C’est en février 2014 que je m’inscris à l’Endurance Trail des Templiers, un Trail qui se déroule le 24 octobre à Millau en Aveyron et qui s’inscrit parmi les nombreuses courses de référence en France. Au programme 106km de chemins et 4800m de Dév+, l’équivalent de l’ascension du Mont-Blanc.
Cette course doit clôturer la saison et l’objectif est fixé depuis longtemps, il se veut ambitieux, je me fixe un classement TOP50 au général !
C’est avec mon pote Fred que nous allons partager cette nouvelle aventure, après la saison de triathlon qui s’est terminée au lac de la ramée le 21 septembre dernier. La transition Triathlon-Trail s’est opérée avec des entrainements spécifiques Trail principalement, séances de côtes, sorties longues de 30/35km les week-end et séances de seuil pour travailler l’endurance à vitesse élevée.
Jeudi 23 octobre, départ pour Millau, le matos est dans la voiture, direction le village des templiers pour le retrait des dossards. Déjà les nombreux traileurs affluent de tous les horizons, l’endurance trail est la première et la plus longue course du week-end qui propose environ 12 formats sur tout le week-end. Dossard en mains, le numéro 3336 sera le fil conducteur pour celles et ceux qui me suivront toute la journée.
Le gîte qui nous héberge est à moins de 2km de la ligne de départ, pratique pour le départ de la course. Toute la logistique du matériel est préparée avant le nuit, le nombre de barres aux amandes est ajusté en fonction du nombre de ravitos sur le parcours , les bâtons sont dans le sac, la poche à eau est remplie d’un litre et les 2 bouteilles de 0,5cl sont positionnées sur le devant du sac…Tout est prêt, reste plus qu’à trouver le sommeil à 9h30 du soir…, pas facile avec l’excitation de la course et l’envie d’y être !
Levé 2h30 du matin pour un petit déjeuner light, carbo cake / thé vert, un petit selphie pour immortaliser l’instant avec mon pote Fred et c’est parti pour la ligne de départ : 3° à 3h du matin, dehors il ne fait pas chaud, le simple teeshirt et les manchettes sont légers, le coupe-vent nous réchauffe en attendant le top départ. Positionné derrière la ligne de départ, nous sommes à quelques mètres des favoris : Thomas Lorblanchet (4 fois vainqueurs des templiers, champion du monde de trail), Julien Jorro, Adrien Seguret, Thomas Saint-Girons,…, il y a du lourd devant ! A 4h précise, la musique des templiers réveille la vallée, les fumigènes rouges éclairent la ligne de départ, la meute des 1090 traileurs s’élance sur la route, lampe frontale à pleine puissance, ça part vite, très vite, on se croirait sur un 10km… et pas sur un 106km !!!
Je donne RDV à Fred ce soir, derrière la ligne d’arrivée, chacun fait sa course de son côté. Il y a 6 ravitaillements au programme : Rivière-sur-Tarn km 19, Mostuéjouls km 36, Le Rozier km 46, Saint-André-de-Vézines km 66, La Roque-Sainte-Marguerite km 75, Le Cade km 95. Au bout de 6km de bitume nous quittons la route pour s’enfoncer dans les sentiers sombres et aborder la côte de Carbassas pour monter sur le cause noir : 473m de dev+ sur seulement 2,6km. C’est à cet instant que je double un copain qui peine et me dit « j’ai le palpitant à 200, ça va passer » (il a fait un marathon 2 semaines avant…).
Les premiers single track prennent le relais sur la montée et nous nous enfonçons dans le causse, nuit noire, ça va toujours vite, environ à 14,5km/h, slalom entre les buis et chênes puis c’est la première descente vers le village de Paulhe où j’assiste en temps réel, le sourire au coin des lèvres au suicide collectif de certains coureurs qui dévalent la pente à fond et qui ne se doutent pas encore que quelques kilomètres plus loin les premières crampes arriveront…fatales à ce stade de la course ! C’est là où l’expérience de ce type de course est riche d’enseignement, j’ai fait la même erreur sur les premiers trails. Premier ravitaillement au KM19 en 1h55, légèrement en retard sur mon timing de 10min, je ne m’arrête pas et poursuis ma route sans m’inquiéter d’avantage. Compte tenu de mon départ je pense être classé dans les 100 premiers.
