Aller courir un trail en Patagonie, quel traileur passionné n’aurait pas été séduit par cette idée ?
Le projet s’est monté par Asics en début d’année, et rapidement, les dates étaient cochées sur le calendrier : le 12 avril, nous serons les heureux chanceux à s’envoler vers le Sud du Chili, avec en ligne de mire le 70km de la première édition de l’Ultra Fiord.
Nous sommes 7 à faire partie de l’aventure. Laurent et Cathy Ardito, les managers du team Asics, Xavier Thevenard (qui sera au départ de la course aussi) accompagné d’Amélie, sa chère et tendre, et 2 photographes, Pauce et Édouard, qui ne mettront que quelques heures avant d’enfiler des Asics aux pieds ! 😉
Toute l’équipe se retrouve à Paris Charles de Gaulle dimanche 12 avril, enthousiaste et excitée à l’idée de cette expédition en Patagonie !
Un voyage comme celui ci, ça se mérite. Il nous faudra donc pas moins de 30h pour rejoindre la destination finale où Bastien, un français de l’équipe organisatrice de l’Ultra Fiord, nous accueille : Punta Arena. 5H de moins qu’en France.
On décale nos montres, et on laisse notre corps digérer comme il le peut ce décalage horaire jamais évident à encaisser.
C’est dans un « hostal » typique de la région à 3h de voiture de notre point atterrissage, que nous passons ces 2 premières nuits en Amérique du Sud, et le footing de décrassage de mardi autour du Fiord à Puerto Natales nous permet de prendre conscience de la beauté des paysages qui nous entourent.
Paisible, sauvage, c’est le dépaysement total ici !
Mercredi, nous refaisons les valises pour aller les poser aux pieds du départ de la course, un peu plus au nord, à Hotel Del Paine, environ 1h40 de route de Puerto Natales.
Un endroit encore moins civilisé, fait de grands espaces naturels. Quelques rares habitations espacées de plusieurs kilomètres ; ce n’est pas ici que l’on pourra acheter des souvenirs ou remplir un caddy : quasiment rien d’urbanisé, uniquement de la nature et des spécificités de la région.
Chevaux, chiens, chats, perroquets, moutons, arbres morts, ou encore sentiers marécageux, tout est source d’admiration et d’inspiration ici.
Quelle quiétude, c’est incroyable ces grands espaces, une vraie bouffée d’oxygène !
On savoure ces instants, on fait quelques jolis clichés souvenirs, on se dit qu’on a de la chance d’être là …
Jeudi, veille de course, nous nous penchons un peu plus en détails sur le parcours, les points d’assistance accessibles, la logistique des ravitaillements, ou encore le matériel obligatoire.
Sur le papier, le profil de la course me plaît beaucoup, avec des portions qui semblent roulantes, entrecoupées de multiples petites bosses, puis un passage un altitude avec une ascension d’au moins 1000m positif.
Le directeur de course nous a parlé de plusieurs difficultés, avec notamment quelques traversées de rivières, et une portion de 5km sur la neige.
Personnellement, je n’aime pas les passages trop engagés (je repense au Luchon Aneto Trail), donc forcément, en apprenant tout ça, je ne suis pas super sereine, mais Stjepan semble plutôt rassurant.
La liste du matériel obligatoire est longue, je n’avais jamais vu ça … (mais après coup, je comprends pourquoi …) : manches longues, collant, gants, bonnet, veste thermique, coupe vent, veste à capuche, frontale, carte et profil de la course, couverture de survie, sifflet, jusque là, c’est plutôt normal.
Mais se rajoutent aussi : couteau, trousse de secours avec 3 bandes élasto, 2 doses de sérum physiologique, 1 compresse occulaire, 5 pansements, …
On a presque l’impression de partir pour une véritable expédition avec tout ça ! Du coup, pas le choix, je vais devoir prendre le Camelback !
Tant mieux, ça m’obligera à m’y faire à cette bête là. Bon, je cale tout bien dedans, mais j’ose espérer ne pas avoir besoin de me servir de la moitié des choses quand même.
Ça ne serait quand même pas bon signe. 70Km et 3200mD+, je me dis que si je suis sur un bon jour, je devrais arriver avant la nuit et passer en moins de 11h.
On a été gâté avec le temps jusqu’à maintenant. Il fait très frais le matin et le soir, mais en journée, quand le soleil se montre, il fait bon.
