L’Eco-Trail de Paris 2015. Une course cochée à mon calendrier depuis un an, alors même que l’édition 2014 n’était pas terminée.
Un gros sentiment de frustration et d’inachevé l’an dernier après ma chute et ma fin de course aux urgences de Boulogne. Il fallait que j’y retourne, il fallait que je franchisse cette ligne d’arrivée que je n’avais pas pu franchir à cause de ce malheureux accident. J’avais une revanche avec moi même.
L’épreuve s’articule plutôt pas mal avec l’ensemble de ma saison, en considérant que ce format permet aussi d’intégrer cette course dans la préparation des championnats du monde fin Mai. Une bonne course de prépa certes, mais en le gardant tout de même en objectif. Et c’est en bonne forme, motivée et préparée, que nous arrivons sur Paris, avec Manu, ce vendredi 20 mars 2015.
Le vendredi après midi est consacré à des conférences de presse au showroom Asics. L’occasion de partager un moment avec le team et les représentants de la marque, d’échanger avec quelques journalistes, de faire le point sur divers sujets et puis … de faire bien monter la pression à Taz (Thomas Saint Girons) qui sera dans quelques heures au départ de cette nouvelle épreuve : la Verticale de la Tour Eiffel !! 😉 On le taquine, mais on l’admire. Pas si simple d’enchaîner avec le 80km le lendemain, bravo Taz ! Le diner au restau est d’ailleurs animé par le live de sa course, que nous tentons tant bien que mal de visionner. Spectacle raté, on n’y voit rien et c’est le lendemain au petit déjeuner que Thomas nous raconte ses exploits !
C’est l’un de avantages de cette course (à mon sens) : avec un départ à 12h, pas besoin de mettre le réveil en pleine nuit. Personnellement, j’apprécie ! Petit déjeuner collectif à 8h30 et nous prenons la direction de la base de loisir de Saint Quentin en Yvelines pour le départ du 80km. Ce n’est pas du tout dans mes habitudes, mais Manu a réussi à me faire stresser. Il se met une grosse pression ce matin, et son anxiété est communicative ! Je stresse de le voir stresser ainsi. Briefing des ravitaillements avec Cathy et Laurent Ardio et en route. Je retrouve mon papa avec mon petit frère et ma sœur sur la zone de départ. Chouette, ils sont parés et excités à l’idée de suivre toute la course jusqu’à ce soir, je m’en réjouis et je m’estime très chanceuse de les avoir à mes côtés. Quelques foulées d’échauffement suffisent pour une mise en jambe, on a assez de kilomètres pour chauffer la machine ! 😉
Météo idéale pour courir : gris mais pas de pluie, frais mais pas froid. Du coup, ça sera short/tee shirt, manchons sur les mollets, manchettes sur les bras. Matériel obligatoire calé dans les poches de ma ceinture porte-bidons. 1,5 litres à porter en plus de tout le reste, ça pèse ! Je décide donc de m’économiser jusqu’au premier ravitaillement et de ne remplir qu’un bidon et une flasque. J’emmène une seconde flasque vide pour être en règle et avoir la contenance exigée sur moi, bien entendu. 11H45, il va falloir se placer. Une longue file indienne de coureurs se forme. 2000 participants annoncés, ça prend de la place ! Un dernier bisou à notre chère assistance, et nous voilà prêts à partir. Parmi les prétendantes au podium chez les filles, j’ai entendu les noms de Anne Valéro, Badia El Hariri, ou encore Simona Morbelli (vainqueur de l’édition 2014). Elles sont bien là, à côté, prêtes aussi !
Midi pile, le compte à rebours est lancé et les chronos se déclenchent : c’est parti ! J’avais prévu de mettre les freins au départ, mais c’est plus fort que moi, je reste au contact de Anne et Badia, juste devant. Simona est partie comme une fusée avec les gars devant, il serait complètement déraisonné de tenter de la suivre. Elle s’échappe d’entrée de jeu, sur des allures incroyables. Je crois qu’elle est motivée pour garder son titre … ! 😉 La première partie est un vrai billard, c’est piégeux. On a tendance à vouloir dérouler et à gagner du temps en allant vite, mais la route est longue, très longue. Je le sais pourtant, mais me fais moi même avoir. Passage au 10ème kilomètre en 44 minutes, nous évoluons sur des moyennes un peu trop rapides à mon goût, mais je suis le mouvement. Les sensations sont bonnes, les jambes légères, le souffle régulier … Je suis bien, je ne me sens pas en sur-régime.
