C’est mi février, quelques jours avant l’une des premières courses de la saison, le Gruissan Phoebus Trail, que j’apprends ma sélection en équipe de France. Un coup de fil du sélectionneur, Papa Phil, complètement inattendu ! Jamais je n’avais imaginé un jour avoir la chance de porter le maillot tricolore …
En fait, je ne réalise pas vraiment sur le moment. Mais j’intègre par contre rapidement, qu’il va falloir bien me préparer pour être en meilleure forme possible le 30 Mai 2015. Ces championnats du Monde deviennent donc, LE prochain objectif de cette saison 2015.
Il faut donc réorganiser le planning de la saison. Pas besoin de tout chambouler non plus, mais la Maxi Race n’étant initialement pas prévue au programme cette année, il faut donc l’intégrer. En gardant bien à l’esprit que ce n’est pas une course comme les autres … C’est LA course où il ne faut pas se rater ! Celle où il faut peut être le plus assurer, celle où il va falloir se dépouiller, celle que l’on oubliera jamais. Courir, non plus pour soi même, mais pour son pays, c’est impressionnant quand même ! Il y a de quoi se mettre la pression. Mais à ce moment là, la pression n’était pas encore là, heureusement !
Je conserve l’Éco-Trail de Paris (fin mars). 2 mois, ça laisse le temps de récupérer. Mais je décline l’Éco-Trail d’Oslo, initialement au programme, qui a lieu le WE avant ces mondiaux. Le gros point d’interrogation se porte sur l’Ultra Fiord en Patagonie, placé 5 semaines avant la Maxi Race. Mais le voyage est programmé, les billets d’avion et toute la logistique, Asics a tout calé, compliqué de reculer. Donc on décide d’y aller, mais sans en faire un objectif. Pas de prise de risque inutile, le but, c’est de faire une belle sortie dans un cadre de rêve. Ça, c’est la théorie. Mais en pratique, ça ne s’est pas du tout passé comme ça et le chantier des Fiords a laissé quelques traces en rentrant à la maison fin avril … Des chevilles bien amochées.
Bilan : le mois de préparation qui a précédé ces championnats du monde a été très perturbé. Impossible de courir sur sentiers techniques sans me tordre les chevilles. Le moindre caillou les fait tourner. Pire que ça, j’ai déclenché un genre de déchirure musculaire sur le tibial antérieur ou encore une tendinite sur les muscles fibulaires à droite. On me parle même de possible fissure au niveau du tendon. Bref, le diagnostic n’est pas clair et même les deux échographies passées ne s’accordent pas. Toujours est-il que j’ai de grosses douleurs sur les muscles qui se rattachent aux chevilles, aux tendons et qu’il m’est quasi impossible de courir ailleurs que sur route.
J’essaye de positiver, de garder espoir et me rattache à quelques avis médicaux plus optimistes. Mais avec ces douleurs et voyant que rien n’évoluait dans le bon sens, je perds confiance et même la motivation, j’avoue ! Des hauts, des bas. Je prends le départ du Trail des forts de Besançon en préparation et sans prise de risques, au moment où j’ai la sensation d’être guérie (il faut bien que je m’entraine un peu si je ne veux pas être ridicule le 30 Mai). Mais, c’est encore la galère. A 3 semaines des mondiaux, je commence à douter et même à me demander si je serais en capacité de prendre le départ … Dur ! Du coup, les deux dernières semaines, j’allège vraiment l’entraînement avec quand même quelques sorties course à pied, mais sur bitume. Quand le pied reste droit, je n’ai pas mal. Certains diront que j’ai fait du jus, mais moi j’avais vraiment l’impression d’arriver dans une phase de désentrainement. Très frustrant mais c’est ma seule chance de pouvoir espérer faire la course.
Jeudi 28 Mai, cérémonie d’ouverture des championnats du monde de trail
Quand j’arrive à Annecy jeudi 28 Mai, 2 jours avant le jour J, je sais que je prendrais le départ ! Je suis sur-motivée. Je fais le point avec les médecins et les kinés de l’Équipe de France, on s’entend sur plusieurs directives : un bon strap au départ, beaucoup de prudence sur les parties techniques, on y croit ! L’inflammation s’est quand même bien résorbée, même si je sais qu’elle n’a pas complètement disparu, mais je garde confiance. Je sais que c’est ça aussi qui va me permettre de partir avec l’envie. Toute la famille est venue pour l’occasion, je n’ai pas envie de les décevoir et surtout, j’ai envie de les régaler et de les faire vibrer !
