Placée en toute fin de saison, la Saintélyon n’est pas la course la plus simple à aborder pour tout traileur qui a déjà bien rempli son calendrier ! L’envie était bien présente pour Manu et pour moi, mais un bon gros point d’interrogation persistait depuis quelques jours déjà sur nos états de forme respectifs. Un déménagement fatigant, des travaux qui s’éternisaient tard le soir, des séances d’entraînement bâclées … On savait donc que cette dernière grosse de l’année n’allait pas être simple ! Mais il fallait composer avec.
Avec un départ donné à minuit le samedi soir, la Saintélyon est qualifiée de doyenne des trails nocturnes. 72km (et 2000m de dénivelé positif) à effectuer à la frontale entre Saint Étienne et Lyon, en passant par les crêtes des Monts du Lyonnais. Chaque année, les conditions climatiques sont affreuses … Neige, verglas, brouillard, froid, ou pluie, rares sont les éditions qui permettent de contempler les étoiles dans le ciel lyonnais ! Cette année, la neige s’est bien invitée quelques jours avant, le froid aussi (1 degrés au départ à Saint Étienne) et la pluie a également décidé de prendre part à la fête le jour J ! Parfait, on allait donc avoir la chance de vivre une VRAIE SAINTÉLYON ! Celle qui nous en fait tant baver.
Partis de la maison vers 18h30, nous arrivons au Parc Expo de Saint Étienne (lieu du départ) vers 22h, après avoir fait une pause « gavage de féculents » sur la route. Nous retrouvons l’équipe d’assistance sur place : Cathy et Laurent du team Asics, Laurent Brière le photographe qui suivra la course pour réaliser une vidéo de l’évènement, Manu Meyssat, fidèle supporter, Thomas Saint Girons et son coéquipier qui font équipe en relais, Antoine Cretenet d’Asics, mon papa est venu me supporter aussi avec mes deux frères … Bref, nous ne serons pas seuls cette nuit et c’est une chance d’être autant soutenu par ses proches. Préparation du matériel, des tenues, on peaufine la logistique avant le départ, les minutes défilent très vite et à 23h30, on prend tout juste conscience que c’est le moment d’y aller.
Tee shirt manches courtes techniques, manches longues thermiques par dessus, coupe vent sans manches puis veste coupe vent à capuche. Bonnet, buff, gants, collant long, manchons de compression Sigvaris, … Je ne prends aucun risque, je déteste le froid ! La frontale chargée à bloc avec pile de rechange dans la poche, le MP3 chargé aussi et déjà en position sur les oreilles (ça m’évitera de perdre 2 ou 3 minutes à l’installer en chemin). Quelques mots à la caméra pour Laurent et nous sommes prêts ! Motivée, excitée, je trépigne ! Un seul petit bémol, j’ai encore mon tupper de riz/poulet sur l’estomac. Je sais qu’à un moment donné, je risque de le payer, mais bon, on verra.
Sur le départ, c’est l’effervescence depuis un moment. Une longue chenille de coureurs s’est formée, c’est juste impressionnant de se retrouver ici tout devant ! Les frontales scintillent dans la nuit, c’est la magie de cette course ! Le speaker est très bon aussi pour faire monter la pression. On y est. Le moment tant attendu pour ces 14 500 participants de cette 61ème édition est enfin arrivé … Ça papote dans la marrée humaine du sas de départ, ça rigole, ça stresse, ça se taquine, et puis, nous pensons à toi Michel, qui a tant donné pour permettre à cette Saintélyon de devenir ce qu’elle est aujourd’hui. Si belle et si grande ! Merci.
Un coucou à quelques têtes connues, et puis on savoure les quelques minutes qui précèdent le GO. Minuit pile, c’est parti. Très rapidement, le peloton s’étire à grandes foulées et les respirations se régulent tranquillement. 4’10 au premier kilomètre, 8’20 au second (ça me semble rapide pour un début de course qui fait 72km quand même), je passe le 5ème kilomètre en 22 minutes. C’est bien rythmé, mais je n’ai pas l’impression d’être en sur-régime, je suis le mouvement, sans me préoccuper des autres coureurs. Je ne sais même pas combien de féminines sont devant, mais de toute façon, avec les relais, c’est difficile de se faire une idée. Je sais aussi que le rythme va se tasser quand arrivera la première montée (mais bon quand même, je ne peux m’empêcher de me répéter : raisonne toi Sissi, raisonne toi !).