Les prévisions sont moins joyeuses pour demain, on verra, il faudra faire avec de toute façon !
Le but demain, ce n’est pas d’aller faire la guerre, c’est de passer un bon moment et de profiter de ce cadre exceptionnel qui s’offre à nous. J’ai hâte de découvrir tout cela !
Le peu que nous avons déjà eu la chance de découvrir laisse présager quelque chose d’incroyable, il va quand même falloir prendre le temps d’admirer le paysage.
Je sais que sur ma distance, j’ai au moins une concurrente de taille, annoncée comme grande favorite : Manuela Vilaseca du team The North Face.
C’est un objectif pour elle apparemment, elle ne risque pas de faire de quartier ! Pour le reste, peu d’infos sur les participants.
Nous ne sommes pas très nombreux, mais ça se comprend. La Patagonie, ce n’est pas la porte à côté, il faut pouvoir se payer le voyage pour une course.
Et puis aussi, il faut avoir envie de courir autant de kilomètres !
L’évènement propose 4 distances : un 100 miles, un 100km, un 70km et un 30.
Le départ du 100 et du 70 est commun. 8H30 vendredi matin, devant l’Hotel Rio Serrano, situé à quelques mètres de notre logement. 5H20, le réveil sonne, la nuit fut courte, mais je me dirige vers la salle du petit déjeuner avec le sourire et l’envie.
Un seul bémol, il pleut. Et d’ailleurs, il a plu toute la nuit. Les coureurs du 100 miles sont partis à minuit, leur parcours traverse l’hotel, et le premier de la course passe sous mon nez alors que je suis en train de boire mon café !
Il est trempé et plein de boue le pauvre. Je lui demande comment il va et comment se passe la course, il me répond : « it’s dark ! » Bon ok ! Il prend même le temps de se changer, vêtements, chaussures. Bon, et bien, ça promet !
Mais cela ne me coupe cependant pas la motivation, heureusement.
Xavier me rejoint, ainsi que le reste de l’équipe. On retrouve Maximilien, qui fait partie de l’équipe organisatrice, il m’annonce un beau petit chantier et m’explique que les choses ne vont pas être si simple que ça.
Bon, je commence à me préparer psychologiquement à vivre quelques heures de galère quand même.
Du coup, j’opte pour une tenue chaude : manches longues thermiques, corsaire et manchons de compression, gants, buff, et veste coupe vent à disposition sur le devant du Camel.
J’emmène également de quoi être relativement autonome : de la poudre Isostar, plusieurs gels et barres ; deux flasques de 500ml et 2 frontales Petzl, une e-lite et une Tikka.
Notre assistance ne pourra nous voir passer qu’une seule fois sur le parcours, au 29ème kilomètre.
8h10, nous allons vers le départ en courant avec Xavier. Il fait encore nuit, mais le jour se lève doucement. D’ici 20 minutes, il devrait faire jour.
Il pleuviotte, mais rien de très alarmant. Nous retrouvons tous les coureurs dans le hall de l’hotel Serrano. Quelques connaissances également : Genis Zapater, l’athlète Asics espagnol qui m’a accompagné sur le tournage de la pub télé en Nouvelle Zélande, ou encore sur le shooting en Slovénie.
Cécile Bertin est là aussi, elle a opté pour le 100km, courageuse !
Étrangement, aujourd’hui tout est différent des autres courses. Une certaine tension est palpable. Parce que c’est l’inconnu complet.
Nous n’avons aucune idée de là où nous allons nous jeter. C’est excitant, mais c’est aussi légèrement angoissant. Je ne sais pas pourquoi, j’ai comme un mauvais pressentiment …
8h30, les coureurs se rassemblent sur le départ, bonne ambiance malgré tout, on sent du stress, mais on sent aussi que tout le monde part dans l’optique de s’amuser et de prendre son pied !
Pas de brief d’avant course, le décompte des secondes et c’est parti. Ça part vite, mais le tout début de course est roulant (profitons-en, ce sera la seule partie !).
Les jambes sont bonnes, la forme est là. Devant nous, un troupeau de chevaux nous coupe la route, le ton est donné.
À peine 2 kilomètres, et nous étions prévenus, c’est le moment de se jeter à l’eau avec une première rivière à traverser.
