L‘UTMB, un événement qui fascine et qui fait rêver plus d’un coureur de trails. Ils sont d’ailleurs des milliers à s’y retrouver chaque année et à venir du monde entier !
Certains viennent pour contempler, admirer, s’imprégner de cette ambiance si mythique, d’autres pour tenter de réaliser leur rêve en prenant le départ de l’une des épreuves proposées, avec un objectif en tête : être finisher !
Ces 3 dernières années, je faisais partie de ces contemplatifs. Admirative de tous ces courageux qui parviennent à courir de nombreuses heures, parfois même la nuit entière, autour de ce magnifique massif du Mont Blanc. Mais cette année, j’étais décidée à passer de l’autre côté et à vivre l’aventure de l’intérieur … Un gros défi certes, mais qui était cohérent avec ma progressive évolution dans la pratique de la discipline et la tentative d’augmenter les distances tranquillement. Pas encore préparée pour me lancer sur le 169km, mais très motivée pour tenter une distance qui me paraissait déjà complètement folle et presque inaccessible : 101km et 6100m de dénivelé positif.
La CCC fait donc partie de mes objectifs 2014. Une belle et longue préparation partagée avec Manu, qui fait sa 3ème tentative sur l’UTMB (les 2 précédentes s’étant soldées par des abandons). On s’investit donc à 100% pour ne rien regretter et mettre un maximum de chance de notre côté. On pourrait parler de sacrifices mais je préfère employer les termes de persévérance et d’investissement, parce courir n’a jamais été une obligation, mais bien une passion. Prêts à en découdre, nous prenons donc la route de Chamonix ce 27 août, avec envie et motivation de donner le meilleur de nous même sur nos distances respectives.
Un peu d’appréhension de mon côté, j’avoue. Une distance si longue encore jamais atteinte, des dénivelés aussi importants, des belles portions techniques que je vais devoir courir de nuit, des conditions climatiques qui peuvent rapidement tourner au cauchemar, … Autant d’incertitudes qui ne me permettent pas de faire de pronostic sur l’issu de ce challenge que je me suis lancée. Je vais donc partir avec un objectif simple en tête : faire une course pleine, prendre du plaisir et franchir la ligne d’arrivée avec la satisfaction d’avoir tout donner. S’il y a un résultat au bout, tant mieux ! Sinon, tant pis, j’aurais tenté.
Presque 2000 coureurs annoncés sur cette CCC, avec des coureurs élites venus du monde entier. 101km et 6100m de dénivelé positif au programme, un bien beau chantier ! Avec un départ vendredi à 9h, les arrivées des finishers devraient s’étaler jusqu’à la fin de la matinée du samedi puisque les derniers bouclent le parcours aux alentours des 27h. En montagne, la météo reste souvent incertaine, on le sait. On nous annonce un temps nuageux avec éclaircies mais aussi quelques orages, il va falloir se préparer à d’éventuelles complications … Dans ces cas là, le mental prend une place encore plus importante. Je crains les glissades nocturnes et cette nouvelle ne va pas pour me rassurer, mais bon, on s’adaptera de toute façon !
Arrivés sur Chamonix mercredi soir, le jeudi sera consacré au salon (le stand i-Run bien entendu avec un coucou aux collègues, Asics, Isostar, et autres partenaires), à la préparation logistique de la course avec nos précieux assistants de ravitaillement (merci Youyou, Papa, Ben, Cathy, Laurent, Fanny …) : non une mince affaire ! Et bien sûr, au retrait des dossards. A préciser que le retrait des dossards à l’UTMB, c’est quelque chose !! Oui, parce que s’il te manque un accessoire, si ton matériel n’est pas au norme, tu n’auras jamais ton dossard … Tout est hyper carré et rigoureux mais vu les conditions que l’on risque de rencontrer, on peut le comprendre. C’est pour la sécurité des coureurs. Bref, vers 20h30, on clôt cette dernière journée de préparation autour d’un bon repas collectif convivial avec le team ASICS. 23h30, extinction des feux, après un bon casse-tête pour être certaine de ne rien avoir oublier pour demain.
Je quitte l’hôtel à 7h30 laissant Manu au chaud sous le couette (la nuit fut très courte, j’avoue m’être dit que je serais bien restée avec lui ;-)). Direction Courmayeur avec le team. Seront également au départ de la CCC chez ASICS, Thomas Saint Girons et Arnaud Perrignon. La météo paraît pour le moment idéale : ciel voilé, températures modérées. Profitons, ça ne tiendra pas comme ça jusqu’à l’arrivée ! Nous sommes tous assez chargés pour partir puisque nous devons courir en autonomie jusqu’à la mi-parcours environ : CHAMPEX sera le premier ravitaillement avec une assistance autorisée. Cela veut dire que nous devrons attendre ce point là pour avoir le soutien de nos proches. C’est long ! Je vais avoir hâte de retrouver ma famille (et ça me donnera aussi un élément de motivation supplémentaire pour ne rien lâcher !), qui m’attendra à partir d’ici.
