Une première victoire, ça tient parfois à pas grand-chose.
Tenez, moi par exemple, je m’étais dit qu’à quinze jours du marathon de Montpellier -pour lequel j’ai débuté une préparation spécifique mi-août après deux saisons pleines en trail et ultra-trail qui m’ont sacrément fait perdre de la vitesse- je pourrais me trouver un trail d’une vingtaine de kilomètres, histoire de faire une dernière sortie longue avec un peu de rythme.
La recette avait fonctionné en 2012, puisque quinze jours après le trail de Bouzigues, je tapais un joli 2h48’ à Paris, record personnel atomisé de quatre minutes. Or, là, sur le calendrier, ce samedi 4 octobre, figurait un alléchant 24 km (et 520 mètres de D+) autour du lac du Salagou. Un cadre idyllique idéal pour une belle sortie d’entraînement, non ?
Sauf que j’ai failli ne jamais prendre le départ. D’abord, parce que par flegme administrative -on ne va pas parler de phobie non plus-, j’ai attendu le dimanche précédent pour m’inscrire… Et il ne restait plus qu’une poignée de dossards. Juste à temps… Sauf que par trop-plein de boulot, je n’ai pas envoyé à temps chèque et certificat médical, que j’ai finalement déposé moi-même dans la boite aux lettres de l’organisateur, à 23 heures, la veille de la course. Juste à temps… Sauf que, par étourderie, je me suis rendu à la base nautique du Salagou et non au camping de Clermont-l’Hérault, lieu de départ, et que le temps de me rendre compte de ma méprise et de refaire le trajet, je suis arrivé deux minutes avant que le Montpellier Athlétic Running Club ne clôture la remise de dossard. Juste à temps encore une fois !
Bref, me voilà tout de même sur la ligne de départ, suant à grosses gouttes pour avoir couru après mon dossard. Pas idéal pour aborder une course, mais au moins, même sans échauffement, j’ai réussi à faire monter le rythme cardiaque. Et il fallait bien ça, puisque sitôt le départ donné, le peloton de 600 coureurs (500 en individuel, le reste en relais) s’étire dans une première courte montée à travers cette roche rouge si spécifique, la ruffe, qui domine le Salagou. Surpris, respirant comme un bœuf, je laisse filer lorsqu’on retrouve le bitume qui nous ramène sur le barrage qui traverse le lac.
Je n’accroche même pas la foulée des deux-trois coureurs qui profitent du profil maintenant descendant pour rejoindre à 17-18 km/h le groupe de tête et je compte la poignée de maillots qui s’échappent quelques hectomètres devant moi. Un, deux, trois, quatre… Huit au total. Je me dis que j’en reverrais peut-être quelques-uns dans les prochaines bosses, que je peux accrocher un top 10 aujourd’hui. Je regrette seulement d’être tout seul, en chasse patate, personne ne semblant en mesure de revenir derrière. Moi qui pensais profiter de l’occasion pour ne pas courir seul aujourd’hui…
Balade autour du lac
La suite me donne raison. Au 3e km, alors que l’on aborde une courte difficulté sur un chemin très peu roulant, je reviens tout de suite sur quatre coureurs visiblement déjà dans le dur, dont deux effectuent le parcours en solo. « 3e, 4e et 5e…», compte un bénévole. J’en amène un avec moi et il décide de passer devant sur un petit monotrace technique qui redescend sur le lac. Je le suis sans difficulté aucune et remercie intérieurement Denis Clerc, le très célèbre Zinzin reporter, qui m’a transmis ses qualités de descendeur au cours des longues séances passées à préparer la Diagonale des fous l’an passé. Je dépose même mon camarade de jeu en bas en franchissant un petit ruisseau et revient encore sur un autre coureur qui peine à trouver son rythme sur des petits chemins qui ne cessent de monter et descendre. « 2e et 3e individuel. Le premier est juste devant », décompte à son tour un gamin sur son vélo, au moment où l’horizon se dégage et que l’on aperçoit effectivement une silhouette qui serpente sur les rives ensoleillées.