Anne commence à ralentir l’allure (mais c’est peut être volontaire pour mieux gérer plus tard), je la sens perdre le rythme. Badia reste devant, je la double mais elle me redouble très rapidement, et creuse un écart suffisant pour que je la perde de vue. Tant pis, ou tant mieux, je ne sais pas trop à ce moment là, mais je positive en me disant que ça me permet de ralentir un peu la cadence sans culpabiliser. On fera un état des lieux sur les écarts plus tard. Chaque coureur trouve tranquillement son rythme et entre dans sa bulle. Je bascule donc mon MP3 en mode ON et j’entre également dans la mienne en restant concentrée sur ma foulée et sur le terrain (je garde à l’esprit ma mésaventure de l’an dernier, sans me focaliser sur ça non plus). Je fais quand même un petit coucou d’encouragements à Samuel Étienne et ses joëlettes quand je les double : un super bel esprit qui motive. Merci les gars !
1h40 de course, 22ème kilomètre, nous voilà à Buc. Déjà ! Fred Bousseau d’Endurance Mag m’annonce les écarts, Badia est 2 minutes devant. Merci ! Un peu trop tôt pour s’y fier mais ça permet de pouvoir se situer. Laurent et Cathy sont là, ils m’attendent. Remplissage de bidons en express, je prends des nouvelles de Manu et repars après avoir fait un gros bisou de loin à mon papou et aux enfants ! Le prochain ravitaillement est situé au 45ème kilomètre, c’est donc nécessaire de faire un bon plein ici. J’ai bien pris de quoi manger, et je me retrouve cette fois avec la ceinture double porte bidons archi pleine : plus de 2kgs sur le dos, je déprime ! Comme un coup de massue, ce poids m’embête vraiment, j’ai l’impression d’aller deux fois moins vite, d’avoir les jambes lourdes, de me trainer quoi. Je me fais doubler par plusieurs coureurs, dont quelques connaissances. Fabrice Bedin, puis Pascal Gangloff, ou encore Alexandre Huno ou Michel Bowie (vous ne perdez rien pour attendre les gars, je n’ai pas dit mon dernier mot!). Ils m’encouragent, c’est super sympa ! Mais ça ne me rend pas la forme pour autant …Dommage !
C’est d’autant plus navrant que c’est la partie du parcours que je préfère. Enfin quelques bosses ! Ça monte, ça descend, j’adore ces passages vallonnés. Là où j’aurais espéré prendre du plaisir et peut être gagner un peu de temps, je subis … Je bois, je bois pour alléger mes bidons, j’avale une barre, et j’avance comme je peux en attendant que ces sensations pourries disparaissent. Bon, le rythme n’est malgré tout pas mauvais, et l’avantage, c’est que ça me permet de récupérer. Pour le moment, je connais le parcours, l’an dernier, j’étais encore en course ici. 38ème km, je m’approche du lieu du drame et je redouble de vigilance. Les racines sont de plus en plus nombreuses et je visualise pile l’endroit où j’ai chuté l’an dernier. Cette fois, je ne me suis pas faite avoir ! Un léger petit coup de pression et c’est presque un sentiment d’euphorie qui m’envahit lorsque je laisse ces vieux mauvais souvenirs derrière moi. Ça y’est, je suis en terrain inconnu, j’ai passé cette barrière psychologique. Bizarrement, les sensations reviennent et je parviens à reprendre un rythme plus soutenu. Coincidence ou pas, je n’en sais rien, mais je ne suis bien contente d’aller mieux ! 40km en 3h20, et dire qu’il y a 5 ans, je m’arrachais pour tenter les moins de 3h30 sur marathon … Ça me redonne le moral du coup (qu’est ce qu’on peut cogiter pendant ces longues courses quand même!).
Traversée de la Forêt de Meudon, quelques belles bosses nous régalent, et voici le 2ème ravitaillement au 45ème kilomètre. Pas d’assistance ici, rien à manger, juste de quoi remplir les bidons. Un monsieur m’arrête pour me faire passer au contrôle du matériel obligatoire. Ok ok, allez hop, on fait ça vite alors ! Je sors ma poche : pièce d’identité ok, brassard réfléchissant ok, frontale et pile de rechange ok, tel portable ok, couverture de survie ok, gobelet. Les 1,5l de contenance, « c’est bon pour vous ? » « non attends, on va te donner une balisage GPS ! » Roooo non, je râle, je n’ai plus de place et je ne veux surtout pas un gramme supplémentaire. « Pas le choix mademoiselle, vous êtes 3ème ! » J’embarque donc sa balise et j’essaye de tout caser dans ma ceinture pleine à craquer. Le prochain ravitaillement n’étant que dans 10km, je ne remplis qu’un bidon. Ça ira pour cette fois ! Tiens Alex, comme on se retrouve ! Je ne sais pas s’il a un coup de mou ou si c’est moi qui vais mieux, mais cette fois, je repars devant lui.
