Les années se suivent, mais ne se ressemblent pas toujours …
J’avais gardé un souvenir incroyable de cette CCC, après cette première participation à l’évènement en tant que coureuse l’an dernier. 101km de plaisir (quelques kilomètres de souffrance aussi, mais c’est évidemment quelque chose que l’on s’attend à rencontrer sur ces longues courses), et la forte motivation à remettre ça en 2015, pour revivre ces moments magiques de sport.
C’est donc sans hésitation, et avec beaucoup d’envie, que je coche cette date du 28 août dans mon calendrier. Malheureusement, je connais un début de saison perturbé. Mes 3 premières courses (Gruissan Phoebus Trail , l’Eco-Trail de Paris , Trail des Cabornis) se terminent sans embûche avec la satisfaction de revenir avec trois places de 2, mais je subis la suivante, et reviens avec, en plus d’une nouvelle place de 2, des chevilles en vrac ! Et je cours les championnats du monde à la MaxiRace avec un tendon fissuré … Suivent donc plusieurs semaines de repos forcé avec l’espoir de retrouver un tendon régénéré, sans avoir à passer par la case peignage. Bonne nouvelle, à la reprise début juillet, et après examens médicaux de contrôle, tout semble ok ! Je me refais donc à l’idée de pouvoir être au départ de cette CCC 2015 ….!
Malgré une préparation bien raccourcie, la motivation est plus forte que tout. C’est décidé, je retente l’aventure Mont-Blanc cette année. Bien sûr, les ambitions doivent être adaptées de la forme du moment. J’aimerais donc avant tout terminer en prenant du plaisir, autant que j’en ai pris en 2014. Le top 4 comme l’an dernier me paraît inaccessible, mais je me dis qu’avec des conditions climatiques meilleures (on avait chopé le déluge à partir de bovine l’an dernier), je peux tenter au moins d’égaler ou d’améliorer mon chrono de 15h45. J’ai maintenant l’avantage de connaître le parcours et avoir l’expérience d’une première fois. Ça sera donc mon petit défi personnel. Se fixer des objectifs, c’est aussi un moyen de se motiver non ?
Pas de bol, les 3 semaines qui précèdent la course, je dois composer avec une grosse ampoule qui rend compliquer les entraînements, et un virus qui m’a bien mise à plat. Je me rassure en me disant que j’ai le temps de me faire la cerise avant le jour J. C’est en Suède que je passe la dernière semaine avant la course, pour supporter Manu qui a choisi de s’aligner sur l’Ultra-Vasan cette année. Des moments sympas passés avec la famille Asics, mon homme et les enfants. Mais un voyage fatigant, à cause, notamment, d’un avion raté le lundi matin … Bref, la semaine de la course, nous faisons deux réveils matinaux à 4h, et nous rentrons de Suède mardi après midi, crevés ! À peine le temps de défaire la valise qu’il faut la refaire le lendemain. Préparation de l’assistance avec Manu, du matériel obligatoire (la liste est longue, il ne faut rien oublier !), et hop, retour sur la route jeudi matin pour être sur le salon de l’UTMB dans l’après midi et au retrait des dossards dans la foulée. Je suis excitée à l’idée de faire vivre l’évènement à Manu de l’extérieur. Habituellement, il vient pour courir aussi. Mais il fallait qu’il puisse aussi se rendre compte que l’on vibre tout autant, voir davantage, lorsque l’on vient pour supporter. C’est juste une autre manière de vivre l’aventure. Tous les assistants de coureurs me comprendront sûrement…
Un coucou aux collègues qui travaillent sur le salon au chalet i-Run, quelques séances de papotages ici ou là, mais pas le temps de s’attarder, Scott Jurek et l’équipe Alabama Production nous attendent pour tourner la prochaine rubrique de E-MOTION TRAIL (que vous pourrez découvrir d’ici peu ! ;-)). Une rencontre sympa, des moments encore très agréables ensuite au dîner avec les copains du team, mais un coucher à 23h et mes affaires pour la course ne sont pas encore tout à fait prêtes … Je commence à me dire que je prends la course un peu trop à la légère et que finalement, je n’y suis pas vraiment dedans ! Réveil trompette 6h, je n’ai pas fermé l’œil de la nuit, espérons que le café qui arrive me réveille un peu ! On quitte l’appartement de Saint Gervais vers 6h45, j’ai le cerveau qui bouillonne tellement j’ai peur d’oublier quelque chose. Une pause à Chamonix pour récupérer les gars du team (Thomas Saint Girons qui sera au départ aussi, Laurent Ardito qui fera l’assistance de Xavier Thevenard sur l’UTMB ce soir, et Laurent Brière, le photographe).