Jeudi soir, la cérémonie d’ouverture nous met bien dans l’ambiance. C’est grandiose ! Tous ces drapeaux qui défilent, ces hymnes nationaux qui résonnent entre les montagnes d’Annecy, quel spectacle ! C’est maintenant qu’on prend vraiment conscience qu’on y est. Les championnats du Monde : on va porter les couleurs de notre drapeau pour défendre notre pays. Oui, la pression commence maintenant à monter. Une pression positive qui motive et qui, au cas où on en aurait encore besoin, ouvre les yeux sur les enjeux.
Vendredi 29 Mai, veille de course
La nuit de l’avant veille, celle qu’il ne faut pas rater ! Banco, elle est réussie pour ma part. 23h30 – 7h30, 8h de bon sommeil, ça suffit pour se sentir en forme ! Au petit déjeuner collectif, bonne ambiance au sein de l’équipe de France. Certains reviennent de leur footing, d’autres s’y préparent. Ça sera repos complet pour moi. Comme toutes les veilles de course. Je profite d’une matinée calme pour bosser. Le début d’après midi sera consacré à des réunions avec l’équipe et le staff pour briefer les coureurs, le staff, organiser la logistique des ravitaillements, faire le point sur le règlement et le matériel obligatoire, ou encore nous rappeler le pourquoi nous sommes ici … Un petit coup de pression supplémentaire mais les mots de Papa Phil sont tellement bien trouvés pour nous motiver … MERCI Philippe !
Le dîner est servi tôt, à 19h30, le calme commence à envahir les couloirs … Ma famille est venue me faire un dernier coucou et un dernier bisou de soutien. Dur dur de les abandonner pour aller sous la couette aussi tôt. Je traine un peu, mais finis par me décider à aller me reposer, Stéphanie Duc, qui dort dans la même chambre que moi, doit m’attendre. 21h, les yeux fermés, le corps à l’horizontal. Mais 22h, je ne dors toujours pas … 23h non plus … quand le réveil sonne à 00h54, j’étais dans mes rêves ! Mais pas depuis longtemps. Bref, je n’ai quasiment pas dormi (comme la plupart d’entre nous), mais ça va ! Je peste quand même intérieurement : « non mais quelle idée de nous faire partir à 3h30, quelle idée !! »
Samedi 30 Mai, jour J, le départ !
Les tables du petit déjeuner sont bien vides à 1h du mat. Je retrouve Nicolas Martin et Patrick Bringer, déjà l’oeuf et le jambon dans la bouche ! Philippe et Jean François sont là aussi, j’ai l’impression qu’ils ne sont pas allés se coucher … La journée va être longue aussi pour les accompagnants, j’en sais quelque chose ! L’appétit n’est pas trop là, mais je fonctionne en mode automatique : café, jambon, pain, banane, fromage blanc, flocon d’avoine … 1h30, la salle commence à se remplir, Benoit Cori s’installe devant moi : chocolatines, pain/nutella. Bon, on dirait qu’il a le faim le Benoit ! Le car prévoit de partir du centre à 2h15, je suis bien ici avec les copains, mais il faut quand même que je me décide à bouger, j’ai mes bidons à préparer et Maryline, la kiné, m’attend à 2h pour faire mon strapp. Merci Maryline, strap de compétition, y’a pas intérêt que ça bouge avec ça !
