sommeil. J’essaye également d’éviter, au boulot, de rester trop longtemps auprès des élèves un peu pâles et maladifs : ce n’est pas le moment de tout gâcher ! La nuit d’approche est ratée : malgré une heure de coucher raisonnable, mon sommeil est aussi agité qu’avant un marathon. Je suis tendu. Je cogite.
Le jour J, je retrouve beaucoup d’amis et de connaissances. Les discussions sont plaisantes et le stress s’estompe, un peu. Au niveau des sensations à l’échauffement : elles sont plutôt bonnes. C’est la première compétition de l’année où je n’ai pas les jambes « chargées » par l’entrainement. (Les « compétitions de rodage » s’exécutent dans le cadre de semaines d’entrainement « normales », c’est du travail sur la fatigue, c’est une manière de progresser et/ou d’arriver en forme). Apres un échauffement soigné avec mes amis Séb Charnay et Lionel Ribeiro, je vérifie une dernière fois le laçage des Asics gel DS Racer, et me positionne sur la ligne de départ, concentré. J’espère un chrono vers les 1h13’30 et un chrono en plus de 1h15’ serait une belle déception. Un dernier encouragement aux amis : Pan ! En avant.
Le peloton est énorme, le départ du 10 km est donné en même temps que celui du semi-marathon (environ 2300 coureurs au total), et s’étire immédiatement sous le rythme des plus forts. Julien WANDERS en tête, un jeune Franco-Suisse de niveau Elite, possédant un record personnel à 28’49 au 10 km. J’essaye de ne pas m’emballer et de trouver mon rythme (environ 17 km/h). Parallèlement, des espaces se forment, beaucoup plus vite que je ne l’avais imaginé, entre les groupes. Derrière moi, dès le kilomètre 1 (3’22), c’est clairsemé… Erf… Je suis un poil trop vite, mais si je temporise, je vais peut-être me retrouver assez vite seul… Encore une fois… Km 2, en légère descente : 6’42.
Sur les 5 premiers kilomètres, nous avons un vent défavorable de 10 à 15 km/h. Je ne sais vraiment pas quoi faire : je suis au cul d’un groupe régulier, mais qui va un peu trop vite pour moi et je prends le risque de foirer ma course dès le premier quart d’heure. En même temps, si je me relève, je suis seul dans le vent… Et pour combien de temps ?… Pour couronner le tout, Damien Vullin, un athlète plus fort que moi (record à 1h12’17 au semi-marathon), à ce moment-là de la course, seul, 20 m derrière, auteur d’un départ plus prudent et qui va sans tarder recoller sur le groupe qui me précède, gueule de l’arrière : Trop vite Séb !! Il me connait parfaitement, connait mes capacités et a parfaitement raison. Mais je n’ai pas trop le choix.
Le groupe qui me précède est emmené par Nasser Allali, un ami, qui emmène son frère (Mohamed) sur les bases de son record au 10 km, soit 34’/34’15. Lionel Ribeiro (RP 1h12’29) est également dans ce groupe. Ainsi qu’Anthony Ballandras (qui vise 34’ sur 10 km). Idéalement, il me faudrait passer en 34’40/34’50 au 10ème. Peu après le km 3 (10’06) je commence à décélérer doucement pour ne pas me mettre trop haut au niveau du compte tour et définitivement foirer mon semi. (Si ce n’est pas déjà fait). Ça m’embarrasse vraiment, car je me sens en cannes, mais 3’22/3’23 par kilomètre, ce n’est pas mon niveau, c’est trop risqué. Par chance, Maxime Lucand, qui participe au 10 km, faiblit légèrement et se fait sortir par l’arrière du groupe. Cool (pour moi) je peux continuer à m’abriter un peu du vent, tout en relâchant un peu mon rythme. Le groupe devant moi prend le large doucement. Damien a lui recollé depuis quelques hectomètres sur ce groupe et est à sa place.
Maxime Lucand continue de faiblir doucement, et je m’apprête à le relayer quand subitement, le groupe Allali/Ribeiro/Vullin se désorganise et explose : Mohamed Allali n’est pas en cannes et a fait signe à son frère de continuer sans s’occuper de lui. Lionel Ribeiro et Damien Vullin continuent sur leurs allures et partent devant. Nasser, regarde un peu autour de lui, m’aperçoit juste derrière, me laisse revenir sur lui et me dit : Mohamed pas bien. Tu évolues sur quelle allure Séb ? (il est beaucoup plus fort que moi, et peut parler sans trop de problème). Je réponds, sur quelques cycles ventilatoires : « Suis parti vite. Vais temporiser et me caler en 3’28/3’30 au km ». Il me dit : « Accroche ! Je t’emmène jusqu’au 13ème en 3’25/3’30/km ». Le rêve ! Je me cale derrière et me concentre. Maxime Lucand emboite le pas et s’accroche fort.