Toute l’équipe est là pour nous encourager. Pas de stratégie à adopter, mais j’entends Laurent me conseiller : « ralentis, passe doucement, prends ton temps ! »
De toute façon, il ne faut pas réfléchir et se poser de questions, je me jette donc dedans et avance. L’eau monte de plus en plus haut à mesure que j’évolue.
Il y a une corde pour se tenir, je l’attrape en me disant qu’elle ne doit pas être ici pour rien. Je me retrouve au final quasiment avec de l’eau jusque sous les bras, et c’est gelé !!
Je ne peux pas m’empêcher de lancer un « aaah » d’exclamation. Je suis glacée mais quelques mètres après, une fois dehors, ça va mieux et le corps retrouve sa température normale.
Nous changeons ici complètement de parcours, avec beaucoup plus de technicités.
De nombreuses racines au sol, beaucoup de boue, des sentiers étroits qui obligent à rester les uns derrière les autres.
On enchaîne les petites bosses, ça se court toujours mais l’allure ralentit bien à cause des conditions et du terrain bien cabossé, pas le choix ! Il pleut de plus en plus fort. Je mène un petit groupe, 3 gars me suivent.
Je me sens bien, je suis donc en tête chez les féminines, mais je me doute que Manuela ne doit pas être loin. Je propose plusieurs fois aux gars derrière de passer si l’allure ne leur convient pas, mais ils me disent que c’est ok.
On essaye de discuter mais ils ne parlent pas l’anglais et je ne parle pas l’espagnol, donc, c’est compliqué !
De toute façon, il faut mieux rester concentré ici, c’est glissant et très technique au sol. Nous traversons parfois des mares de boue, j’ai réussi à tomber dedans et à m’en mettre jusque dans les oreilles.
On taquine un peu, on râle, on hallucine un peu de ce chantier, mais on avance en se disant que le plus dur sera derrière.
Le parcours est montant depuis un moment, les gars finissent quand même par me doubler dans la descente qui suit et qui nous mène à l’endroit qui est sensé servir de point de ravitaillement, au bord du Fiord, aux alentours du km16, Lago Brush.
Je me retrouve seule. Voilà que la course change de configuration.
J’ai déjà avalé une barre, mais j’attrape celle que me tend un chilien placé sur le bord de l’eau. Il me fait signe de montrer mon dossard, c’est le pointage et donc le point ravito numéro 1.
Ok ! J’ai vidé une gourde de 500Ml, il m’en reste une pleine. J’essaye de demander de l’eau mais soit, il ne me comprend pas, soit il n’y en a pas !
Tant pis, j’aurais assez pour aller jusqu’au 30ème, de toute façon, je suis trempée, j’ai froid, je n’ai pas soif.
Retour dans l’eau ici, seulement jusqu’à la taille cette fois ci, mais c’est suffisant pour saisir !
On longe une plage de sable gris le long du Fiord, on s’enfonce, le sable est mou, c’est difficile de courir et ça le sera d’ailleurs encore plus ensuite avec le bazar qui nous attend …
Je fais désormais route seule.
Il pleut fort maintenant, j’ai de plus en plus froid, ça grimpe, ça glisse, je n’arrête pas de me tordre les chevilles dans ce bourbier, ça ne va pas bien vite, je me décide donc à sortir ma veste Gore Tex à capuche (qui est en fait celle de Manu et qui m’arrive donc aux genoux …
Je ne ressemble à rien, mais au moins, je suis un peu mieux protégée). Le sentier est toujours très étroit, gorgé d’eau et de boue, ça ruisselle de partout !
Je n’arrête pas de répéter à haute voix : « mais c’est quoi ce bordel, c’est pas possible ! » Ça y’est, ça commence à m’agacer, je ne prends pas de plaisir, je n’arrive pas à courir comme je l’aimerais à cause de la technicité du parcours.
On est obligé de passer en mode marche, sinon les risques d’accident sont trop importants.
Le temps me paraît long et nous ne sommes même pas à mi-parcours … On ne peut même pas profiter du paysage puisque nous sommes en fond de vallée et qu’on ne voit que des arbres et de la végétation qui entourent le chemin.
Je ne prends aucun plaisir sur cette partie de parcours et me demande à plusieurs reprises ce que je fais ici.
Aux alentours du km26, je me fais rattraper par deux coureurs, dont la brésilienne, Manuela Vilaseca !
Elle a belle allure, je me mets sur le côté pour la laisser passer et l’encourage. Ça fait du bien de croiser du monde !