2h15, frontale sur la tête, on saute dans le bus qui nous emmène sur le lieu du départ. La météo s’annonce idéale pour courir. Les hésitations se portent entre le débardeur et le manches courtes, c’est pour dire ! Tenue légère de rigueur, ça ne sera pas le jour à oublier les ravitaillements. Je retrouve Manu, papa et mes frères, Louis et Théo, au départ. C’est bon de les avoir ici ! Quelques foulées d’échauffement suffisent pour me faire transpirer, et me rassurer sur les sensations du jour : les jambes vont bien, tout est ok. J’ai une seule (grosse) crainte aujourd’hui : que mes chevilles me lâchent. Je garde espoir, mais au fond de moi, je sais qu’il faudrait un miracle pour que tout se passe sans encombre. Mais j’aimerais juste pouvoir faire une course pleine aujourd’hui …
La montée vers le Semnoz, les premières douleurs
3h25, je tente de me faire une place dans la foule du départ. Avec Sarah, nous n’avons pas notre place dans le sas élites, il faut se frayer un chemin pour ne pas se retrouver trop derrière. Bon, en même temps, c’est de ma faute, j’ai tardé à m’avancer vers le départ, je suis dans le fond maintenant. Mais bon, ce n’est pas bien important, de toute façon, on a bien le temps hein de se mettre en route hein. Et puis c’est pas comme si on était 6000 au départ. Nous sommes presque 300, une belle édition avec du niveau, ça promet du spectacle ! On sent une pression particulière ce matin. On sent qu’il y a de l’enjeu pour tous ! Personne n’est là pour se balader ou faire figuration, chaque coureur a des couleurs à défendre, c’est évident, nous avons là, logiquement, les meilleurs coureurs de trail mondiaux. Donc, que des compétiteurs !
Le GO est donné avec les fumigènes, et voilà, la balade a commencé, c’est maintenant qu’il faut tout donner … enfin pas tout de suite quand même, la route promet d’être longue ! Les premiers kilomètres se font au bord du lac d’Annecy : autrement dit, rapides et plats ! J’en profite pour doubler quelques coureurs et regagner un peu plus le devant de la file. Mais tout le monde va vite aujourd’hui, attention de ne pas se mettre dans le rouge dès le départ. J’essaye de trouver les françaises, mais je ne vois aucune fille de l’équipe. La nuit n’aidant pas. Elles sont sûrement devant. Sur le bord du parcours, des spectateurs venus pour l’occasion nous encouragent, pendant que d’autres, qui trainent ici parce qu’ils sortent de bars ou de boites de nuit, se marrent et nous prennent sûrement pour des dingues. Ils se mettent au milieu du peloton en criant et en faisant quelques foulées avec nous : »wouaaaaaaihhhh !!!! » On s’en souviendra, eux, peut être pas ! 😉
2,5km d’échauffement et l’ascension démarre ! Je sais qu’elle va être longue, très longue ! quasiment 20km pour arriver au sommet, le Semnoz. La première partie de l’ascension se passe bien. Je mets le mode plein phare et je reste concentrée sur ma petite foulée. J’ai reconnu Simona Morbelli que j’ai doublé, je l’encourage. Sarah Vieuille me double, on se soutient : « allez bonne course ! ». Le sol est relativement propre et souple, mais déjà, mon pied est légèrement parti en dévers et j’ai ressenti comme un électrochoc dans le tibia. Un indice qui promet d’autres douleurs à venir. Certain(e)s alternent marche-course, mais perso, je me sens de courir jusqu’en haut. Je ne sais pas si c’est la bonne stratégie, mais comme je suis bien, je garde le rythme. Quelques spectateurs courageux agitent les cloches et nous motivent au passage, merci ! km8 ou 9, la famille m’attend, en grande forme et avec les supers banderoles : »allez Sissi !!!!! » Oh que c’est bon de les voir ici déjà !! J’adore, ça me fait monter le palpitant et ça me redonne un coup de boost ! Un coup d’œil à ma montre : 52 minutes. Bon, je suis contente, je n’ai pas chômé sur cette première partie d’ascension et les voyants sont au vert.
Je m’emballe un peu sur la suite, les sensations sont bonnes. Le parcours devient un peu plus accidenté, j’essaye de m’appliquer sur mes appuis en ne pensant qu’à ma cheville, mais à plusieurs reprises, elle tord. « Et M….. !!! Pas ça !! » La douleur se fait de plus en plus forte sur les tendons qui entourent la malléole et les muscles fibulaires. Si déjà au 15ème kilomètre, je commence à serrer les dents, je n’ose même pas imaginer la suite de la journée … Bon, l’inflammation est relancée, il va falloir s’en accommoder. Après avoir pris le temps de masser un peu la zone sensible, je repars mais suis obligée de marcher pour éviter les torsions dans les zones trop caillouteuses. Je perds un temps monstrueux et me fait redoubler par un paquet de féminines, dont Simona qui a repris une bonne avance. La fin de l’ascension est un calvaire, j’en ai mal au ventre à l’idée de peut être ne pas pouvoir aller jusqu’au bout à cause de cette blessure.