Je reste ventousé dans le couloir d’air de Nasser. Sa foulée est magnifique : un juste équilibre de puissance et de légèreté. Faut dire le garçon est d’un niveau National 4 sur 10 km ! Et va probablement chatouiller les 9’ au 3000 m steeple cette année. Les kilos passent bien 17’06 au km 5. Je suis dans l’effort, mais désormais au bon régime moteur, pour tenir un semi. Jusqu’au km 10 (34’39 : IMPEC), il m’emmène sur un rythme régulier de 3’28 à 3’31 au kilomètre. Je suis béni ! Nous entamons la 2ème boucle. Le vent du Nord a forcit. 100 m devant, Lionel et Damien doivent se relayer contre le vent, alors que moi, j’ai juste à rester concentré et appliqué derrière Nasser. D’ailleurs, l’écart entre eux et moi est quasi stable. Nasser, grand prince, continue son travail de lièvre. C’est un métronome. Comme convenu, au km 13, il s’écarte et me laisse poursuivre. Je le remercie de la voix et d’un geste. Il a été EXTRA. Je suis désormais seul, mais j’ai un point de mire avec un athlète qui était à l’avant et qui coince.
Dans le vent, mon rythme baisse un peu. D’environ 3’’/km. Ça commence à faire mal. Je rebouche néanmoins le trou progressivement sur le gars qui me précède. Damien et Lionel ont pris du champ. Je recolle sur le gars au km 15 (Arnaud Durand il me semble), tout en entendant un retour de l’arrière. Peu après le km 15, un gars remonte en effet sur nous. En 2 secondes, je remarque immédiatement qu’il est plus solide au niveau des appuis et qu’au niveau ventilatoire, il (Nicolas ANDRE) est mieux que moi. D’ailleurs sans rien demander, il passe devant et relance l’allure. Les muscles commencent à bruler. J’étais jusqu’alors sur un effort très soutenu, mais maitrisé, et cette relance me fait perdre cette sensation de maîtrise. En gros, j’enclenche le mode « lutte », option « si tu veux ton chrono, sors-toi les doigts ! ».
Je consomme mon seul gel énergétique au km 16, mais je suis tellement limite que je ne peux pas le finir, j’ai failli me mettre dans le rouge en le consommant ! J’ai perdu 2 mètres sur Nicolas. Il me faut 80 m pour me replacer dans son flux d’air. Les kilos me paraissent bien longs. Mais je sais que le résultat sera bon. Je reste concentré et j’essaie de durer, de durer… Je repense aussi au travail de Nasser, ça me motive. Il a donné de sa personne, je me dois de ne pas baisser les bras et de continuer à souffrir. Derrière Nicolas, j’enchaine les km en 3’25/3’27/3’25/3’25 (1h02’30 au km 18). L’écart sur Lionel et Damien n’est pas énorme 100/120 m. ça me stimule aussi.
Au km 19, malgré les encouragements en centre-ville et malgré toute ma volonté, je ne peux plus tenir derrière Nicolas. Je n’ai pas pu lui passer le moindre relai. Je cède. Je m’auto termine sur la fin de course. Km 20 en 1h09’24. Devant Damien coince subitement, je reviens sur lui, doucement. Il essuie peut être une hypoglycémie. Lionel termine bien et maintient l’écart. Dernier virage, je jette mes dernières forces. Quelqu’un est devant le chrono de l’organisation et masque complétement l’affichage, ça ne change de toute façon rien, je ne peux pas aller plus vite. Je viens crever sur la ligne. Je stoppe la montre : 1h13’03. Record abaissé de 6’’ : YEAHHHH !! RA VI !
Beaucoup d’autres athlètes ont réalisé de bons chronos. Il y a eu un nombre considérable de records. Je termine 11ème/982 classés. Séb Charnay termine lui 2ème en 1h08’44 en ayant pas eu ma chance : course solo 21 km. Pas cool. Lionel Ribeiro termine à 5’’ de son record en 1h12’34. Je renouvelle mes chaleureux remerciements à Nasser Allali et Nicolas Andre qui m’ont énormément apporté. Les résultats complets sont sur le site aincourir.free.fr. Au final, je n’ai couru que 2 km exposé au vent et le « jour sans » de Mohamed Allali contribue énormément à mon record. Puisque sans cela, Nasser n’aurait pas été mon lièvre de luxe .
Prochain dossard, il y aura le double de kilomètres. Quoi qu’il se passe, j’ai déjà un record d’acquis en 2016. A 36 ans, je ne vais pas cracher dessus !
Sébastien LARUE – Team i-Run.fr
>> Les résultats du semi-marathon de Bourg en Bresse 2016 : SEMI MARATHON Bourg en Bresse 2016