8h20, en place à Courmayeur ! Il fait déjà doux, pas de doute sur la tenue à adopter : le moins chaud possible ! J’enfile le Camelbak sur le dos, l’enfer ce poids ! Je ne l’ai pas peser, mais j’ai vraiment l’impression de porter ma maison sur le dos. Mais notre assistance ne peut intervenir qu’à partir de Champex (à mi parcours), ça veut dire que je vais avoir au moins 7/8h à faire seule. J’emporte donc quelques barres, mais je prévois aussi de faire avec les ravitaillements de l’organisation. Et bien sûr, dans l’euphorie du départ, j’oublie d’emmener mes sachets de poudre Isostar avec moi … (mais ça, je ne m’en rendrais compte que plus tard malheureusement). J’ai protégé mes pieds et mon ampoule encore fraîche par une crème spécialement concoctée par Cathy. Espérons que je puisse terminer sans empirer les choses, espérons ! Les quelques foulées effectuées avant le départ me confortent sur la forme du jour, j’ai hâte !!
8h50, nous sommes dans le sas de départ. Quelle ambiance ! Tout ce monde, cette euphorie, ces coureurs impatients … Nous sommes juste chanceux d’être là et le simple fait de s’en rendre compte devrait nous donner le sourire et l’énergie d’aller au bout ! À mes côtés, la grande favorite, Magdalena Boulet, récente vainqueur de la Western States. J’en profite pour la féliciter, et lui souhaiter une belle course. La célèbre musique de départ annonce alors le début d’une longue et belle balade … Nous voilà enfin partis. Le début de course est rapide, comme d’habitude, mais l’allure du peloton ralentit inévitablement : l’ascension démarre dès le premier kilomètre ! Et elle devrait durer pas loin de 2h me concernant. J’avais noté un passage en 1h56 au sommet de le tête de la Tronche, je table donc sur un moins de 2h pour être dans mon timing perso. C’est parti donc pour 10km et plus de 1300m de dénivelé positif.
Magdalena s’est littéralement envolée ! Je suis dans la roue de Manikala Rai, ma copine népalaise qui était arrivée juste devant moi aux mondiaux et juste derrière au championnat de France l’an dernier. J’essaye de la garder en ligne de mire, mais je finis par la perdre de vue lorsque les sentiers escarpés nous obligent à rester concentrés sur nos pieds. Je retrouve Olivier, que j’ai rencontré sur le Trail Edf Cenis Tour, on fait un bout de la montée ensemble. Je ne me sens pas au mieux et j’ai connu meilleures sensations, mais je sais que les débuts de course ne sont jamais mon fort. J’avance donc à mon rythme sans m’inquiéter. On a bien le temps de se faire du soucis ! Ça ira mieux en haut du Grand Col Ferret normalement. Au fur et à mesure que nous prenons de l’altitude, je me sens de plus en plus mal. Je redoutais de subir les effets néfastes de l’altitude (nous n’avons pas fait assez de montagne cette année, c’est certain !), je crois que je suis en plein dedans … tête qui tourne, maux de ventre, envie de vomir, manque d’énergie … allez allez, il faut serrer les dents jusqu’en haut. Je ralentis donc un peu l’allure dans la seconde partie de l’ascension, vraiment pentue !
Après avoir croisé toutes sortes d’animaux, nous traversons des paysages fantastiques ! Voilà pourquoi je tenais tant à venir sur cette course … ! C’est magique d’être ici. Je prends le temps de me retourner et d’admirer. Pas un seul nuage pour gâcher cette magnifique vue, le bol ! J’arrive finalement à ce premier sommet, la Tête de la Tronche, comme prévu, en 1h57. J’ai moins d’une minute sur mon timing, parfait. À la bascule, on m’annonce 8ème féminine. Je me sens beaucoup mieux dans la descente qui va vers le premier point de ravitaillement, refuge Bertone. Du coup, j’allonge la foulée et me fais plaisir. Je double 2 féminines, je retrouve des sensations. Un seul bémol, et pas des moindres, je commence déjà à avoir les pieds qui chauffent. Mais je m’efforce de ne pas focaliser sur ça. Un coucou et un sourire à Franck Oddoux qui photographie les coureurs sur son passage et je commence à anticiper mon passage à Bertone et réalise que j’ai oublié ma poudre Isostar pour sucrer ma boisson … Je suis furieuse contre moi même ! Comment ai-je pu oublier ça ? C’était mon carburant pour m’emmener jusqu’à Champex … !