J’essaye de l’accrocher mais elle est bien plus à l’aise que moi sur ce terrain casse-pattes.
Et rapidement, je ne la vois plus et me retrouve de nouveau seule.
Je parviens tant bien que mal à atteindre le premier ravitaillement (km29) où toute l’équipe m’attend.
3h50 de course. Ça fait un bien fou de retrouver du monde.
Je me confie à eux avec sûrement un air de désespoir : « c’est quoi ce chantier ? C’est n’importe quoi cette galère !
C’est impossible de courir là dedans, je ne prends aucun plaisir, c’est horrible ce parcours ! »
Cathy et Laurent me réchauffent, me rassurent, me bichonnent, ils sont au top. Je bois une soupe bien chaude, je prends le temps de m’arrêter quelques minutes et de refaire le plein de gels, barres et d’eau.
Je demande des nouvelles de Xav, on m’annonce de bonnes nouvelles : il est en tête avec 40′ d’avance. Chouette !
Difficile de repartir quand on prend autant de plaisir à retrouver de la chaleur et du réconfort, mais plus vite je serais repartie, plus vite je serais arrivée !
Allez, hop, je me motive et reprends ma route. Laurent me lance quelques mots au passage : « tu as fait le plus facile, le plus dur arrive, prépare toi. » quoi, quoi, quoi ?? On peut faire pire que ce qu’on vient de vivre là ?
Trop tard, je suis engagée; sauf en cas de grave accident qui me met à l’arrêt, je sais que j’irais jusqu’au bout.
On n’abandonne pas sur une course en Patagonie juste parce qu’on en a marre voyons !
Je suis suivie d’un coureur en quittant le ravitaillement. C’est le second du 100km.
On essaye de discuter un peu en anglais, je le laisse passer et tente de le garder en ligne de mire, ça me rassure.
Manque de bol, cela ne durera pas longtemps et je le perds vite de vue. Le petit sentier de départ laisse vite place à quelque chose qui ne ressemble à rien du tout …
Le balisage (quand on parvient à le trouver) nous indique un chemin qui n’est juste pas un chemin !
On traverse les ronces, on rampe entre les branches, on écarte la végétation pour se frayer un passage … et tout cela sur une pente qui nécessite d’avancer mains posées au sol parfois.
Autrement dit, impossible de courir ici, j’ai même l’impression de partir en reculons à certains endroits ! Un calvaire !
Plus je grimpe, plus l’environnement devient hostile (et le mauvais temps rajoute encore un peu au côté dramatique de la chose) : on prend 900m de dénivelé positif en 4,5km !! Et je ne mets pas moins de 1h30 pour atteindre ce premier sommet.
Et j’ai dû m’arrêter 5/10 minutes à un point, parce que je ne trouvais pas mon chemin. Prise de panique, j’ai crié à l’aide en espérant que quelqu’un ne soit pas loin …
Mais les écarts entre les coureurs étant trop importants, nous sommes livrés à nous même dans ce chantier qui commence à vraiment virer au cauchemar …
5h30 de course, je suis au km34. Un truc de fou comme j’avance pas !
La neige commence à apparaître ici et là, mais je sais que le pire m’attend avec 5km à courir dessus.
Je fais vite les calculs : partie comme ça, je risque de finir à la nuit, c’est sûr ! J’appréhende la suite.
La balisage nous fait passer sur les pierriers, c’est mouillé donc glissant. Il fait de plus en plus froid, et à ce premier sommet, ça souffle fort.
Les vêtements mouillés avec ces traversées de rivière : horrible ! 2km à effectuer sur la crête en pierriers, je ne regarde que mes pieds (trop de brouillard, on ne voit rien, c’est même effrayant ce décor), et essaye de m’entourer de pensées positives.
J’avance prudemment, un pas après l’autre et je mettrais donc 30 minutes pour faire ces 2km ! Voilà, voilà, je ne suis pas arrivée quoi.
Le brouillard se dissipe doucement et un immense décor commence à s’offrir à moi : wouaaaaah ! Comme on se sent petit ici ! J’ai l’impression d’être à 3000m d’altitude, entourée de hautes montagnes, de neige, et cet incroyable glacier ….
À un moment, j’ai espoir d’être arrivée au sommet et me dis : « allez, on va entamer la descente » ! Mais il me suffit de lever la tête pour prendre conscience : « han mais non !