Il fait toujours nuit, je pense à boire, à manger régulièrement et m’enferme dans ma bulle, je suis seul, je ne vois personne devant, je me retourne, aperçoit une lampe derrière moi et reprends mon allure, je fais mon chemin, les kilomètres défilent, il faut être attentif à tous les pas, il y a des racines, des pierres, ça glisse, je suis bien, la banane mais CONCENTRE ! 8h du matin, j’arrive au 2nd ravito, Km36, 9Km/h de moyenne depuis le départ et 1500m dev+, c’est rapide mais c’est passé tranquille malgré une petite alerte glycémique qui me rappelle qu’il faut manger et boire de manière très régulière.
Il fait jour maintenant depuis 20minutes, ça fait du bien de relâcher un peu l’attention, j’entre dans le ravito, les habitants sont là pour applaudir et encourager, on m’annonce à la 61ème place. Stupéfaction ! Mon mental vient de prendre une poussée d’adrénaline positive, je n’imaginais pas qu’il y avait seulement 60 personnes devant…Réaction immédiate : ma tête me dit de suite qu’il y a possibilité de faire quelque chose de bien aujourd’hui si je maintiens l’allure et que les jambes tiennent le rythme. A la façon des grands prix de formule 1, je repars en moins de 3minutes avec mon ravitaillement à la main, direction le prochain ravito au Km46.
Et c’est à ce moment là où je fais la première rencontre de la journée : Pascal Le Pouezard, V2, il vient de Bretagne, il fait du Trail depuis 25 ans, c’est un habitué des ultras, il a fait 4ème à la diagonale des fous en 2002, 10ème aux Templiers aux cotés de Thomas Lorblanchet et à un record au marathon en 2h34…je suis avec un spécialiste du Trail qui sait courir vite ! Ce Pascal est un chouette type, il m’entraine avec lui dans une belle bosse de 500m dev+ que nous faisons en marchant et me dis « tu vois manu, pas besoin de courir, depuis que nous avons entamé cette côte, personne ne revient sur nous ». Et il a raison, il faut savoir jauger son effort sur ces distances, marcher quand ça monte trop, courir à la descente, relancer sur le plat…et maintenir le rythme pendant toute la course !
Par contre, à la descente, dans les passages techniques c’est moi qui emmène Pascal, il est surpris par ma facilité et mon aisance à descendre tout en économisant les cuisses et les genoux. J’aime les descentes techniques, concentration maximale, anticipation du prochain appui…c’est ludique ! Nous parcourons 10km ensemble jusqu’au ravito du Km46 où sa femme l’attend (moi personne ne m’attend mais tant mieux car je ne vois pas l’intérêt de voir son mari 3min à un ravito !). Là encore je décide de ne pas l’attendre et de ne rester pas plus que 3minutes, je suis 56ème, je remonte doucement mais certainement au classement, le TOP50 n’est pas loin et la course est encore loin d’être finie, tout est possible ! Rapide, ce ravito est pourtant stratégique, le prochain est 20km plus loin, je n’oublie pas de remplir les bouteilles, de prendre 2 bananes entières, un verre de soupe et quelques tucs que j’emmène en quittant le ravito. Là aussi, au ravito, les quelques coureurs s’observent, se pressent, c’est à celui qui va rester le moins de temps pour ne pas perdre de place au classement.
La portion entre le Km46et Km66 est magnifique, alternance de single tracks, de passage au bord de falaises, à travers les buis, les lichens, ces paysages sont très sauvages, seules quelques maisons perdues au milieu de nulle part nous font lever la tête. L’allure est régulière, le rythme cardiaque ne monte pas, je suis en endurance, la fréquence cardiaque à 130/140 pulses, je cours sans me fatiguer avec toujours les mêmes réflexes, boire par petites gorgées, manger toutes les 45min…varier les appuis pour ne pas sombrer dans le bon vieux diesel qui vous endors et vous réveille quand vous êtes dans le mur ! Mais le chemin est interminable pour arriver au Km66 !!! Vous croisez des gens qui vous disent « plus que 3km ! » et au bout de 4km, il en reste encore 2 ! Insupportable de ne pas savoir ou vous allez mais tellement sympa de croiser ces personnes qui vous soutiennent, applaudissent pendant des heures sur le bord du chemin. Chapeau ces bénévoles !