Nous évoluons sur du bitume pour commencer et pour sortir de la ville. La première ascension arrive enfin au km6. Voilà, voilà, je crois que tout le monde l’attendait ! Quelques spectateurs courageux nous encouragent, merci ! Ça grimpe tranquillement (mais sûrement) jusqu’au 10ème. 49’30 au passage du 10ème km. Déjà ? Je n’ai pas vu ce début de course passer, c’est plutôt bon signe. Je me sens bien, jambes légères et dynamiques, souffle régulier mais … j’ai super chaud et je suis déjà en sueur ! Je commence à prévoir de retirer ma veste pour la mettre autour de la taille, mais reviens très vite sur ma décision au moment d’arriver à ce premier sommet : le vent souffle sur les hauteurs, ça caille ! Le brouillard se fait bien épais sur quelques passages, le sol se fait de plus en plus boueux : léger manque de vigilance, je glisse sur un gros tas de boue et m’affale dedans. Aïe ! C’est la première (et surement pas la dernière). Pas de gros bobo, je suis juste couverte de boue sur tout le côté gauche et du coup, le froid m’envahit.
J’aperçois les lumières de la civilisation au loin, le premier ravitaillement approche, c’est Saint Christo, km15. Je n’ai rien mangé et quasiment rien bu. 1h17 de course. J’ouvre les yeux pour ne pas rater mon assistance et j’entends papa et mes frères Louis et Théo : »Allez Sissi ! » Je tente d’avoir des infos sur le classement, mais ça reste flou. Laurent m’attend plus loin, et m’annonce : « Sandrine est en tête (il m’avait prévenu au départ : »c’est une fille qui fait du raid, elle a récemment terminé un marathon en 3h, elle sera probablement devant toi, ne t’inquiètes pas »), Maud est à peine une minute devant toi ! Recolle la, ne reste pas toute seule. » Ok, je vais essayer, mais de toute façon, y’a pleins de garçons avec moi, je ne suis pas seule ! 🙂
En effet, je recolle notre grande favorite du jour quelques minutes plus loin. « Oh Sissi » elle me lance ! Je l’encourage en me plaçant à côté d’elle, et lui demande comment elle va. Maud, dans toute sa finesse : »ça va mais la galère, j’ai la chiasse ! » Et moi : »merde ! » Bon, c’est le cas de le dire en effet. J’essaye de la rassurer ; « ça va passer, accroche toi ». Et puis je crois qu’on y passe presque tous sur cette course par cet état là. Le froid, la nuit, le corps ne doit plus rien y comprendre, il réagit. Normal ! Je la double sur la fin de la montée mais elle ne perd pas de temps à me redoubler dans la descente. A priori, elle a repris du poil de la bête notre championne ! Plus prudente (ou moins guerrière) sur ce genre de sol instable, je la laisse partir.
Le point culminant de la course est atteint vers le 21ème kilomètre en 1h53. On ne voit pas grand chose ici à cause du brouillard, je me rends compte que j’ai bien ralenti l’allure avec tout ça. Un chemin de GR en profil descendant (avec tout de même quelques petites bosses par ci par là, au cas où on ait peur de s’ennuyer !) nous mène vers Saint Catherine, le second ravitaillement, au km27. C’est gras, glissant, caillouteux, piégeux quoi ! Les bonnes sensations de départ commencent à laisser place à de terribles maux de ventre, je suis obligée de ralentir. J’entends mon classement au micro : 4ème ! Devant moi, Sandrine Monier, Maud Gobert et Liliane Cleret (que je connaissais pour avoir déjà couru avec elle. Mais toujours derrière !). Mais ne je connais pas les écarts. Ravitaillement express ici encore, je me force à manger même si je n’ai pas faim du tout (et encore moins avec ces coups de couteau dans l’estomac). Merci à Laurent, qui me motive comme il peut. Je sais que ne les reverrais pas avant Soucieu en Jarrest, km48. Le ravitaillement de Saint Genou (km39) est interdit à l’assistance.
Je m’accroche comme je peux entre Saint Catherine et Saint Genou, mais je vis 12km d’enfer avec ce mal de ventre horrible. J’essaye de maintenir une cadence correcte mais je dois m’arrêter 3 fois quand même … Je sens que je commence à y laisser pas mal d’énergie d’ailleurs et pour éviter de trop m’affaiblir je bois beaucoup et mange bien. Le moral en prend un bon coup et voyant une féminine me doubler comme un boulet de canon je pense être passée 5ème (en fait c’était une coureuse d’un relais). Je décroche un peu j’avoue et mon état d’esprit « switch » en mode « juste terminer en limitant les dégâts ». Ça grimpe, je surveille ma montre, j’avais promis de faire un coucou à notre cher « Erik Balmont », positionné avec sa troupe au km33 dans la montée du bois de l’Éteillé (800 mètres avant Saint-André-la-Côte) pour faire la promotion de son Trail des Coursières. Il est bien là !! Quelle ambiance ! Wouah ! Merci, ça redonne un peu de baume au cœur dans ce moment de course un peu compliqué pour moi.