L’arrivée au sommet du Semnoz est juste magique ! Les organisateurs ont placé des bougies, c’est grandiose, on a l’impression d’être dans un petit conte de fées ! Bravo pour cette belle mise en scène. 2h15, il fait jour, je vais pouvoir poser ma frontale et surtout mieux anticiper les difficultés au sol, ça va peut être m’aider pour moins souffrir. La famille est là, je les vois, je les entends, ils sont à bloc, c’est motivant. j’espère qu’ils ne m’attendaient pas depuis trop longtemps les pauvres. Je passe dans la tente, Fabrice qui fera mon assistance sur l’ensemble de la course, est bien là. Philippe aussi. Je leur explique que ça risque d’être compliqué pour moi avec ces chevilles capricieuses. Ravitaillement express, je repars après quelques mots échangés avec Manu qui, rien qu’avec mon regard et ma foulée, comprend vite la situation …
Descente vers Saint Eustache, le doute s’installe
Quand je repars du ravitaillement, je ne suis pas au mieux moralement, et je redoute cette première descente qui suit. Je ne l’ai pas reconnu mais j’en ai eu quelques échos. Je sais qu’elle peut être fatale pour mes chevilles. Je suis seule, un coup d’œil en arrière me fait prendre conscience que les écarts entre les coureurs sont déjà importants. J’ai l’impression d’être dernière et cela ne m’aide pas à positiver ! (j’apprends par la suite que j’étais en fait 25ème féminine et dans la première moitié du classement). Effectivement, cette descente fut un véritable enfer … Impossible de courir sans me tordre les chevilles. Elle partent dans tous les sens et se plient carrément en deux par moment. Je ne savais même pas que c’était possible ! Je ne les maitrise plus du tout et je ressens comme des coups de couteau à chaque torsion.
Je n’arrive même pas bien à cerner où se trouve la douleur (tendons, muscles, ligaments ?), mais elle est bien là, me lance et m’oblige à ralentir. C’est dur. Je me sens complètement impuissante face à cette situation. Les jambes et la tête veulent foncer, mais la mécanique ne suit pas et je suis dans l’obligation de freiner. Le sol est rempli de cailloux, racines, ou même de la boue. Je dois marcher sur certaines portions, c’est juste un cauchemar. Cette contrariété me reste en travers de l’estomac, le cercle vicieux s’enclenche et je commence même à avoir envie de vomir. Impossible de manger, rien ne passe, j’ai l’estomac noué. Je sens que j’ai des ampoules qui se forment sous chaque gros orteils. Bref, rien ne va et je suis au plus bas. Je n’avance pas, c’est dingue et je perds un temps monstrueux … Être là, aux championnats du monde, avec le maillot tricolore sur le dos, et ne pas y arriver … Être freinée par la douleur. Je me sens comme une moins que rien et à ce moment là, j’ai honte. Honte de porter les couleurs de la France et honte d’être quasiment à l’arrêt.
Tant bien que mal, je finis tout de même par arriver à Saint Eustache, km28. Ma famille, Manu, quelques amis, sont là. Je les retrouve en sanglotant. Je suis effondrée, anéantie. Je n’ai pas souvenir d’avoir déjà été dans cet état là en course … Ils tentent de me remonter le moral en me faisant relativiser. Grosse remise en question ici. Est ce vraiment raisonnable de poursuivre dans cet état ? N’est ce pas trop risquer de se massacrer et de terminer coûte que coûte en le payant derrière avec 6 mois d’arrêt ? Ça bouillonne d’idées noires dans ma tête, j’avoue avoir envie de jeter l’éponge à ce moment là. Mais en quelques secondes, j’arrive me retourner le cerveau .. Je baisse la tête et vois mon maillot : « FRANCE »; je regarde ma famille autour avec les superbes pancartes : « ALLEZ SISSI, T’ES NOTRE CHAMPIONNE ! » Et je repense aux paroles de Philippe Propage hier soir : »quand vous serez dans le dur, pensez à tous ceux qui aimeraient être à votre place et à la chance que vous avez d’être là ». C’est impossible que je m’arrête ici, impossible. Ma famille n’a pas fait le déplacement pour me voir baisser les bras, ils ne sont pas venus pour me voir pleurer et abandonner. Non, ils sont venus pour me soutenir jusqu’au bout. Pour eux et pour le maillot, je DOIS poursuivre et franchir cette ligne d’arrivée. Clémentine et Lætitia m’attendant à Doussard, je ne veux pas les décevoir et il faut que je les retrouve là bas avec le sourire. Si j’arrive à marcher, je peux continuer. C’est décidé, je reprends ma route. Tant pis, je serrerais les dents et je prendrais les précautions nécessaires.