Je dois être en forme puisque 500 mètres seulement me sont nécessaires pour revenir sur lui. Je jette un œil sur son torse, tout en lui adressant un « allez » d’encouragement : mon nouveau compagnon de route porte bien un dossard blanc synonyme de course individuelle. J’ai à peine le temps d’avaler un gel et de boire une gorgée de mojito (enfin juste un sirop goût mojito, que l’on s’y méprenne pas) que je suis à nouveau seul. David Chapon, 3e l’an passé, me l’avouera après la course, il a pris un coup au moral lorsque je suis revenu à sa hauteur.
C’est donc un miracle qui se produit à cet instant de la course. Moi, le modeste coureur qui court surtout après des défis personnels, qui n’a jamais fait mieux que 5e, une fois sur une course dénuée de grosse difficulté, je me retrouve en tête d’un trail. Qui plus est, sans avoir l’impression d’avoir forcé jusque-là. Et je passe, fier comme Artaban, au 8e km, lieu du premier relais pour les équipes, devant des spectateurs admiratifs. « Déjà le premier individuel », j’entends notamment au passage. Je fonce tête baissée sur la petite bosse qui suit.
Pression…
Mais une première victoire tient à pas grand-chose, disais-je… Je paye mon arrogance 2 km plus loin, quand une série de coups de culs un peu plus pentus que les autres vient perturber ma balade. Le souffle se fait plus rauque et un coureur me revient dessus. Ouf, c’est un relais qui vient de s’élancer, il est tout frais. Je ne tarderai d’ailleurs pas à le retrouver, un peu rougeot, me suppliant du regard de l’attendre. Mais si je me retourne, j’aperçois à nouveau mon poursuivant immédiat en contrebas. A croire que je me suis enflammé, que je n’ai pas su gérer la pression de leader… Je me console en me disant que j’aurais au moins fait pour la première fois une poignée de kilomètres en tête de course et que cela suffira à impressionner mon monde.
La messe semble d’ailleurs dite un peu plus loin, au 14e km, quand je me perds en revenant au bord du lac. Pourtant, je résistais au retour du second, j’avais même réussi à relancer dans une descente encore un poil technique. Mais là, plus de balise et plusieurs chemins qui partent à droite et à gauche. « Mais c’est où bordel… ». « C’est là », m’indique David Chapon qui revient au même moment. Et voilà tous mes efforts réduits à néant. D’autant qu’on hésite encore trente secondes tous les deux sur la direction à suivre et que j’imagine déjà le moment où une meute de coureurs affamés et plus intelligents dans leur gestion de course nous rattrape.
Mais finalement… non. Si je laisse le nouveau leader prendre les devants dans un monotrace bien agréable, je lui colle aux basques. Et je m’aperçois qu’il n’est pas si bien que ça. A moins que ce ne soit une stratégie de sa part pour me laisser passer devant, il plafonne vite dans un petit bout droit. Je décide de repasser devant, je l’encourage à me suivre tout en accélérant. Et au moment où il faut se tremper les pieds dans une eau gelée, je me rends compte qu’il ne m’a pas suivi…
Avec tout ça, on est déjà au 16e kil, à l’autre bout du lac, lieu du 2e relais. Là encore, les applaudissements sont nourris. C’est vraiment pour moi ? Galvanisé, je décide de poursuivre mon effort sur les deux longues lignes droites qui suivent. Tout au bout, dans un virage qui ramène sur un autre passage à gué, je jette un œil derrière… Plus personne. Mais alors, je vais vraiment gagner ?