C’est grandiose tout ce monde au départ ! Cette ambiance à la fois tendue et festive. Certains regards sont anxieux, d’autres émus, ou encore juste heureux. Après un court échauffement, nous entrons dans le sas élites (une chance qui nous permet de partir dans la première vague), 10 à 15 minutes avant le coup d’envoi. L’occasion de saluer quelques têtes connues, également au départ de cette belle aventure : Benoît Holzerny, Caroline Chaverot, Yoann Stuck, Anne Lise Rousset, Adrien Seguret … Un peu déçue, je n’ai pas vu les Galinettes ! Tous concentrés et focalisés sur ce qui nous attend, nous écoutons avec émotions les derniers mots des organisateurs, l’hymne national des 3 pays que nous allons traverser : France, Suisse et Italie. Puis, la célèbre chanson Vangelis du départ qui nous hérisse les poils … Et enfin, le compte à rebours avant de nous laisser s’échapper dans les ruelles de Courmayeur. La route va être longue, mais si belle !
Je m’étais promis de partir doucement. Bon, je me laisse légèrement emporter par la vague euphorique de départ certes, mais assez rapidement, j’en prends conscience et ralentis l’allure. On entre direct dans le vif du sujet : ça grimpe ! En regardant un peu autour de moi, je m’aperçois que je fais partie des rares (imbéciles ? ;-)) à partir sans bâtons … Erreur stratégique ou non, je n’en sais rien. Toujours est il que certains les utilisent dès le début de la montée sur le bitume. Les spectateurs sont nombreux à nous encourager et nous regarder quitter les ruelles du centre ville pour s’engager vers les premiers sentiers.
Première grosse ascension qui promet de mettre les organismes à dure épreuve dès le début de matinée : 1500m de dénivelé positif en 10km pour atteindre le sommet de la tête de la Tronche (plus de 2571m d’altitude). J’ai connu largement meilleures sensations, mais je me cale un bon rythme de train qui me permet de ne pas me mettre dans le rouge. En espérant que cette lourdeur dans les jambes passent rapidement. Les spectateurs m’annoncent 8ème. C’est bien d’avoir l’info, mais je me force à ne pas y penser et repense aux paroles de Benoît au départ : « mets toi des oeillères et fais ta course sans te préoccuper des autres ! ».
Cette ascension est vraiment longue, les sentiers sont étroits, nous sommes en file indienne et avançons tranquillement, le dos courbé, les mains sur les cuisses pour s’aider, un pas après l’autre. Difficile de doubler, mais tant pis, je reste à ma place jusqu’au sommet, j’ai toujours en ligne de mire les deux féminines devant moi (je reconnais notamment Simona Morbelli qui a gagné le 80km de l’Eco Trail de Paris). Au fur et à mesure que nous prenons de l’altitude, les paysages deviennent juste grandioses ! Je prends le temps d’admirer, c’est incroyablement beau (heureusement que mon téléphone est au fond de mon sac, sinon j’aurais été capable de m’arrêter prendre des photos :-)). 1h57 de grimpette pour atteindre le sommet, j’ai déjà les cuisses et les mollets en feu mais voilà une première difficulté de faite et je m’auto-félicite, j’ai été raisonnable et je me sens plutôt bien, mieux qu’au départ en tout cas. J’embraye tout droit sans réfléchir dans le pentu pour descendre le plus rapidement possible vers le premier ravitaillement : le refuge de Bertone, que j’atteins 27 minutes plus bas (un coucou à Franck Oddoux qui fait des photos sur le parcours et que j’entends : « allez Sissi !!! »). Sans perdre de temps, je remplis mes flasques et repars, toujours 8ème.
Nous reprenons notre chemin vers un sentier vraiment agréable qui alterne montées/descentes. Roulant mais un peu traitre car bourré de petits pièges au sol : racines ou autres détails qui peuvent se faire oublier et rapidement te faire basculer … Je reste vigilante avec en mémoire mon bête accident sur l’Eco-Trail de Paris. Je suis un groupe de gars sur un petit rythme sympa, toujours sur les allures modérées. On croise Laurent Brière qui fait des photos, smiiiiiiiiiile !! 🙂 J‘ai toujours les jambes lourdes mais je ne subis pas trop non plus, patience et restons dans la gestion, ça va peut être finir par passer, en attendant, je profite du paysage et j’en prends pleins les yeux ! Nouveau ravitaillement au refuge Bonatti, je suis suivie de près par une féminine que j’aperçois juste derrière moi. Bon, bon, bon ! Vite, remplissage de bidons, je repars, le sachet de poudre Isostar encore dans la bouche ! 😉 Nous sommes déjà à 3h20 de course. Je croise Goran, je lui explique que je gère mais que ce n’est pas les sensations des grands jours. A priori, devant c’est un peu la même d’après lui.
