Il a participé au 80km de l’Eco-Trail de Paris samedi 21 mars dernier. Une nouvelle belle aventure qu’il ajoute à son palmarès et qu’il souhaite partager avec nous. Découvrez ici le récit de l’Eco-Trail de Paris de Benoît Carlin.
« Je me suis bien entraîné avant d’aborder l’Eco-trail. Sans abus, non plus. Normalement je suis frais, d’ailleurs ce matin, j’ai de bonnes cannes. Bon, c’est sûr, j’ai mal dormi mais ce n’est pas grave. L’accès à la course nous a posé quelques difficultés et l’ambiance avec mon épouse s’est un peu tendue aux abords du départ, mais l’orage est déjà passé. Je suis seul de mon cercle d’amis coureurs à m’aligner ce matin, ça c’est un peu une première pour moi et ça m’embête.
Et cette histoire de pic de pollution ? Oui mais mon ami Arnaud, urgentiste, m’a dit d’aller courir… Alors… je suis là… Ce matin je suis motivé oui, mais il me manque un p’tit je ne sais quoi. Sur la ligne de départ quelqu’un m’appelle, c’est Patrick un expert dans le domaine du trail et des belles courses… Un gars de chez moi, un ancien partenaire d’entraînement et quelqu’un pour qui j’ai beaucoup de respect (UTMB, les Pyrénées, la Diagonale, des supers chronos sur semi, Sedan-Charleville et marathon …). Un dur au mal et un mec adorable. Je l’embrasse, on échange quelques mots et le départ est donné.
Je me suis promis de partir lentement (4’50’’ au km) c’est ainsi que je fais mes meilleures courses. Oui mais là c’est plat comme la main pendant 20kms et sans aucun effort, sans essoufflement, je suis à 4’30’’. Je me freine mais impossible de respecter mon tableau de marche. Je vais un poil trop vite.
Le seul repère éventuel pour cette course où je ne connais personne c’est une des meilleures féminines « Sylvaine Cussot ». A la SaintéLyon elle est partie plus lentement que moi et m’a doublé vers le 55ème. Si je pars derrière elle aujourd’hui c’est tout bon pour moi. Et c’est ce que je fais. Vers le 10ème kilomètre je pense qu’elle navigue 30’’ ou 1’ devant moi, je ne la vois pas. Mon épouse m’informe, elle est juste devant… Ok c’est très bien.
Le 1er ravitaillement arrive, je ne m’arrête quasiment pas. Je remplis juste une gourde. J’aurais dû remplir les deux, quel idiot je fais… Je m’engage sur les 20 km suivants avec une gourde, ça va faire juste car je commence vraiment à avoir soif. Les 1ères côtes se dessinent et là je hausse un peu le ton. J’ai bien le temps pourtant… Comme je ne m’entraîne qu’en côtes dans mes belles Ardennes, je retrouve un peu de mon instinct et là je double du monde, du monde… et je reviens sur Sylvaine. Je la salue … un peu euphorique d’être avec elle. Ce n’est pas qu’une vedette de magazine, pour moi surtout, elle avance ! Finir avec elle est synonyme de perf pour un vétéran dans mon genre qui aspire encore au progrès.
Mon épouse et mon fils jonglent habilement avec le GPS et parviennent à m’encourager tous les 10 km environ, cela me fait le plus grand bien… Je discute un peu avec Sylvaine jusqu’au second ravitaillement. Elle me dit que Manu est en tête, je lui dis que je fais le même boulot que lui. On parvient même à parler entraînement. Ces quelques mots échangés restent succincts mais ils comptent … J’ai très soif, je me gave d’eau, fais le plein aussi et repars très vite du second ravito, je suis sur mon nuage…
Sylvaine est un peu derrière…Je pense qu’elle a été retenue. Je ne l’attends pas. Je grimpe à l’observatoire de Meudon, c’est facile, j’ai la socquette légère, je m’emballe. Je suis bien. Dans le parc de l’observatoire il fait froid, le vent souffle fort et ne va tarder à tourner…pour moi. Sylvaine me revient dessus et mètres après mètres je dois me résigner à la laisser filer. Quand j’arrive au ravito du 55ème elle n’est pas loin de repartir quand j’arrive. Je prends mon temps, je bois un thé, je trouve une chaise pour m’asseoir. Je n’ai plus le même visage. La joie m’a quitté. J’ai mal aux jambes, tellement mal aux jambes, je me ferme.
Maintenant je focalise sur ma douleur et sur mes idées noires. Je vais moins vite, je ne grimpe plus, je me fais doubler, je me délite… Mais normalement en fin de course c’est moi qui double, la gestion de course c’est mon point fort, j’endure bien habituellement… Encore 20kms à souffrir, à me faire passer, à mourir quoi… J’ai envie de rentrer chez moi, ce serait tellement facile, je monte dans la voiture et dans moins de 3h je suis au coin du feu. Je n’arrive plus à analyser, à relativiser… Et là une fenêtre s’ouvre… Je pense très fort à mes élèves. Lundi je vais leur dire : « non finalement je ne suis pas monté à la tour Eiffel car le maître avait mal aux jambes ». Non c’est juste inconcevable ! Réellement ce ne sont que deux coureurs qui m’ont doublé. Et mon rythme n’est pas si faible.
Je reviens sur un coureur du team Isostar (Pascal) mais je suis incapable de le passer alors on se met à discuter, discuter, discuter… Un peu avant le dernier ravito mon cerveau arrête de focaliser sur les douleurs, il « switch ». Mine de rien notre rythme redevient correct et les jambes reviennent, Pascal finit par me dire de filer. Sans vraiment m’en apercevoir j’ai retrouvé ma foulée, du coup il ne peut plus suivre alors je me relance accompagné d’Hervé un trailer de ma région au palmarès très bien fourni, je cours vers la Tour Eiffel, je ne perdrai pas ma crédibilité, mon statut ni mon honneur...
La dernière ligne droite arrive, je ne touche plus terre, Hervé est un peu derrière, ici c’est l’Alpe d’Huez tellement il y a du monde. Ça y est je suis dans les marches je ne les grimpe pas quatre à quatre mais j’ai encore de bonnes jambes. Finalement je m’oblige à ralentir juste pour les savourer. Un peu plus de 7h que j’attends ce moment. Un sacré beau moment.
La ligne arrive, une blagounette (petite blague dans le langage du maître) lancée à la cantonade (« Comment je vais faire pour bosser lundi ? »*), une petite interview au micro (je ne sais même pas ce que j’ai dit), une jolie discussion avec deux Bretons qui me précèdent, une descente épique en ascenseur avec un Italien gelé que j’ai pris avec moi sous ma couverture de survie, encore quelques émotions, des regards, des paroles et ma famille que je retrouve enfin.
C’est bon de les revoir… Oui c’est vraiment très bon. On est heureux d’avoir vécu ça de manière collégiale… Je les remercie pour ce qu’ils font pour moi. Au-delà d’une certaine distance, la course n’est plus seulement une course… Elle est une aventure. »
(NB : * J’ai bien bossé lundi et toute la semaine, avec mes p’tits élèves)
Benoît CARLIN