A 27 ans, le japonais Yuki Kawauchi n’est plus tellement un novice. Pourtant, le grand public l’a découvert ces derniers jours.
Remontons au marathon de New York dimanche dernier. Le groupe de tête est encore fourni, après un début de course plutôt prudent dû aux conditions météo (vent entre 40 et 75kmH. Mais nous avons passé la mi-course est cela commence à s’animer. Il reste deux japonais, dont Kawauchi. C’est lui qui semble le moins à l’aise, il grimace beaucoup. Chose surprenante, c’est lui qui porte une attaque devant les Mutaï, Kipsang et autre Keflezighi ! Incroyable! Son allure n’indique pas de bons signes : le geste est saccadé, les grimaces couvrent tout son visage … on se dit qu’à ce moment là, c’est suicidaire. Au final, son attaque sera vite contrée et lui glissera à la 11è place finale, en 2h16’41.
Le lendemain, en vous écrivant le résumé du marathon, Annabelle Rolnin, que j’avais interviewée après les mondiaux 2013, me contacte pour me demander si je connaissais ce fameux Kawauchi : » Non, pas avant la course d’hier où il a fait un peu n’importe quoi !… Globalement les marathoniens japonais sont moins connus du grand public que les kenyans…« . Annabelle était en train de préparer un article sur ce drôle de personnage. Le travail de recherche est vraiment très fouillé et très appréciable et je vous invite à le lire en entier : « le mystérieux M.Kawauchi« .
J’avais compris pendant la course que le japonais courait 10 marathons tous les deux ans. Annabelle explique qu’il a couru 11 marathons en 2013, à 2h10 de moyenne ! En fait, il a commencé sur la distance il y a 5 ans, et a depuis couru 40 marathons… soit une moyenne de 8 par an. Son record, réalisé à Séoul en 2013 est porté à 2h08’14 (59è performance mondiale).
Qui est cet ovni dans le monde de la course à pied ? Pourquoi courir autant ? Ça paraît tellement déraisonnable…
Cet homme n’est pas dans le système fédéral japonais. Il n’appartient pas à une structure professionnelle, et ne cherche pas à s’y intégrer, ce qui n’est pas très bien vu par l’élite des coureurs du pays. Il est employé dans un lycée, travaille 40h par semaine. Ce qui laisse peu de temps pour s’entraîner à haut niveau me direz-vous ! Pourtant, Kawauchi court mais « seulement » 140km par semaine. Annabelle, qui me demande quelles sont les semaines-types des coureurs de haut niveau, est intriguée d’apprendre que le kilométrage est plutôt situé entre 180 et 220km par semaine, avec des journées qui sont doublées voir même triplées.
Mais lui, elle découvre qu’il ne court qu’une fois par jour et s’entraîne sans coach, qu’il n’est soutenu par aucun sponsor ! Son travail de fonctionnaire ne lui permet pas. Elle nous explique qu’il s’en contente et que cet homme est heureux de sa liberté d’agir. Du coup, Kawauchi s’entraîne relativement peu comparé à l’élite. Mais il se différencie encore par ses méthodes, tout à fait personnelles. Son entraînement est constitué de footings de 20km à allure lente pour son niveau, autour de 12kmH, d’une séance de fractionné dans la semaine puis d’une course le dimanche. L’article d’Annabelle décrypte bien ses séances et les raisons du personnage à agir de la sorte.
Avec ses chronos, c’est certainement quelqu’un qui a des qualités exceptionnelles. Moins de courses et une méthode d’entraînement adéquate à son niveau lui permettraient sans doute de viser des références et des places encore plus belles ! On se demande bien comment il fait pour récupérer en enchaînant de la sorte, sans se blesser. Mais il doit sans doute y avoir quelque chose à en retirer, si ces méthodes marche pour lui.
Atypique, c’est bien le mot qui colle à la peau du japonais. Ses courses de haut vol sont souvent terminées au bord de l’épuisement. Il veut se montrer fort, la compétition signifie beaucoup pour lui. Vous le verrez encore dans l’avenir, il est insatiable, et compte atteindre les 2h07 dès 2015, obtenir des médailles dans les grands championnats et courir en 2h06 dans le futur pour montrer que » les africains ne sont pas les seuls à pouvoir courir ces chronos « . Il veut aussi… avoir couru 100 marathons, d’ici 2020… les JO de Tokyo !
Mathieu BERTOS