Première étape des Skyrunner World Series, La Transvulcania se déroule sur les sentiers volcaniques de l’île de la Palma dans l’archipel des Canaries. Luis Alberto Hernando (ESP) et Emelie Forsberg (SUE) s’imposent pour la deuxième fois sur ce parcours exigeant de 73km et 4100mD+.
Nous revivons ici la course de Julien Jorro, athlète du team Garmin, contraint de jeter l’éponge avant de franchir la ligne d’arrivée …
« Cette année je suis reparti sur cette belle manche de coupe du Monde de Skyrunning afin d’améliorer ma place et mon chrono de l’an dernier. J’avais terminé 23e mais avec un « super temps » de 8h12 pour boucler ces 73km et 4100mD+. Ma préparation 2015 est optimale. Pas de pépins, que des bons blocs d’entrainements bien digérés, deux courses de préparation pendant le mois d’avril qui se concrétisent par 2 podiums… bref c’est mon année !
Nous sommes partis en famille avec Fleur dans nos bagages. C’est une aventure car prendre l’avion avec un bébé ce n’est pas si simple. Pourtant, elle nous confirme encore une fois que nous avons de la chance car elle ne dit presque rien, ne pleure quasiment pas… c’est un bébé « tout terrain » ! Cette année j’ai opté pour une arrivée 3 jours avant la course. A peine le temps de s’acclimater à la chaleur. Cette année ils l’annoncent féroce sur les chemins des volcans… à voir !
Samedi 9 mai : Départ de la course
Je file au départ avec mon ancien coéquipier de chez LAFUMA, François FAIVRE qui est désormais dans le team HOKA. Nous nous voyons rarement et c’est toujours un plaisir de partager quelques « blagounettes » avec lui. L’ambiance est délirante au départ. Je m’échauffe, je suis serein, je connais la course et décide de prendre un meilleur départ que l’an dernier. Pourtant ce n’est pas simple, car les 1800 coureurs sont lâchés sur un tout petit chemin étroit seulement après 400m de piste large… je vous laisse imaginer le « départ de crossman » qu’il faut faire pour pas se retrouver bloqué ! Musique d’AC/DC à bloc, de centaines de spectateurs à 6h du matin dans la nuit noire. Il fait bon… Cinco, cuatro, tres, dos, uno… Arrrrrrriiiiiiivaaaaaaaaaaaaa !
Ça part très vite. Je me positionne juste derrière les meilleurs en restant en retrait. Il faut gérer son allure et ne pas prendre trop vite d’écarts. C’est ma stratégie cette année. Les 20 premiers km sont en montée (on prend 2000m d+) dans du sable volcanique noir. Du coup les appuis sont fatigants.
KM6, nous traversons le premier village, Fuencaliente, dans une ferveur populaire inimaginable à cette heure si matinale. Des centaines de personnes de chaque côté du chemin, la musique à fond au ravitaillement, c’est DE LA FOLIE !!! Les gens tendent les mains pour qu’on leur tape dedans. Il est presque difficile de ne pas s’emballer. Pourtant il le faut ! Ce n’est que l’entrée !!
Je passe dans les 15 premiers. Je suis bien et gère mon allure. Je cours avec le futur second de la course qui ne semble à ce moment précis de la course pas si bien que ça.
Plus tard, me revient dessus, Timothy OLSON, le célèbre américain du team THE NORTH FACE. Il se cale dans mon allure et nous partagerons ainsi plusieurs kms ensemble. Nous échangeons quelques mots mais il est difficile de papoter car l’air est sec et les premiers rayons du soleil commencent à poindre leur nez ! C’est magnifique. Il y a une mer de nuage en dessous de nous et nous surplombons l’île et la mer. C’est pour ça aussi que je pratique ce sport. Nous sommes des privilégiés ! Cette route des volcans est tout simplement sublime ! Timothy accélère et je le laisse filer. Plusieurs coureurs me dépassent. Je ne veux pas les suivre pour ne pas me griller. Je reste concentré sur mon effort et c’est déjà pas mal.
KM18, Arrivé en haut du premier sommet du jour, je m’alimente et commence la descente en compagnie de Mike FOOTE lui aussi du Team THE NORTH FACE. C’est un grand nom du trail car il a terminé plusieurs fois dans les 10 premiers de l’UTMB (Tour du Mont-Blanc). Il ne semble pas saignant du tout aujourd’hui. (C’est pour ça qu’il est avec moi d’ailleurs !) La descente sur le premier gros ravitaillement du jour EL PILAR se fait dans du sable. C’est moelleux. Nous avons 500m de D- à avaler en une poignée de km mais elle est agréable à pratiquer.
KM25, Arrivée à EL PILAR. Il y a des centaines de spectateurs c’est incroyable. J’adore cette ambiance c’est grisant. Et justement il faut rester concentré pour ne pas s’enflammer ! Imaginez-vous au tour de France dans un col devant tous ces aficionados en furie !