Ce n’est pas possible, on ne va pas passer là haut sur le glacier ! » Et si ! J’aperçois des petits points noirs avancer doucement sur la neige tout là haut, ce sont les coureurs devant.
Ils sont loin, si petits … Je suis complètement anéantie, complètement découragée, je n’ai plus envie, plus la force mentale, mais j’y vais, j’avance, je grimpe.
On croise deux photographes ici, improbable !!
Pas la force de sourire, désolée les gars. J’ai plus l’impression de leur demander de l’aide en silence, mon regard doit être rempli de détresse et de désespoir, je me fais presque pitié.
Au sol, gros rochers à enjamber, quelques passages enneigés et puis un peu plus loin, juste la neige. Mi neige, mi glace fondue.
Ça glisse, c’est instable, je ne regarde pas en bas, ça me donne le vertige et j’ai peur. J’ai vraiment la boule au ventre de trouille en fait !
Je me tiens à quelques cordes mises à disposition pour nous aider, mais cela ne m’empêche pas de m’affaler dans la neige (sur le ventre ou sur le dos) plusieurs fois.
J’ai mis la capuche pour protéger mes oreilles gelés, je ne sens plus mes pieds, ni mes mains, j’ai le visage figé de froid.
Le vent est fort, de face, j’atteins un point de contrôle situé à mi pente. Les chiliens sont cachés au chaud dans une petite tente, genre 2 secondes.
ils sortent la tête de la tente à mon passage, je ne peux m’empêcher de leur demander : « c’est dangereux là haut ?? » L’un répond avec hésitation : »it’s ok ».
Je serais bien restée là avec eux, mais je n’ai maintenant qu’une chose en tête : atteindre le sommet pour basculer de l’autre côté !
500m de dénivelé positif à faire en 2km, sur ce glacier, vent de face, sur la pente, un véritable cauchemar !
Et bien, je mettrais quasiment 1h pour atteindre ce sommet. La plus horrible de ma vie !
Mais j’y suis. J’ai perdu tous les membres de mon corps, mais je suis en haut ! Un alpiniste couvert comme un esquimau nous encourage au sommet, j’ai envie de lui sauter dans les bras et de rester à son cou jusqu’à me réveiller de cet affreux rêve …
Mais je ne me réveille pas et le cauchemar se poursuit. Je regarde derrière moi en espérant avoir quelqu’un pas très loin pour ne pas poursuivre seule, mais personne en vue …
Je bascule donc de l’autre côté du glacier pour retrouver … de la neige !! Mais en descente cette fois : glissades à gogo !
J’essaye de rester sur mes deux pieds mais je finis très souvent sur les fesses. Ça ne me fait pas rigoler du tout, j’avais déjà froid, mais là j’ai carrément l’impression que je vais perdre un membre !
Lorsqu’enfin, les portions de neige se raréfient, je retrouve un terrain fait de grosses ardoises coupantes sur lequel il ne serait pas bon de glisser.
Tu tombes là dessus, tu te coupes en deux ! C’est fou ! Je passe mon temps à chercher les balises, le brouillard épais par endroit les cache et ça devient vite la galère.
Je deviens obnubilée par deux choses : ne pas perdre les balisages, et rester sur mes deux jambes.
Peu importe le chrono, peu importe la place, je ne demande qu’une seule chose maintenant, terminer la course entière.
Je reste parfois plus de 10/15 minutes au même endroit, à chercher les balisages à droite à gauche, c’est l’angoisse.
J’en viens même par moment, à ne trouver qu’une issue possible : attendre mes poursuivants pour éviter de me perdre ici.
Mais en cherchant et en gardant son calme, on finit par trouver son chemin. Heureusement qu’il fait jour … je pense à Cécile Bertin qui passera peut être ici de nuit … la pauvre !
Avec tout ça, les kilomètres ne défilent pas bien vite et c’est seulement après 8h15 de course et toujours avec l’angoisse et le boule au ventre, que je parviens au prochain point de contrôle, le kilomètre 45.
Les jambes vont très bien, je n’ai pas de sensations de fatigue physique, mais je suis usée moralement.
Trop de frayeurs, trop de craintes, de stress, je pense aussi aux championnats du Monde dans 1 mois 1/2 et je n’ai pas envie de me blesser.