Col de la Cochette et Doussard : prudence !
Cet épisode douloureux passé, j’ai maintenant la certitude d’avoir pris la bonne décision. Je ne sais pas dans quel état j’ai vais évoluer, mais je suis contente de ne pas avoir mis le clignotant. Je m’en serais voulue toute la vie ! Je retrouve une certaine sérénité dans cette ascension vers le Col de la Cochette. Le sol est plus propre et du coup, la douleur est moins forte. Je recolle quelques coureurs et parviens à en doubler quelques uns. Je croise Guillaume, qui fait le parcours en sens inverse (si j’ai bien compris) et m’encourage : merci à lui pour son soutien !
La redescente vers Doussard est beaucoup plus compliquée à gérer … avec un retour en single sur un sentier technique et sacrément pentu. De nouveau, je me retrouve en situation de « gestion » avec une obligation d’alterner « marche-course » pour ne pas risquer le gros bobo ! La douleur freine c’est certain, mais le principal risque parallèlement à cela, c’est de tourner complètement la cheville (qui ne tient plus) et de déchirer un ligament. La grosse entorse quoi ! Et là, ça voudrait dire, stop définitif pour un moment. Donc du coup, je me retrouve avec le double frein obligatoire. je souffle une fois un bas : ouf, je tiens toujours debout !
Le sentier qui nous mène jusqu’à Doussard est vraiment agréable ! En temps normal, j’aurais pris un plaisir monstrueux sur cette partie. Une alternance de faux plats, montants/descendants, des sentiers en sous bois, je suis fan. En l’occurrence ici, je me régale aussi, mais la crainte de tordre gâche une bonne partie de mon plaisir … et puis la douleur toujours présente à chaque torsion me rappelle à l’ordre régulièrement. Une fois sortie des sous bois, nous rejoignons la route pour regagner le ravitaillement numéro 2 : Doussard. 44km, 5h43. Nous sommes à mi parcours.
De nouveau j’y retrouve ma petite famille au top de sa forme ! Et ma petite Clémounette est là aussi, avec son grand sourire, chouette ! Je ralentis à leur niveau, m’arrête pour échanger. Ils me proposent tous d’arrêter là, en me disant que ce n’est pas raisonnable, que je risque de me faire encore plus mal … Je suis touchée de leur attention, mais il est hors de question que j’en reste là. Ma décision ne changera pas maintenant, tant que je peux avancer, je continuerais. En plus, je connais la seconde partie, je sais donc dans quoi je m’engage et je sais que si j’ai réussi à passer ce que je viens de passer, je passerais le reste dans les mêmes conditions. Ils comprennent et respectent ma décision. C’est aussi eux qui m’ont donné la force de continuer d’ailleurs …
Col de la Forclaz et Roc Lancrenaz : une belle montée pour remonter.
Après avoir fait le plein au ravitaillement de Doussard (merci à mes ravitailleurs, Fabrice et Philippe !) et avoir pris un max d’ondes positives auprès de mes proches, je repars en terrain connu cette fois. Ça me réconforte, je sais que l’ascension qui vient se court bien et surtout qu’elle n’est pas technique. J’en profite, je passe la vitesse supérieure. Petites foulées, je sens que j’avance bien, les sensations sont là. Cela me permet de remonter dans le classement et je double quelques féminines (25 places de gagnées entre Doussard et le Pas de l’Aulps, ça remet du baume du cœur !).