La musique me porte et me permet de penser à autre chose qu’au fait que je ne suis pas bien du tout, mais je continue à subir et cours en serrant les dents. Saint Genou, 3ème ravitaillement. Je remplis mon bidon expressément, et repars. Environ 3h40 de course, km39. On a passé la mi-parcours et je commence à sentir que la forme revient progressivement avec ces maux de ventre qui s’estompent. J’ai l’impression que je retrouve même une un bon rythme et l’énergie qui va avec. Je me mets à doubler pas mal de coureurs, me surprenant moi même en surveillant mes allures. Le moral revient, je sens que le mental reprend le dessus et que je repars dans une spirale positive. C’est bon, ça revient ! Je ne connais pas ma position ni les écarts, mais je n’ai qu’une seule chose en tête, profiter de ce moment euphorisant pour tout donner et peut être avoir une chance de recoller. « Il ne faut rien lâcher maintenant, tu as pris assez de retard comme ça, bouge toi les fesses Sissi ! » Le bois d’Arfeuille est passé, la montée de Saint André aussi, je n’ai pas vraiment examiné le parcours avant mais au km45, je crois que les plus grosses difficultés sont passées. Restons vigilants, le sentier est traitre dans la nuit !
Je continue de doubler doubler, (je suis passée, parait il, de la 215ème place au 15ème km, à la 61ème à l’arrivée, c’est motivant ça non ? :-)), et lorsque j’arrive au 4ème ravitaillement (Soucieu en Jarrest 48ème km), je suis remontée à bloc ! Je rassure papa, Laurent « ça va beaucoup mieux ! C’est comment devant ? » Des infos précises cette fois : « tu es toujours 4ème, la 3ème n’est pas loin devant et surtout, tu sembles plus facile qu’elle. Elle va 1km/h moins vite que toi ». Aaaaaah ! Le podium se rapproche alors, chouette ! Sortie du ravito : 4’30 au kilo, 4’10, je me sens pousser des ailes, la folie ! Mes jambes volent, je me sens vraiment bien et j’aperçois une féminine devant. Elle a des couettes, c’est typique de Liliane ça ! Au moment de la doubler je l’encourage et lui demande : »c’est bien toi Liliane ? » Affirmatif ! Ok, alors me voilà bien 3ème. Pas question de baisser le rythme, je ne lâcherais pas le podium maintenant. « Allez Liliane, accroche » (bon j’espère quand même au fond de moi qu’elle ne va pas trop accrocher hein ! ;-)).
Aucun souvenir (ou très peu) des 10 kilomètres qui ont suivi, à part que j’ai commencé à voir les panneaux de kilomètres restants défiler : « arrivée dans 20km » (c’est peu et beaucoup à la fois. Un semi-marathon. Après tout ce chemin parcouru, c’est rien finalement !), et que j’ai commencé à sentir tous les muscles, articulations, tendons, de mon corps … J’ai mal partout ! Mais le rythme tient encore. 5ème et dernier ravitaillement déjà, à Chaponost. Surprise, me voilà !! Je n’ai mis que 40 minutes à rallier les deux ravitos et mon assistance ne m’attendait pas si tôt. Si bien que rien n’était prêt et j’ai filé en râlant (désolée Laurent) : « il est où mon ravito ?? Pourquoi y’a rien en place ? » Tant pis, l’arrivée est proche. J’apprends en même temps que Sandrine n’est qu’à 1 ou 2 minutes : « et elle va 1km/h moins vite que toi ! ». Ah bon ? Ok, alors tant que je gagne, je joue, je sens que ce n’est pas maintenant que je vais craquer (enfin je l’espère en tout cas !). Je repars sans trainer après avoir pris de la motivation auprès de mes proches.