4ème Ravito, Saint-Jean de Vésine sur le causse Noir est enfin là, le fameux Km66 et toujours le même rituel. Dans combien de Km est le prochain ravito ? Faut-il se charger en eau, manger en quantité ou léger pour atteindre le prochain point ??? Un rituel répété maintes fois à l’entrainement et devenu un réflexe. Les sensations sont toujours bonnes malgré la distance parcourue et la chaleur qui se fait sentir, il est 12h25, il ne reste que 40km, presque un marathon et 1500m de dev+ à gravir avant l’arrivée.Ca va être long, ne pas relâcher la concentration ! Entre le Km66 et le Km75, je ne me souviens plus de grand-chose, ni à quoi à qui j’ai pensé, je suis rentré en mode automatique, ça monte, ça descend, tient un photographe ! Je poursuis ma route…
C’est au ravito 5, à Sainte Marguerite que je vais faire ma 2nd rencontre : Marcel Collet, V2, tout juste retraité, résident à St Jean de Maurienne en Savoie, est aussi un traileur amateur : 47éme à l’UTMB en 2009, 10ème à la maxi race, 10ème sur l’ultratrail du Vercors…un beau palmarès !!! Nous parcourons plusieurs km ensemble mais il a un coup de moins bien et je pars sans lui, d’autant que nous abordons quelques portions plus roulantes et mon rythme est plus rapide, je pars seul, mais pas pour longtemps.
Dans une grosse montée je rejoins la première féminine, Christine Denis-Billet, pas très causante au premier abord. C’est ma troisième rencontre de la journée ! J’arrive enfin à discuter avec Christine qui me propose d’avancer ensemble, « à deux c’est plus facile » me dit-elle. J’accuse réception de sa proposition et nous voilà ensemble sur les sentiers à bonne allure, devant à tour de rôle pour ne pas perdre le rythme et avancer toujours plus. Christine me raconte son parcours : elle revient d’une grande déception, elle a raté les qualifications pour les championnats du monde de 100Km de très peu. C’est une habituée des podiums, Grand Raid de la Réunion, 6000D..,…encore une débutante ! (décidément c’est mon jour, je n’ai jamais courus avec des « bons »)
Nous faisons la route ensemble jusqu’à la dernière bosse, la côte du Cade, un monument à lui seul, plus de 15% de pente sur 3km en plein soleil, nous sommes au Km92 ! Jusque-là tout allait bien, mais c’est une hypoglycémie qui me rattrape et me scotch littéralement dans la montée qui devient un enfer. Malgré un fort mental et les relances à chaque pas, je vois soudain 1, puis 2, puis 3 coureurs revenir sur moi et me déposer. Pas de pitié, à ce stade de la course, une place de gagnée est bonne à prendre pour le classement final, ils passent, je ne les reverraient plus avant l’arrivée.
Le dernier ravito au Km95 en haut de la côte est mon salut, je mange 3 compotes, 2 morceaux de fromage, un verre de coca en moins de 4 minutes et me lance à corps perdu dans la dernière descente qui mène à l’arche d’arrivée, il ne reste plus que 7km, pas des plus faciles, c’est raide, il y a des pierres qui font mal aux pieds, je serre les dents, la délivrance est au bout du chemin, plus rien ne peut m’arriver maintenant, je file dans la vallée, j’aperçois le village, entends le speaker, plus que quelques mètres et je franchis l’arche, je vois mon nom s’afficher sur l’écran à cristaux liquides, il est 17h46, je suis 32ème au scratch, 7ème V1 en 13h46min, j’ai dépassé mon objectif, je ne suis pas cramé par la course, je suis simplement HEU-REUX ! I DID IT !
Je viens d’accomplir ma plus belle course, tout a fonctionné à merveille, je résume cette réussite en quelques mots : préparation spécifique, gestion de course rigoureuse, mental d’acier, envie de gagner, plaisir partagé, humilité, soutien familial. J’apprendrais par la suite qu’il y aura 42% d’abandons dont une bonne partie de la tête de course. Mon pote Fred finit en 18h31 son premier ultratrail, bravo à lui, ce n’est pas facile de rentrer dans la cour des ultratraileurs, ce monde tant différent et tellement peu compris de la plupart des coureurs…
Vient maintenant le temps de la récupération et le temps de profiter de cette magnifique performance qui enrichie encore plus mon expérience et me projette….vers la prochaine… ! Merci à ma famille, qui comprend ma passion et ma détermination, et à tous mes amis d’entrainements.
Emmanuel LABRID