Il va falloir faire sans. Soit, je prends la boisson proposée par l’organisation, soit je fais à l’eau en mangeant plus que d’habitude. Mais du coup, je n’ai pas pris de gels et je n’ai pas pris beaucoup de barres pour ne pas me charger. Je pointe à Bertone en 2h24, exactement sur mon timing de l’an dernier à la minute près ! Good ! Je remplis mes flasques d’eau, je me force à manger une barre. Elle ne passe pas. Mais alors, pas du tout ! J’ai la nausée, mais je reprends la route, barbouillée. Direction Bonatti. J’adore cette portion. Cassante, constamment en faux plat, en alternance de montées/descentes. Mais alors, qu’est ce qu’il fait chaud ! Normal, on approche midi. J’ai les pieds qui chauffent de plus en plus, et je n’arrive plus à évoluer sans y penser. Chaque caillou qui glisse sous la chaussure me donne l’impression d’aggraver encore plus mon cas en soulevant la peau. La douleur va peut être stagner puis s’atténuer, qui sait ? On verra ! En moins d’une heure, me voici au refuge Bonatti. 3h20 de course, toujours pile poil dans mes temps de passage souhaités. J’ai dû me refaire doubler et passer 9 ou 10è par contre. La route est encore longue !
Cette fois, il me faut de la boisson sucrée, je prends celle proposée sur les tables. Je prends également le temps de m’arroser la nuque, le visage, les jambes, les bras … tout le corps en fait ! En route vers Arnuva. Même type de parcours que précédemment : ça use, ça use les souliers ! Il n’y a que 5 ou 6 kilomètres, mais qui suffisent à confirmer mes craintes : une nouvelle ampoule est en train de se former sous le talon du pied droit, et une autre sur la voûte plantaire du gauche. À cause de la douleur et pour tenter d’épargner mon pied, je sens bien que je change ma foulée, qui devient plus rasante. Résultat, je prends une gamelle en tentant de doubler dans un single ! Rien de trop grave même si le genou a bien cogné : j’ai tous mes doigts dans le bon sens ! 😉
La descente qui mène au 3ème ravitaillement, Arnuva, est vraiment douloureuse pour mon pied. Je suis obligée de mettre les freins et de faire attention à chaque foulée. Je sens que la peau se déchire et je décide donc d’aller voir les équipes médicales avant qu’il ne soit trop tard. Sauf que tous sont occupés (je ne suis pas la seule à avoir déjà les pieds abîmés on dirait !), et qu’au bout de 15 minutes d’attente, je perds patience et décide de repartir. On refera un point à La Fouly. Le bénévole derrière sa table de ravitaillement, très gentil, me prévient : « attention, vous avez le Grand Col Ferret à monter, puis à descendre ! Ça risque d’être compliqué vu l’état de votre pied ! » Je sais bien … je m’en doute. Je repars donc, un peu dégoûtée d’avoir perdu tout ce temps pour rien (2 ou 3 féminines me sont passées devant avec tout ça). Et Mérédith, l’américaine avec qui je suis arrivée à Arnuva et avec qui je faisais route depuis un moment, est repartie depuis déjà bien longtemps. Bref, à ce moment là, je sens bien que je décroche complètement. Je ne suis plus du tout dans la course.
Avec tout ça, j’oublie de faire le plein au ravitaillement et je repars avec un bon coup de moins bien. Pas d’énergie, la peau des pieds qui se déchire : rien ne va plus ! Allez, c’est le moment de sortir le MP3. Contrariée, je tente de rentrer dans ma bulle avec la musique et entre dans une balade rando-course avec comme prochain objectif : le sommet du Grand Col Ferret. Les montées deviennent aussi douloureuses que les descentes pour mon talon. Je chante, Raphaël me remonte le moral avec son dernier titre que je viens juste de télécharger : « et les yeux grands ouverts ! quand je m’allonge parterre ! rattrape moi, rattrape moi par la main ! » Je réalise que je ne suis pas toute seule. Il doit me prendre pour une folle le gars ! Juste avant d’arriver au sommet, je retrouve David, mandaté par Flash sport pour faire des photos. Je m’arrête rapidement pour échanger quelques mots avec lui. Puis c’est Benjamin (qui a fait le stage i-Run à la Plagne avec nous), qui me double. Je le motive comme je peux : « allez, t’es sur de bonnes bases pour finir en moins de 16h là, courage ! » Et je lui confie que j’envisage d’arrêter à La Fouly ou Champex pour éviter de me détruire davantage …
Grand Col Ferret pointé en 5h19, contre 5h02 l’an dernier. Forcément, avec les 15 minutes que j’ai perdu à attendre qu’on me soigne à Arnuva … C’est maintenant que je devrais le plus m’éclater, sur cette portion qui mène à Champex. J’avais pris un plaisir monstrueux l’année dernière, je m’en souviens ! Mais cette année, je vis un enfer avec ces ampoules, qui m’obligent à ralentir et serrer les dents dans cette descente. Du coup, je mets les freins et profite un peu plus de l’ambiance et du paysage, en essayant d’oublier mes pieds. Maintenant, le doute s’installe : je ne suis vraiment pas certaine d’aller au bout de ce chantier de 101km et plus de 15h, alors même que je n’arrive plus à courir correctement au bout de 5h … Forcément, le chemin qui me mène à ce 40ème kilomètre à La Fouly, prochain ravitaillement, me fait cogiter : est ce que je peux quand même essayer de continuer dans ces conditions ? Comment vont évoluer mes pieds au fil des kilomètres ? Est ce que je ne risque pas de me blesser en compensant ailleurs ? Si je termine en mettant les freins, je sais que je serais déçue du résultat … Et puis là franchement, je ne prends aucun plaisir. Et c’est quand même bien cela qui nous anime non ?