Je commence à avoir les pieds dans un sale état. J’ai eu tellement froid que j’ai perdu la sensibilité et je me suis tordue la cheville tellement de fois que j’ai mal partout.
Mais je positive comme je peux : il ne reste plus que 25km et je suis sortie de ce chantier flippant montagneux enneigé, glacé et dangereux.
Je m’arrête un peu avec les 3 chiliens qui se réchauffent auprès d’un feu, j’accepte quelques fruits secs qu’ils me tendent, une barre, je refais le plein d’eau.
Ils me demandent comment vont les jambes (enfin ce que je crois comprendre). Je leur réponds en anglais qu’elles vont très bien, mais que je suis fatiguée de ce parcours si difficile et je me confie : c’est la galère !
Je leur demande l’état du parcours après en espérant être rassurée, mais j’aurais mieux fait de me taire : beaucoup de rivières à traverser et de gadoue.
En effet, par le suite, je suis servie ! Mais dans quelle galère je me suis mise …
Je suis en plein milieu d’une forêt, j’ai l’impression d’être dans un film.
Pas de sentier, pas de chemin, mais si si, c’est bien là qu’il faut passer. Indescriptible !
Les chevilles partent dans tous les sens, je me prends des branches partout, j’ai les pieds qui s’enfoncent (mélange de boue, de tourbe inondée, ou même carrément de rivières), mais j’essaye de rester concentrée sur les balises bleu et blanche.
Je regarde le chrono et l’heure, le ciel s’assombrit. Je commence à craindre la tombée de la nuit.
Impossible que je me retrouve seule là dedans la nuit, impossible ! Il faut que j’arrive avant !
J’essaye d’avancer le plus vite possible mais avec ce terrain, c’est vraiment compliqué.
La nuit tombe, mais j’attends le dernier moment pour sortir la frontale, en me disant que plus tard je l’allumerais, plus je serais sûre d’avoir de la lumière jusqu’au bout.
Je ne sais pas combien de temps la batterie va tenir, mais j’ai besoin d’un bon éclairage dans cette forêt enchantée !
Ma montre GPS m’a lâché au bout de 9h30 de course, j’étais au km53 seulement.
Cette fois, il faut sortir la frontale, je ne vois plus rien. Je la sors de mon sac en continuant à avancer doucement, je remets tout bien le matériel dedans et je tente j’appuie sur le bouton pour l’allumer.
Ça clignote rouge … ça sent mauvais ça. Je tente toutes les manips possible, mais elle ne veut pas s’allumer, le bouton d’allumage reste rouge. Mais non ??? J’y crois pas !
Gros coup de panique, je commence à en trembler de stress là. Calme toi Sylvaine, tu en as une autre. Certes, c’est une e-lite mais c’est mieux que rien.
Nouvelle manip dans le sac, je sors la 2ème frontale, la e-lite. Je le tourne, re-tourne, secoue, mais elle ne s’allume pas non plus … La poisse !! Je tremble comme une feuille tellment je suis angoissée.
Bon, deux solutions : attendre qu’un coureur arrive et finir avec lui ou elle (mais j’ai trop froid pour attendre là), ou poursuivre dans la pénombre et tenter d’arriver jusqu’au prochain PC qui est placée au km58.
J’opte finalement pour la seconde solution, mais je ne fais pas la maline !
J’ai du mal à trouver ma route, je cherche les balisages, et cette forêt devient de plus en plus noire. Au sol, toujours le même bourbier, ça n’aide pas.
Le cauchemar, vivement que je me réveille. Je me perds, fais marche arrière de nombreuses fois, quand je finis par devoir me résoudre à m’arrêter.
Plus de rubalises, je ne sais pas où je suis. Comment vais-je m’en sortir ? Je ne suis même plus sur le parcours. Et si j’étais condamnée à passer la nuit ici ?
Je tente un truc en désespoir de cause et un peu en état de panique : je crie ! Je me dis que logiquement le PC n’est pas loin. « Ooooooh ! Éh Oh !! Y’a quelqu’un ?? »
Le miracle se produit alors : une réponse !! Je prends la direction du son de la voix et j’aperçois au loin, la lumière du feu ! Je tombe 15 fois avant d’y arriver, je rampe, me relève, retombe, …. mais je finis par réussir à la rejoidndre. Han, mais quelle chance !
Les gars hallucinent un peu de me voir arriver sans lumière, ils me questionnent mais encore une fois, on a du mal à se comprendre, ils ne parlent pas l’anglais.