Au Col de la Forclaz, km50, belle ambiance, il y a du monde ! Je reconnais Christian et Stéphane, j’entends la voix de Manu, il est là aussi. Je le rassure, il semble inquiet. « Ça va super. Je me sens bien et que je n’ai pas eu de soucis avec ma cheville sur cette partie. Ne t’inquiètes pas, je prendrais le temps pour la descente qui suivra » (on l’a faite ensemble et je sais pertinemment que ça ne sera pas une partie de plaisir). Un peu plus loin, je fais le plein d’eau au point prévu à cet effet et repars sans trainer. Direction le chalet de l’Aulps. Ça grimpe, ça grimpe, ça grimpe … je m’accroche à une autre féminine et on fait course ensemble. J’entends alors mon nom quelque part : « allez Sissi, allez !!!! » Qui va là ??? Oh énorme !! C’est Pascale et Michel ! Ils sont adorables, ils ont suivi la course depuis le début et ont réussi à se placer à des endroits improbables à chaque fois : un grand merci à eux !! Ça fait un bien fou de recevoir des encouragements.
Au niveau du chalet, le vent souffle, quelques nuages empêchent le soleil de sortir et je commence à avoir froid. J’hésite à sortir ma veste, sachant que nous sommes encore loin du sommet. Il doit rester 300MD+ en moins de 2km pour atteindre le second point culminant de la course. Une petite descente nous permet de souffler, avant de repartir sur la suite de l’ascension, la plus costaud ! Mains sur les cuisses, penchée, un pas après l’autre, on grimpe ! Juste avant d’atteindre le sommet : surprise ! Un troupeau de chèvre en plein milieu du chemin. Et puis elles n’ont pas l’air d’avoir envie de nous laisser passer les vilaines. Dépaysant, les joies du trail, j’adore ! La partie la plus technique du sommet est sécurisée par une main courante. J’en profite, je me tiens, histoire de soulager les chevilles qui continuent de me faire souffrir. Des bénévoles nous bipent en haut, et nous préviennent : »attention, la descente qui suit est costaud ! » Oui, oui, je sais bien, et je sens que je vais la détester aujourd’hui …
Tout schuss vers Menthon
8h de course, j’entame la descente infernale : quasiment 1000mD- en 5km. Ça fait mal aux cuissots ! Et puis c’est pas de la pente souple et propre au sol, non, c’est une pente bien caillouteuse qui fait tourner les chevilles sans arrêt. Aie aie aie, je souffre le martyr, mais j’essaye de poursuivre tranquillement, à petites foulées, pour ne pas perdre toute l’avance que j’ai réussi à prendre dans la montée. Horrible, interminable, douloureuse, cette portion est difficile pour tout le monde, mais avec un pépins physiques par dessus, c’est le grain de sable dans l’engrenage … Je rattrape d’ailleurs Juliette Bénédicto, de l’Équipe de France, qui souffre de sa déchirure aux ischios. La pauvre, elle souffre aussi. J’essaye de lui remonter le moral et l’encourage, mais elle me dit qu’elle compte jeter l’éponge en bas. Mince, elle va être terriblement déçue … Un peu plus loin, c’est Simona Morbelli qui semble en difficulté. Je la double, prends des nouvelles. Elle envisageable d’arrêter aussi. Allez les filles, on connaîtra des jours meilleurs ! Une fois arrivée en bas, c’est le soulagement. km 62, 8h35 de course. Je me suis forcée à bien boire, je sais qu’il y a un point d’eau avant Menthon, le 3ème ravitaillement.