On m’annonce Badia à 2/3 minutes seulement, en me disant que Simona n’est qu’à 2 minutes de Badia. Ah oui ? Ça veut dire qu’elle a un peu ralenti et que j’ai peut être une petite chance de recoller ? Sait-on jamais ! Je me sens mieux, j’essaye de ne pas flancher, la route est encore longue. Et puis je n’ai pas les écarts derrière, Anne est bien capable de remonter aussi ! Papa et les enfants font quelques apparitions sur le parcours ici ou là, quel bonheur de les avoir sur le côté ! Ils me donnent de l’énergie à chaque moment où je les croise, c’est un vrai booster, ils sont au top ! 🙂 J’ai l’impression d’avoir bonnes allures sur cette partie. Chaque bénévole m’annonce les 2 premières juste devant. En effet, sur une longue ligne droite, je reconnais Badia, au loin, avec son sac violet Oxsitis. Lâche rien Sissi, tu peux recoller !
Km55, 4h50 de course environ, on arrive à Chaville au 4ème ravitaillement. Cathy m’attend, elle me donne les écarts, prend des nouvelles, m’en donne de Manu (en tête avec Yoann), je refais le plein (trop plein même, je n’arrive pas à tout rentrer et suis obligée de garder un gel et une barre dans la main). Et on y retrourne. Je reprends la route avec Laurent Desmet, quel clown celui là !! On se marre, c’est extra, il enchaîne vannes sur vannes, ça fait passer le temps. Il dit être mort, mais bon, Laurent, quand on peut rigoler comme ça, c’est qu’il reste un peu d’énergie quand même non ? 😉 Bref, le temps passe vite du coup, on se motive l’un l’autre, ce qui nous permet de doubler quelques coureurs et de remonter dans le classement. Les cuisses commencent à être bien douloureuses, surtout dans les descentes. Ah tiens, on raccroche Fabrice Bedin, qui reste un moment avec nous, puis nous laisse partir. Le parcours est varié jusqu’à Saint Cloud, avec des passages en forêt, des traversés de domaine … Quelques jolis panoramas sur Paris, j’en profite !
Parcours un peu tortueux ici, avec des petits « talus » bien sympathiques à un moment de la course où « on ne les aime plus trop ces p’tits talus !! ». Je vois toujours Badia devant, à moins de une minute, ça me motive à serrer les dents pour essayer de l’approcher. J’accélère clairement l’allure, les gars avec moi me boostent bien, merci à eux et c’est finalement juste avant d’arriver à Saint Cloud au dernier ravitaillement que j’arrive à son niveau. Je l’encourage, elle prend peur et sursaute ! « han, tu m’as fait peur ». Oups, désolée, ce n’était pas le but. Je souris et poursuis, elle accélère pour rester avec moi et me redouble. Du coup, nous arrivons ensemble à ce 5ème ravitaillement, au Parc de Saint Cloud. 67ème kilomètre, 6h de course. Laurent est prêt à me réceptionner. Bon, forcément, au coude à coude, on arrive un peu vite et ni l’une ni l’autre n’avons envie de perdre du temps. Je speede Laurent, attrape un bidon, lui redonne celui qui est vide, attrape barre et un gel shot energy Isostar, le truc qui est sensé te donner un bon dernier coup de fouet !
Sans tarder, je repars, Laurent me suit à côté pour me donner les infos des écarts et surtout m’annoncer la bonne nouvelle : Manu vient de franchir la ligne en vainqueur ! Ça me file des frissons, comme je suis contente pour lui, c’est génial ! On échange avec Laurent rapidement, et en même temps, j’avale mon shot Isostar et lui rend le contenant vide quelques mètres après. D’un seul coup, j’entends Badia crier derrière : « tricheurs ! Ravitaillement hors zone, vous allez prendre une pénalité ! » quoi ? Qu’est ce qu’elle dit ? Pourquoi elle s’énerve comme ça ? Elle continue de crier, lance je ne sais quoi à Laurent au passage et au scooter qui la suit. Je laisse Laurent et repars pour la dernière ligne droite … Pas la plus simple !
Une longue descente de 2/3km nous emmène jusque sur les quais de seine, et Badia me double avant d’arriver en bas. Elle me lance : « je suis navrée pour toi, mais tu vas te prendre une pénalité ! Ravitaillement hors zone ! » Je n’en reviens pas … Je tente de lui expliquer ce qu’il s’est passé, que j’ai laissé mon gel vide à Laurent juste en repartant du ravito, qu’elle se trompe, mais elle ne veut rien savoir, m’écoute à peine, et accélère devant. Elle semble vraiment énervée. Je ressasse le truc dans ma tête, ça me perturbe, j’ai les jambes coupées. Comment peut on imaginer des choses pareilles et balancer ça de cette manière si méchamment ? Je ne comprends pas et il me tarde que l’on puisse avoir une explication à l’arrivée, je déteste être prise pour une tricheuse alors que je suis en règle. Bref, je poursuis en ruminant le truc en tête, et vois Badia au loin qui s’envole. J’essaye de positiver en imaginant Manu là haut, savourer sa victoire. J’ai hâte de le retrouver, peu importe mon résultat. J’ai une 3ème place assurée sur le podium (si je ne me casse pas un pouce sur les quais ! ;-)), et c’est déjà super ! Si je ne perds pas trop de temps, je peux espérer rentrer en 7h, c’était inespéré pour moi au départ.