Je me ravitaille et repart rapidement. Je croise le regard de Floflo et Fleur. Les pauvres viennent tout juste d’arriver et je passe comme une balle. C’est un sport difficile et ingrat quand on le suit…
KM26 – 35 : une longue piste plutôt plate fait le lien entre les deux massifs du parcours. Il faut courir à bonne allure. Je me cale à 14km/h, histoire de ne pas me griller les ailes non plus. Plusieurs coureurs me doublent. Je commence à sentir la chaleur étouffante du jour. Il y a peu d’air. Roberto HERAS, l’ancien professionnel cycliste (au passé tumultueux) me double. Il court depuis plusieurs années. Son frère est dans le team SALOMON et il est à bonne école. Je le laisse filer. Aurélien DUNAND-PALLAZ (Team ADIDAS) me double aussi. Il semble très bien et file vers une future (10e place). C’est cool pour lui, il n’a que 24 ans et est très doué !
KM35, début de la montée. Le plat de résistance du jour. Nous escaladons les crêtes du cirque volcanique de LA PALMA. La chaleur est pesante. Nous sommes à découvert et l’air est sec. Je m’arrose et m’hydrate mais je prends mon premier « coup de bambou » du jour. C’est dur. Avec l’expérience je sais que ça revient. Il faut bien manger et boire et ça va revenir… Je double Ryan SANDES (Team SALOMON), le champion sud-africain qui ne semble pas au mieux lui aussi. Il jette l’éponge et abandonne.
J’ai des débuts de crampes aux adducteurs... c’est simple dès que ça monte elles se déclenchent ! « Whouhou trop cool… ça tombe bien il reste presque 15km de montée !! » Alors je m’étire, je bois… je bois, je m’étire, ça va ça vient… je déguste. Je ne suis pas efficace et plusieurs coureurs me doublent. Je dois être en 28e position. Mon copain Suisse Jules-Henri GABIOUD (SALOMON) me reprend. Nous échangeons quelques mots et je décide de lui prendre le pas. Quelques km plus loin c’est au tour d’Emelie FORSBERG (Team SALOMON), première féminine et non des moindres… certainement la meilleure mondiale (C’est aussi la compagne de Kilian JORNET).
En général sur cette course, en analysant les temps, je termine au même chrono que la première fille. Donc si elle me reprend maintenant c’est que je ne vais pas faire le chrono espéré du tout… tant pis faut rentrer quand même !! Ma forme revient peu à peu. Du coup je double Jules-Henri et rattrape peu à peu Emelie. Elle est régulière et je me cale dans son allure. Nous rattrapons plusieurs coureurs qui étaient devant et qui « titubent » sur le chemin escarpé. Ils payent les efforts du début de course et la chaleur. En effet malgré notre altitude (Entre 2000 et 2300m), il fait chaud, il n’y a pas ou peu de vent et l’air est sec. Nous reprenons également Roberto HERAS. Il se met dans notre foulée. Je me retrouve donc entre deux icones du sport que les espagnols adorent. Donc c’est simple pendant plus de 5km les spectateurs ne me « calculeront » pas du tout !!!! … jamais ! Je n’existe pas ! 😉
Emelie me demande en Anglais si je sais où est le prochain ravitaillement. La chaleur est pesante et elle est limite en hydratation. Du coup je lui propose de boire dans mon Camelbak. Elle s’hydrate et nous repartons de plus belle. J’ai échangé ma salive avec Emelie FORSBERG… au moins c’est la ptite anecdote que je retiendrai de cette course ! Par contre, va falloir que je le tourne bien vis-à-vis de Floflo sinon elle va mal le prendre !! Nous arrivons presque au sommet. Nous apercevons depuis un moment les observatoires astronomique du Roque de Los Muchachos (le sommet de la course). Mais il reste un bout encore.
KM46, c’est le ravitaillement tant espéré. Je refais le plein, m’arrose et repart. Emelie a déjà filé. Roberto reste là. Donc je repars seul. Nous dépassons Mike FOOTE qui semble complètement cuit. Il y a du monde partout, même dans ces terrains arides. Des drones nous filment. Ca doit donner de belles images !! La montée finale n’est qu’une succession de « up and down » dans le cirque aride qui domine le parc national des volcans de LA PALMA. C’est très beau mais en vrai, c’est le moment où je ne regarde que mes pas et me concentre sur ma douleur aux adducteurs.
Sylvain PERRIN (Team HOKA), mon compatriote français me dépasse. Il a l’air bien il a une foulée légère. On échange deux mots et lui donne deux trois conseils par rapport à la suite de la course. Il semble en mesure de faire un top 20 et il faut qu’il gère bien… pour moi ça semble plus difficile cette année compte tenu de mon état. Je subis la chaleur. C’est terrible. J’ai la tête qui va exploser.