Je recolle effectivement Sandrine, la 2ème féminine, quelques minutes plus loin. Elle marche dans la montée, je cours et la double dans un single. Han, me voilà seconde derrière Maud ! Je suis euphorique mais reste concentrée malgré tout. Je fais un bout de chemin avec un coureur très sympa, Gaëtan, qui vient de Paris et avec qui j’ai quelques connaissances communes apparemment. On papote, ça fait oublier la douleur ! Panneau : arrivée dans 10km ! Yala ! 5h55 de course : « allez, si tout va bien, on passe en moins de 7h ! » Gaëtan lâche un peu 1 ou 2km plus loin, je poursuis sans lui. Surprise à 7km de l’arrivée, je retrouve toute la clique ! Papa, les deux Laurent, Antoine, … Ils encore plus euphoriques que moi et m’emportent dans leur enthousiasme ! « Sissi, la victoire est là, juste devant, Maud est à 50 secondes ! Elle marche là où tu cours »
Un mur ! Je m’en souviens ce celui là. La dernière grosse avant d’en terminer. Elle est bien costaud c’est vrai. Je cours à petites foulées. Laurent me dit : »marche ! tout le monde marche ici ! » J’hésite en me demandant, « j’irais peut être plus vite en marchant après tout ? » Mais je lui dis « non ! » Petites foulées, allez ! La délivrance en haut, il faut relancer maintenant ! J’attends d’avoir un peu de visibilité pour espérer apercevoir Maud, mais non. Au fond de moi, je n’y crois pas, jamais je ne la doublerais … Et si je la double juste avant l’arrivée, elle va réagir comment ? Et est ce que je vais oser passer et finir devant si près du but ? Une victoire à la Saintélyon ? Ce n’est pas possible … Je ne réalise pas que la victoire est là, juste à portée de main en fait … Pleins de choses se bousculent dans mon cerveau (bon, ça ne me fait pas oublier la douleur pour autant). Je pense à Manu qui s’est fait battre sur le fil (on vient de me l’apprendre), je sais qu’il va être super déçu. J’ai hâte de le retrouver pour qu’il me raconte !
Panneau : « Arrivée dans 5km ». 6h30. Je fais rapidement les calculs : si je fais une moyenne de 5′ au kilo, je passe en moins de 7h, c’est presque 30 minutes de moins que l’an dernier, et l’objectif serait plus que rempli ! Allez allez, on lâche rien. C’est peut être encore jouable pour recoller Maud ? Je n’en sais rien, je ne crois pas. Il ne faut surtout pas regretter. Les lumières de Lyon nous éclairent, j’éteins ma frontale, mais décide finalement de la rallumer (ça serait trop bête de se faire une cheville ici). J’éteins la musique mais décide finalement de la rallumer. Je ne sais pas bien ce que je veux là ! Ça tourne, des virages, des escaliers, des montées, des descentes, des barrières, tout va très vite, je ne calcule rien, j’entends à peine les encouragements qui me sont très gentiment envoyés (mais je réagis à ceux des coureurs que je double : « oh bravo, quel finish ! » « merci, allez courage à vous ! ». Les quais, les escaliers en tourniquet, le pont, un coucou à Yves Marie Quemener qui nous flashe sur le pont au passage (et me lance : »allez Sissi, Maud n’est pas très loin ! » Merci à lui).
3km. On entre dans le parc de Gerland. Je sais que la victoire est pour Maud qui ne devrait pas tarder à lever les bras. 2km, je retrouve Laurent, photographe et caméraman sur la course (vidéo ci dessous) qui me suit en filmant. Il m’encourage (merci), je lui demande des nouvelles des gars, de Maud, il me dit en rigolant qu’il a du mal à me suivre ! 1km, ça y’est, le DER ! Cette entrée dans ce grand gymnase est magique, il fait nuit dehors, les lumières, le bruit, la chaleur, nous attirent vers l’intérieur … Cette belle ligne d’arrivée nous tend les bras. Dernier virage, derniers efforts, j’entends vaguement l’annonce de mon arrivée au micro, j’aperçois du monde prêts à m’accueillir, ça fait chaud au coeur. En vérité, je suis presque mal à l’aise d’autant d’acclamations pour moi. Mais la ligne est là, je lève quand même les bras en signe d’un « youpi c’est fini ! »
Pas d’envie de pleurer de joie, c’est allé très vite sur la fin, je n’ai pas vraiment eu le temps de savourer et de prendre conscience que je venais de réaliser une belle performance pour mes petites jambes : 2ème féminine en 6h50, 61ème au scratch. J’aurais finalement mis 20 minutes pour ces 5 derniers kilomètres alors ! Il ne faut pas regretter, j’ai crois avoir tout donné. Je suis heureuse, très satisfaite, mais je suis quand même un peu navrée pour ceux qui me suivaient, de ne pas avoir pu faire plus … Désolée Laurent, j’ai essayé, je n’ai rien lâché, mais ce n’était pas suffisant. Je félicite Maud, elle était, encore une fois, plus forte ! C’est au moment de retrouver Manu et mon papa que les larmes me sont montées … Une belle séquence émotions qui sera la récompense de ces 6h50 d’effort.
Merci merci merci à tous, et que le sport nous fasse vibrer encore très longtemps ! Ci dessous, vous pourrez revivre quelques moments de cette Saintélyon, grâce à la belle réalisation de Laurent Brière.
Sylvaine CUSSOT
Photos : Yves Marie Quemener/Trail Endurance Mag. Laurent Brière
Au coeur de la SaintéLyon 2014 avec Sylvaine CUSSOT from Laurent BRIERE – BEtrainedProd. on Vimeo.