Papa et les enfants m’encouragent sur les quais, ils sont à fond dans la voiture, trop bien ! Je regarde ma montre : 71km, allez, tu tiens le bon bout, serre les dents, tu as fait le plus dur. Dans ma tête, les classements sont désormais figés, ce n’est pas maintenant que les choses bougeront. Ce n’est vraiment pas la partie la plus agréable de la course … Les voitures klaxonnent, on a l’impression de déranger et la vie parisienne s’active autour de nous, dans notre souffrance ! Trottoirs, bord de scène, traversée de rue, c’est le centre ville de Paris quoi ! Mais lorsque l’on commence à apercevoir la Tour Eiffel, ça commence quand même à sentir bon. Quelques spectateurs encouragent quand même, et m’annoncent très proche des filles. Je retrouve papa sur le côté qui m’apprend que Badia est passée en tête, Simona a vraiment un bon coup de mou. Il est ému et me donnerait presque envie de pleurer ! Nous faisons route avec un coureur très sympathique qui me fait oublier la douleur de ces derniers kilomètres, merci à lui.
La Dame de fer se rapproche. Je la regarde et au même moment, je reconnais Simona avec sa tenue bleue. C’est bien elle ? Il doit rester à peine 1km, ça se tente ? On se lance le défi avec le coureur qui m’accompagne (je ne connais même pas son nom), on accélère et Simona est de plus en plus près maintenant … Nous finissons par arriver à son niveau, elle accélère avec nous et s’accroche, puis lâche le rythme. Je le maintiens et creuse ainsi un petit écart qui me permet d’arriver en bas de la Tour Eiffel avec une légère avance. Je croise Pascal avec sa caméra (pour une fois, j’ai du mal à sourire, désolée Pascal ! ;-)), un coucou à ma famille qui me fait frissonner, et hop, j’attrape le ticket qu’on me donne pour commencer l’ascension de ce grand monument ! Magique cette dernière ligne droite, j’adore !
Je m’étais faite à l’idée en me disant qu’avec l’euphorie de l’arrivée, ces escaliers devaient presque être simples à monter. Mais en fait, pas du tout ! Et loin de pouvoir les courir en courant (même si j’ai commencé de cette manière, je me suis vite calmer après quelques marches), je les ai grimpés assez difficilement et même plutôt en gémissant ! 😉 Heureusement que mon copain de course et Laurent Brière étaient était là pour me motiver. Mains sur les cuisses, on avance, une marche après l’autre … Cela paraît interminable mais le bruit de l’euphorie là haut est réconfortant et annonce une arrivée imminente.
Dernier virage, dernières marches, la lumière, le bruit et ça y’est, me voilà enfin au premier étage, face à cette magnifique et tant espérée ligne d’arrivée … Le speaker annonce mon nom, je cherche des yeux Manu, ma famille, les amis, pour savourer ce moment avec eux, mais tout va très vite et je franchis la ligne les pouces levés, comme promis, pour la symbolique de l’an dernier : promesse tenue, revanche prise, j’y suis arrivée, me voilà en haut de cette Tour Eiffel après une longue course de 80km ! 6h58, 2ème féminine et 37ème au scratch, un résultat qui me comble de bonheur après celui d’avoir pu retrouver les bras de mon homme pour le féliciter de cette magnifique victoire.
Pour clôturer la soirée, une belle cérémonie aux pieds de la Tour Eiffel digne de ce superbe évènement, et pour clôturer l’histoire, une explication avec Badia, vainqueur de l’épreuve par rapport à cette embrouille de fin de course … qui ne semble malheureusement pas la convaincre, mais pourtant … ! C’est dommage, mais ça n’enlèvera rien à la magie de cet évènement et au bonheur que nous avons vécu en se retrouvant là haut avec Manu, fiers l’un de l’autre et contents de ne pas avoir bosser tant d’heures sur les sentiers pour rien ! 😉 Pour résumer, une très belle vidéo de Laurent Brière, chouette souvenir et beau boulot !
Sylvaine CUSSOT
Photos : Rémi Blomme, team Asics, Frédéric Poirier
Emmanuel GAULT – Ecotrail Paris 2015 – le final… from Laurent BRIERE – BEtrainedProd. on Vimeo.