KM50, Dans les derniers hectomètres de la montée sur le Roque de los Muchachos, une foule nous accueille au ravitaillement. Il y aussi mon voisin et ami Marc JOANOLOU, Kiné à côté de BAGNERES DE BIGORRE (vers chez moi) qui est venu aussi à la PALMA avec sa femme Isabelle et un ami bigourdan Gérald. Ces derniers courent aujourd’hui et il les attend. Il m’encourage et me ravitaille avec un complément anti-crampe à base de magnésium. C’est gentil de sa part et ça me sert beaucoup. Je passe sous la tente ravitaillement et les organisateurs contrôlent si j’ai tout mon matériel obligatoire. Je suis tellement « ailleurs » que je donne mon sac au contrôleur et lui dis « vas-y cherche ce que t’as à chercher pendant que je me ravitaille ». Je suis cuit par le soleil. Et je veux boire du frais. Je mange un morceau de pastèque, un grand verre d’Aquarius (soda espagnol), je remplis mon sac d’eau et file vers la sortie.
En sortant on m’arrose la tête avec une carafe d’eau fraiche. Que c’est froid, mais que c’est bon !!. Je repars avec des frissons dans tout le corps.. Ça ravigote !!! Je cours machinalement sans réfléchir vers la descente. Commence « le juge de paix » de la course. En fait, tout se gagne ou se perd dans ces 18km et 2500m de dénivelé négatif vers la mer et la plage de Tazacorte… c’est horrible comme elle est pentue et technique. En plus avec la chaleur (bon ok vous l’aurez compris !!) la forêt de pins dans laquelle nous nous engouffrons est un four à ciel ouvert ! Je commence prudemment à descendre ; me concentre. Je bois, je mange régulièrement. Ca fait mal aux cuisses. Chaque foulée est un supplice. Ca tape. Des coureurs du marathon me doublent. Le marathon est partie plus tard que nous depuis El Pilar.
KM56, Au bout de 6km je suis complétement sec. Je marche, je recours, je m’arrête et regarde autour de moi. Ça ne va pas. La tête me tourne j’ai le cœur qui tape dans les tempes. Je m’assois à l’ombre et Jules-Henri, mon copain Helvète me demande si ça va en me doublant. « Non je suis raide ». Il me dit de manger et de boire et ça va passer. Mais pour le coup, avec l’expérience je sens que ça ne va pas passer cette fois-ci. C’est le 2e coup de chaud du jour et je pense que le corps se met en mode survie. Je repars en marchant mais je ne suis pas bien. Ca tangue. Deux randonneurs me croisent et me demandent si ça va. Me proposent du chocolat. Je le prends en mange et me rassois. Ils me disent qu’ils peuvent me redescendre en voiture. Je suis au fond du saut. C’est dur. Si je monte ma course est terminée. En même temps je sais qu’il reste encore 13 ou 14km dont 7 de descente… l’enfer dans mon état. Je ne peux même pas marcher.
KM60 Je dis « OUI ». Ils me montent dans leur voiture et me déposent plus loin au ravitaillement de Torre del Time. Une fois là-bas les secours me prennent en charge. Ma tête tourne. Juste le temps de prendre mon portable et d’envoyer un message à Floflo et Flore l’épouse de François FAIVRE mon copain du Team HOKA qui suit la course…. Ils me couchent sur la table et je « tombe dans les pommes ». Youpi !!! Instantanément ils me relèvent et me mettent du froid sur tout le corps. Bon ben finalement j’ai bien fait d’arrêter. Ils enlèvent ma puce électronique sur mon pied.
Ma transvulcania s’achève là… je suis triste de ne pas avoir franchi la ligne… même loin de l’objectif espéré mais au moins terminer cette magnifique course. Mais le corps à dit non ! L’espagnol d’Adidas Luis Alberto Hernando remporte pour le deuxième année consécutive la course et bat le record de Kilian JORNET de 90 secondes. Il gagne en 6h52 et des brouettes… incroyable ! Il relègue les autres (pourtant pas des peintres) à plus de 20 minutes.
Bravo au 3 français qui rentrent dans les 20. Leurs chronos ont aussi souffert de la chaleur mais c’est déjà énorme d’avoir terminé. Il y a eu plus de 620 abandons au final. Maintenant place aux vacances (à l’heure où j’écris elles se terminent). Mais la « Isla bonita » vaut le détour ! c’est une belle île luxuriante et les voyages servent à ça aussi … Prochain gros rendez-vous de ma saison fin juin à l’Andorra Ultra-Mitic : 112km et 9000m D+. Une découverte pour moi car je n’ai jamais passé autant d’heures à courir. On verra ce que ça donne ! »
>> Les résultats de le Transvulcania 2015 : resultats transvulcania
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