Je tente de leur faire comprendre que mes frontales ne fonctionnent pas. Ils commencent à les regarder, les démonter, me demander si j’ai une autre pile …
Mais tu penses bien, si j’en avais eu une, je l’aurais utilisé ! Je leur explique donc que je ne peux pas poursuivre dans le noir et que je vais donc devoir rester ici avec eux.
L’un d’eux a dû avoir pitié, il retire la frontale de son front et me la tend. Je suis un peu gênée de lui prendre mais c’est ma seule chance de terminer … et puis franchement, je pense à ma survie à ce moment là. Juste à ça. La course, la performance, le classement …plus rien n’a d’importance, à part en terminer !
Et ils sont 3, ils ont plusieurs frontales. Alors j’accepte, je lui fais un gros bisou pour le remercier, je lui laisse mes deux frontales en caution et je lui donne RDV à la cérémonie de remise des prix le lendemain pour lui rendre.
Je repars, un peu plus sereine. Reste 12km !
Mais cette sérénité ne sera que de courte durée puisque rapidement, je me rends compte que sa frontale commence à faiblir et qu’elle ne va pas tenir très longtemps.
Décidément … Je suis obligée de faire des grands coups de têtes « haut-bas » pour gérer le balisage et la technicité du terrain.
C’est usant ! Et encore une fois, je suis perdue. Plus de balise ! Rooooo ! J’en ai ras le bol !! C’est la dernière ligne droite, mais je suis moralement à bout !
Ça doit faire bien 1h que je suis repartie du point de contrôle non ? je ne sais pas, je n’ai plus de montre. J’en profite pour me poser, prendre une barre de céréales et je tourne à droite à gauche pour trouver cette fichue rubalise bleue !
10 minutes plus tard, je la trouve enfin. Quel soulagement à chaque fois … Je reprends la route et quelques minutes plus loin, j’aperçois l’ombre d’une femme sur le côté.
Qu’est ce qu’elle fait là ? Ça fait quelques heures que je ne n’ai pas vu un spectateur. Les derniers, ça devait être au km29, au ravitaillement. Étrange !
Je m’approche et au moment de passer à côté, je me rends compte que mon imagination commence à me faire des blagues : j’ai halluciné, c’est juste un arbre ! Il est grand temps d’arriver là … La solitude me pèse tellement, que je commence à imaginer du monde sur le parcours.
Je n’ai plus du tout notion du temps ni des kilomètres, mais j’ai l’impression d’être repartie du ravitaillement il y a plus d’1h30 !
Je vois une frontale arriver vers moi. Encore une hallucination ?? Non, cette fois, c’est bien réel ! Un randonneur ici ?? Impossible ici, et en pleine nuit ! Il s’approche, c’est un coureur.
Il ne semble pas s’étonner de me voir en sens inverse, je le stoppe pour lui demander pourquoi il va dans ce sens.
Pas de réponse, il ne parle pas anglais. ça l’énerve, il poursuit et s’éloigne. Merci bien la courtoisie !
Bon, je me pose 10 000 questions, mais je continue dans mon sens. Après tout, je continue à suivre le balisage. Quelques minutes encore plus (15, 20 ou 30 ? Je n’en sais rien !), je recroise 3 frontales à la suite qui arrivent sur moi.
Y’a un soucis là ! Je repose la question ! Ah des anglaises, on arrive à se comprendre.
Elles m’expliquent que je suis dans le mauvais sens, l’arrivée du 70km, c’est 7 miles dans le sens inverse ! Han misère !! mais j’ai fait combien de kilomètres dans le mauvais sens ??
7 miles, c’est énorme ! Découragée, je fais donc demi tour et repars avec les deux filles.
Ce sont les deux premières féminines du 100km. Les deux favorites : Brittany Dick et Krissy Moehl.
Je suis dégoûtée de m’être rajoutée des kilomètres, d’autant que je devais être presque arrivée, mais je suis rassurée de ne plus faire route seule. Elles ont des NAO et m’éclairent bien le chemin, j’en profite et je reste collée derrière !
Ça me change la vie … Là, je prends conscience clairement que d’avoir une bonne frontale, c’est primordial, tu vas deux fois plus vite ! Et d’être plusieurs, ça aide aussi pour le soutien moral.