Les 5/6kms qui précèdent le ravitaillement de Menthon sont vraiment agréables. Enfin, quand t’es bien. Parce que cette alternance de bosses peut être fatale en cas de coup de mou : ça use ! Mais au moins, c’est varié et ça fait du bien aux muscles et articulations qui commençaient à vraiment subir cette longue descente sans fin. Des panneaux nous annoncent prochainement l’arrêt au stand : reste 3km, reste 2km, 1km … Youyou, bientôt l’apéro !! Et enfin, la route. La dernier ravitaillement est proche et surtout, ça commence à sentir bon le passage de la ligne. 9h20 de course, j’ai repris quelques places mais bon, quand je me dis que les premières femmes sont peut être en train d’en terminer quelque part là haut, je suis partagée entre le bonheur et l’effondrement ! Elles sont incroyables ces nenettes quand même ! Des vraies guerrières, bravo les filles, même avec des chevilles en état, j’en serais bien incapable … Revenons à nos moutons, euh, à nos 15kms restants ! C’est peu et en même temps, avec le dénivelé restant et le profil qui s’annonce, c’est beaucoup. J’approximative entre 2h15 et 2h30 si tout va bien. En repartant de Menthon et après avoir embrassé toute la petite famille, je lance donc à Manu confiante et avec le sourire : « je devrais rentrer en moins de 12h. Je vais essayer du moins. On se retrouve à l’arrivée. Promis, je fais gaffe ! »
Derniers efforts pour atteindre le dernier sommet
En repartant, je sais qu’il ne reste pas le plus simple, mais je ne me sens pas fatiguée. J’ai l’envie et la motivation, la forme est là et ça fait encore plus rager … Parce qu’il va encore falloir composer encore avec ces douleurs et ces soucis de mécanique .. et pour avoir fait la moitié de la montée en reconnaissance, je me souviens d’un parcours casse chevilles. Donc un mot d’ordre : ne pas relâcher la vigilance, ce n’est pas maintenant qu’il faut baisser les bras, on y est presque. La première partie de l’ascension alterne bitume et sentier, ça va ! Je suis sereine sur ce sentier propre : quand le pied ne tord pas, la douleur est quasi inexistante : j’en profite pour appuyer et je parviens à doubler 2 ou 3 féminines (je n’ai aucune idée des classements, à aucun moment de la course je n’ai connu ma place d’ailleurs. J’ai juste un « gentil » bénévole après Doussard qui m’a ironiquement envoyé à la figure : « tes copines françaises tout devant sont à 1h ! » Je n’ai pas su s’il fallait bien le prendre ou pas …:-)). Mais depuis Doussard, j’ai l’impression d’avoir doublé pas mal de filles, ça me rassure un peu.
2ème partie d’ascension, c’est long !! Quand on a l’impression d’être en haut, surprise, ça continue de grimper ! Et comme c’est de plus en plus pentu, il faut se résigner à avancer en marchant vite, mains sur les cuisses. Le sol est de plus en plus technique et mes chevilles commencent à refaire la tronche … allez Sissi, tu y es presque ! Avant d’arriver au sommet je recolle une féminine, je crois que c’est la fille belge de l’équipe. Je l’encourage, elle semble dans le dur. Il y a quelques spectateurs, randonneurs, qui se baladent ici, ils ne sont pas avares d’applaudissements, c’est génial !! merci à tous ! Je reconnais Timothée Nalet, le photographe de la Peignée Verticale, il est en place avec son objectif : Cheeeeeeeeese !!! Je lui raconte mes mésaventures en essayant de relativiser … On taquine un peu et je reprends ma route sans trainer en me disant que, mine de rien, c’est peut être ici que je peux espérer prendre des places. Je ne vais certes pas bien vite avec tout ça, mais je ne suis pas trop entamée, et à côté, j’en croise qui sont vraiment dans le rouge (j’aurais repris 9 places au total depuis Menthon).
Descente finale et arrivée, le soulagement
Au sommet, on nous annonce 6 ou 7km de l’arrivée. Je suis à 11h de course. Bon, les moins de 12h sont largement jouables en espérant que le terrain ne m’obligent à ne faire que marcher … Début de descente bien raide et technique, puis, des racines, des cailloux, des virages à 180 … Frein à main obligatoire, je serre les dents à nouveau. Ça m’agace, je me fait redoubler par l’italienne qui déboule derrière moi comme une fusée ! Grrrrrrr !! Je la félicite et l’applaudis, mais je suis dans l’incapacité de la suivre avec ces pieds en chewing gum. Le dégoût ! Devant, deux féminines à l’arrêt. Je reconnais la népalaise avec qui j’avais déjà couru au championnat de France à la Drome, Manikala RAI. Que se passe t-il ? Apparemment l’une d’elle ne va pas bien. Mais a priori, elle va terminer en marchant, ça va. Je poursuis avec Manikala, on essaye de discuter, elle me dit qu’elle m’a envoyé une demande d’ami sur Facebook et me demande pourquoi je ne l’ai pas acceptée … héhé, je suis morte de rire qu’elle aborde ce sujet ici, ça fait passer le temps remarque. Désolée Manikala, j’avais même pas vu cette demande ! Je vois qu’elle descend bien, mais à la suivre, je souffre le martyr et prends trop de risques avec mes chevilles, donc je lui explique et lui propose de filer devant. Elle s’envole et je reste avec ma misère derrière … !!