Tant de questionnements que se pose peut être aussi mon coéquipier du moment, Olivier, qui souffre de crampes. Le pauvre, il serre les dents aussi. Du coup, on se soutient mutuellement pour avancer tant bien que mal jusqu’à La Fouly. Mais il doit se résoudre à marcher, s’arrêter … Je lui souhaite bon courage et reprends ma course, seule. J’adore ce passage là, ça m’agace tellement de ne pas prendre de plaisir ici ! Le ravitaillement est proche, les spectateurs se font de plus en plus présents. J’espère y trouver Manu. Mais il n’était pas certain de pouvoir venir, donc je me fais à l’idée de peut être devoir poursuivre jusqu’à Champex pour le voir et prendre une décision avec lui. Mais Ô bonheur, je l’aperçois au loin là bas, en amont du ravitaillement. Il sait que quelque chose ne va pas, je suis 20′ au dessus de mes temps de passage prévisionnels. Un échange de regard suffit pour que l’on se comprenne.
Il marche à mes côtés pour rejoindre le point de contrôle et je lui explique les choses. On décide donc de faire un point avec l’assistance médicale de l’organisation. Parce qu’avec tout ça, je n’ai même pas encore osé retirer mes chaussettes pour évaluer l’ampleur des dégâts. Je me souviens d »une conversation avec Cathy la veille : « continue tant que tu peux, même si tu as mal. Si tu enlèves tes chaussettes, après c’est terminé ! » Je croise ici Yorick, Aude, Nico, Perrine, Laurie … En mode Gali’spectateurs ! Les filles m’encouragent à poursuivre. (Merci les filles !!) Du coup j’hésite. Mais je préfère quand même demander un avis médical. J’ai déjà donné côté obstination fin mai aux mondiaux, je ne regrette rien parce que le jeu en valait la chandelle, mais je l’ai payé plusieurs semaines derrière. Donc je vais éviter de repartir pour un mois de repos forcé quand même.
Le verdict est unanime après consultation : l’abandon est vivement recommandé. Au mieux, je vais réussir à aller au bout en serrant les dents mais avec la peau des pieds déchirée, sans plaisir et en un chrono qui me décevra. Au pire, je vais en plus me blesser ailleurs, parce que je vais compenser. Et puis de toute façon, je n’ai plus la tête dans la course depuis un moment. C’est dur, mais il faut que je pense à la santé et au futur. Voilà, ma CCC s’arrêtera donc à La Fouly cette année. Déçue, frustrée, je le suis bien sûr ! Même si la prépa a été courte, j’y ai consacré du temps, de l’énergie, pour arriver en meilleure forme possible le jour J. Un abandon, ça reste un échec. Et pour ma part, ça sera le 3ème de ma vie de coureuse (les deux autres s’étant terminés aux urgences). Mais finalement, ce qui me chagrine le plus, c’est de ne pas avoir pu permettre à Manu de vibrer sur le côté jusqu’à cette fichue ligne d’arrivée … J’aurais au moins aimer lui offrir ça.
Les points positifs, puisqu’il est important d’en mettre en avant pour accepter l’échec, le digérer et avancer, c’est : 1- Les expériences passées m’aident enfin à devenir sage et prudente, 2- À part ces ampoules, rien d’anormal à signaler côté mécanique … Mon tendon est définitivement guéri, 3- Je vais pouvoir entamer la rentrée en meilleur état que prévu et enchaîner sur les prochains objectifs, avec encore plus d’envie ! 🙂 Alors : KEEP SMILING !
Sylvaine CUSSOT
CCC ® 2015 – Résumé de Course par UltraTrailMontBlanc