On traverse encore des rivières, des mares de boue, des trucs qu’on ne peut même pas nommer tellement ça ne ressemble à rien …
Je continue à me tordre et me retordre la cheville. Je pense à Cathy et Laurent, à Manu, je me dis que sans nouvelles, ils doivent se faire du soucis.
Je ne sais pas quelle heure il est, mais c’est sûr, j’aurais dû arriver bien avant si je n’avais pas autant galéré.
Aucun moyen de suivre les coureurs, il n’y a aucun moyen de géolocalisation sur la course. J’espère au moins qu’ils seront à l’arrivée …
Les kilomètres ne passent pas vite, nous raccrochons un espagnol. Les filles sont un peu plus devant, je n’arrive pas à les suivre à cause du manque de visibilité !
Je ne vois pas où je mets les pieds. je reste proche du gars, qui semble avoir plus de difficultés et va à un rythme moins élevé. On ne devrait plus tarder maintenant ?
Mais je ne vois que les étoiles dans le ciel, pas le moindre espoir de lumière d’arrivée … On poursuit, je croise les doigts de ne pas tomber dans un trou, j’avance vraiment au hasard.
Nous sommes enfin sortis de cette forêt, je respire un peu mieux et je commence à espérer voir bientôt l’arrivée !
J’entends les filles traverser une nouvelle rivière devant et j’entends une voix qui ressemble à celle de Laurent. C’est lui ? Une hallucination encore ?
Je passe à mon tour dans l’eau et là, j’en ai la certitude c’est Laurent qui est là : « Sissi ? »
Han Laurent, tu peux pas savoir comme je suis contente de te voir ici !! Je donne mon sentiment en deux mots : un enfer.
Il me dit de profiter, ça y’est, c’est fini, l’arrivée est juste là, dans quelques mètres.
Je ne savoure rien du tout, j’ai juste envie d’en finir … Mais ça y’est, la ligne était devant moi, c’était terminé.
Tant de choses se bousculent dans ma tête à ce moment là.
Mais je ressens surtout comme une délivrance, un soulagement, la pression qui retombe, la peur qui s’échappe, …
Toutes ces émotions que j’ai retenues pendant ces 13h de course sortent d’un seul coup : je tombe en larmes dans les bras de Maman Cathy !
Le bonheur de retrouver toute l’équipe, de prendre conscience que je suis désormais en sécurité, … tout se mélange et j’ai besoin de quelques minutes pour reprendre mes esprits et réaliser …
Ce ne sont pas des larmes de joie, ce ne sont pas des larmes de tristesse, ce sont juste des larmes de « ouf ».
Pour la symbolique, chaussettes et chaussures ont dû partir à la poubelle en rentrant à la maison …
2 jours après l’évènement, j’avais les deux chevilles qui ressemblaient à un arc en ciel, des grosses douleurs au niveau du périoste et des ligaments qui avaient « légèrement » chargé.
Le bilan est vite fait : cette expérience hors normes doit juste se vivre pour se comprendre.
Le terme « trail » n’est vraiment pas adapté ici, il faudrait plutôt employer les termes de « raid » ou d' »expédition ».
Le but ici n’est surtout pas de vous dissuader à vous lancer dans l’aventure ULTRA FIORD, au contraire, c’est une course qui se transforme en défi personnel et qui apporte énormément sur divers points et notamment le dépassement de soi.
Mais il faut juste avoir conscience que c’est une course complètement différente de celle que vous avez l’habitude de vivre tous les Week end. Elle nécessite une préparation physique ET mentale qu’il ne faut absolument pas négligée.
Bravo et merci aux organisateurs, bravo à tous les finishers et surtout merci à Laurent, Cathy, Xavier, Pauce et Édouard qui ont été là pour m’accueillir à l’arrivée et tout le long de la course d’ailleurs.
Des moments forts qui marqueront ma vie et qui, indéniablement, m’apporteront pour la suite.
Je vous invite à lire également le récit de course de Cécile Bertin, très bien écrit ! Et bravo à vous d’être allés au bout de ce long récit, un autre ultra ! 😉
> Plus d’informations sur l’ULTRA FIORD sur le site de l’évènement. (attention, les vidéos sont trompeuses ! ;-))
Sylvaine CUSSOT
(Photos : organisation ULTRA FIORD / Team Asics / Rodolfo Soto / Leandro Chavarria | CZPhoto.com.ar)