La fin de la descente est interminable et la douleur devient vraiment insupportable. Je prends du réconfort auprès de Pascale et Michel qui m’encouragent chaleureusement : « allez Sissi, à peine 2,5km ! » Je serre les dents jusqu’en bas et enfin, j’aperçois les bords du lac. Ça y’est, maintenant tu n’as plus qu’à dérouler, c’est tout plat ! 11h39. Dernier kilo. Les bénévoles bloquent la route pour nous permettre de traverser sans risques, et nous empruntons le ponton. Dans l’euphorie, je pars à gauche (« dans ce sens, t’es pas arrivée ma pauvre Sissi !! »), mais on me fait signe d’aller à droite : en effet, ça sera plus court .. ! 😉
J’entre donc ici dans la dernière ligne droite de ces championnats du monde. Enfin, l’avant dernière ! Le plaisir est grand ici tant les encouragements sont nombreux ! C’est incroyable tout ce monde au bord du lac qui acclame chaque coureur dans ses derniers efforts … Merci à tous ! « Allez Sissi, bravo Sylvaine, super Sissi … » C’est trop sympa ! Je remercie tous ces adorables supporters de la main ou d’un sourire, ça fait vraiment chaud au cœur. Je cherche des yeux ma famille et peu après, j’entends ma tata qui crie : »allez Sissi, c’est fini, tu l’as fait, tu as terminé, tu es allée au bout ! » Elle me donne les larmes aux yeux et la boule dans la gorge tellement je ressens de la fierté dans sa voix et ses yeux ! Merci Nadine, tu as été juste énorme tout le long de cette course ! Je ne pense même plus à mes jambes ou mon allure, je vois une féminine devant mais je ne vais même chercher à la doubler, c’est comme si le temps s’était arrêté.
C’est le dernier virage et la ligne d’arrivée en face à moi avec ce podium sur lequel nous rêvions tous de monter … ce podium d’arrivée qui signifie beaucoup pour nous tous, il veut tout simplement dire qu’on l’a fait ! Non pas seulement aller au bout de ces 85km, mais aller chercher au plus profond de soi pour surmonter la douleur, dépasser ses limites, sortir de sa zone de confort, pour représenter au mieux les couleurs de son pays. Parce que ce maillot tricolore, on le porte pas tous les jours. Non, il se mérite, il se respecte, et bien sûr il s’honore ! Et c’est la raison pour laquelle j’ai poussé jusqu’à cette ligne d’arrivée, qui s’offre maintenant à moi … Et que je franchis, non avec fierté, mais avec le sentiment d’accomplissement malgré tout, parce que c’est dans la douleur et la frustration que j’ai dû évoluer depuis cette nuit à 3h30 du matin …
Je termine donc 32ème féminine en 11h43 de ces championnats du Monde. Au final, je rentre donc largement dans la première moitié (85 féminines auront franchi la ligne d’arrivée). Il faut voir le côté positif des choses, c’est vrai. Mais justement, je suis d’autant plus déçue et frustrée que je me rends compte ne pas être si loin de la 15ème place (à 27 minutes), alors même que j’avais le sentiment horrible de me trainer dans la fin du classement avec cette blessure qui me ralentissait. La déception s’effacera probablement avec le temps mais en attendant, je tiens tout de même à féliciter et remercier toute l’Équipe de France (coureurs bien entendu), le staff et l’équipe médicale qui ont assuré jusqu’au jour J. 4 titres décrochés au total, c’est difficile de faire mieux ! Extraordinaire !
Pour sûr, la Maxi Race est une épreuve exigeante et difficile mais qui mérite d’être connue. Bravo et merci aux organisateurs et bénévoles, un jour, je reviendrais !! 🙂 Mais avant, je vais devoir prendre le temps de soigner tout ça pour pouvoir de nouveau courir sur mes deux pieds !
À mes proches et ma famille ainsi qu’à mon Manu, fidèle à mes côtés chaque jour : juste <3, je vous aime !
Sylvaine CUSSOT
Crédit photos : Rémi Blomme, David Gonthier, Timothée Nalet
>> Les résultats de ces championnats du monde de trail