La perspective d’une première victoire me plonge dans une douce euphorie. Je ne cours plus, je vole. A chaque carrefour, les bénévoles m’encouragent et les kilomètres défilent sur mon GPS. 17, 18, 19… Et je fais le décompte à l’envers dans ma tête… 7, 6, 5… J’avale les petites bosses. Je n’oublie pas de reprendre aussi un gel pour le dernier effort. Et je repense à Denis qui après avoir étudié le profil de la course, m’a dit la veille que je pouvais faire une place puisque la fin de parcours, moins difficile, correspond parfaitement à mon programme d’entraînement du moment, fait de deux à trois séances hebdomadaires (sur cinq) de fractionné. M’imaginait-il en tête à ce moment-là ? Je ne pense pas…
Agile comme un cabri…
21e km. Il me semble apercevoir, au loin, le camping de Clermont-l’Hérault. Je n’ose me retourner et même si je commence à piocher, je maintiens le rythme entre 14 et 16 km/h. Je ne sais pas si je dois crier victoire, déjà, ou me préparer mentalement à un retour fulgurant de l’arrière. Comme si sur ces sentiers tout de même légèrement vallonnés, un mec pouvait courir à 18 km/h. Au moment où je m’interroge, sans doute moins lucide, je glisse dans une énorme flaque de boue et m’affale par terre. Pas le temps de tergiverser, de me plaindre, je me relève et repars aussi sec… façon de parler. « Attention, ça glisse », me prévient une spectatrice bien attentionnée. « Oui, j’ai vu… »
23e km. Les spectateurs se font plus nombreux. A chacun, je demande si l’arrivée est loin. Anxieux. « Bientôt fini, tu as gagné », me répond l’un d’eux, enthousiaste. Je n’ose y croire. Quand survient la délivrance. Après un petit pont, un grand champ. Et, au loin, l’arche d’arrivée et une haie (d’honneur) de spectateurs. Un œil derrière, un sprint pour la forme… Et je savoure dans la dernière ligne droite. En me prenant la tête dans un réflexe idiot, je me colle toute la boue sur le visage. Pas grave, j’ai gagné ! Et pour montrer ma joie, j’effectue un joli saut de cabri au moment de franchir la ligne en 1h40 tout rond. « Mais où trouve-t-il cette énergie, on ne dirait pas qu’il a couru 24 km », s’amuse le speaker. Je lui explique aussitôt que c’est la première victoire, que « ça décuple les forces ».
Et l’interviewer devient l’interviewé. Alors que c’est moi, d’habitude, qui pose les questions à l’arrivée, je me retrouve à raconter ma course, le plaisir que j’ai pris à évoluer dans ce cadre magnifique, le stress à mi-parcours, les kilomètres qui ont défilé sans que je m’en rende compte. A Nathalie, ma collègue du Midi Libre qui est présente, j’évoque mon passé en course à pied, les premiers marathons en 2006, les trails puis les ultra-trails… Et l’envie de retrouver de la vitesse, d’où cette décision, cet été, de participer au marathon de Montpellier pour regagner du rythme. « Je savais que les efforts paieraient mais je ne pensais pas que ça me permettrait de gagner un trail », je conclue, en admettant que le plateau n’est peut-être pas aussi relevé que d’habitude… Mais que c’était une chouette sortie d’entraînement qui m’a rassuré sur mon état de forme.
Je le serai un peu plus le lendemain matin en prenant le départ, même pas 24 heures après ma première victoire, des Foulées de Balaruc, une course sur route de 13,5 km. Les jambes un peu lourdes, et malgré un petit coup de moins bien à mi-course, j’irai chercher une honorable 8e place au scratch. Le marathon de Montpellier se présente bien. Et aussi, une semaine plus tard, la grande course des Templiers, avec des ambitions bien plus modestes au regard du plateau annoncé. Quoi que maintenant, mon palmarès de traileur est ouvert… D’ailleurs, je fêterai ça en partageant avec des amis le trophée reçu une heure plus tard sur le podium. Un magnum d’un vin local, joliment baptisé… « le bonheur ». Tout est dit !
Ludovic TRABUCHET