Ça grimpe légèrement puis nous plongeons vers une nouvelle descente assez raide, qui nous mène à Arnuva, le 3ème ravitaillement. Je suis dans les talons de Simona et j’aperçois une autre fille juste devant qui m’avait doublée entre temps et fait passer 9ème du coup. Pas de panique, nous ne sommes qu’au 27ème kilomètre, il en reste 74 encore, les choses peuvent bouger (dans un sens, comme dans l’autre d’ailleurs). Je sais qu’une nouvelle longue ascension nous attend : le Grand Col Ferret. Environ 1000mD+ en 4km. J’avale un grand verre de coca, et pour m’aider à mieux affronter cette prochaine grosse difficulté, et surtout, je décide de sortir mon MP3 ! Du son à bloc dans les oreilles, et je reprends ma route … Transformée ! La musique me donne une énergie incroyable et je retrouve un second souffle qui me permet de grimper vite. Je me sens vraiment bien, j’alterne marche et course et je recolle Simona l’italienne et une portugaise que je double assez rapidement en les encourageant. Sans m’en rendre compte, je chantonne et ça fait sourire le gars devant moi qui me demande ce que j’écoute ! 🙂 On m’avait prévenu, le Grand Col Ferret, c’est dur et il faut s’accrocher ! En effet, c’est long, et j’aurais d’ailleurs mis un peu plus d’une heure pour arriver là haut. Mais que c’est beau !!! Entre temps, la météo est passée au gris, il pleut quelques gouttes, et nous avons quasiment tous sortis nos vestes en Gore Tex pour se protéger.
Une fois au sommet, je sais que c’est le moment de passer la seconde, la portion jusqu’à la Fouly permet de se lâcher un peu et de se faire plaisir ! Enfin, surtout pour ceux qui aiment les parcours roulants ! Et je m’éclate vraiment sur cette partie, avec des sensations de jambes légères, j’allonge la foulée et je me laisse porter par cette énergie positive au rythme de la musique. C’est top et vraiment agréable de ressentir de telles sensations après plus de 5h de course … Je savoure et je prends énormément de plaisir. Un coup d’oeil à la Suunto : 4’30 au kilo, le rythme est bon ! Mes pensées divaguent un peu ici, je pense à mon papa, Lætitia, les enfants qui m’attendent plus bas (c’est drôle, mais ça me fait monter les larmes à l’idée de les voir bientôt, je sais que ça va me porter, j’ai super hâte !). Je pense à Manu qui doit se préparer à prendre le départ de l’UTMB, aux Galinettes qui doivent être quelque part derrière moi, à Arnaud et Taz que j’imagine aux avants postes depuis le début, à mes proches qui suivent peut être le live sur internet… Bref, je pense à pleins de belles choses qui me font du bien ! D’ailleurs, je recolle sans forcer ni même m’en rendre compte, les deux féminines devant moi et je passe juste quelques secondes après elle au ravitaillement de La Fouly. Je cherche aux alentours, Papa et Youyou m’avaient dit qu’ils seraient là, mais pas de têtes connues ici. Enfin, il y a quand même du monde, les gens applaudissent, « bravi, bravo, brava, extraordinaire !! », ils sont à fond, merci, ça motive autant d’encouragements !!
Je repars de La Fouly remontée à bloc ! Prochaine étape : CHAMPEX dans 14km. Gina, l’américaine, et Yolanda, l’espagnol, sont reparties juste avant moi, mais je les garde à ligne de mire. Je sens qu’elles fatiguent et que j’avance un peu plus vite qu’elle, ce qui me permet d’en doubler une, puis l’autre et de passer donc à la 6ème place. Je double également quelques coureurs, je me sens vraiment bien, le parcours est agréable, je n’ai pas envie que ça s’arrête et je profite d’être dans cet état d’euphorie pour grappiller quelques places. Tant que je gagne, je joue ! J’ai toujours la musique sur les oreilles, j’adore ! J’attrape un bon train de 3 coureurs et on fait route ensemble pendant un moment. On avance tellement bien que j’en oublie que le sol est quand même accidenté et qu’il faut lever les pieds pour éviter racines et caillasses, et badaboum !! Je chute violemment au sol et mon genou s’ouvre sur un rocher. Oh non ! Ça pisse le sang, j’ai mal mais je repars et parviens à continuer à recourir malgré tout. Je vérifie que tout est ok : main, menton, tibia … quelques hématomes mais je suis rassurée, ça ne devrait pas m’empêcher de poursuivre pour le moment. Pour le genou, on verra plus tard, je le ferais désinfecter tout ça à Champex.
Je commence à avoir soif, ces 14km pour rallier les deux ravitaillements sont un peu . J’aperçois l’autre féminine, une anglaise, elle semble dans le dur aussi, j’accélère, et la double dans un petit sentier en montée. Elle s’accroche un moment, mais au bout de 10/15′, je me retourne, elle n’est plus là, je suis donc passée 5ème !! je fais route avec un gentil coureur, il a mal, il s’accroche, se bat, je suis admirative ! On traverse Praz de Fort (coucou à Sabine de Le Pape), une portion de route qui fait bien mal aux quadris et c’est le début d’une dernière difficulté avant Champex : un peu plus de 400mD+ en 5/6km. Le gars me montre du doigts : « tu vois là haut dans le trou entre les montagnes ? C’est la ravitaillement !! »
J’alterne marche/course, mais cette ascension est difficile et longue, j’ai soif ! Je déconnecte de la douleur et me rattache à d’autres choses : voir ma famille d’ici quelques minutes ! Il est 16h, nous sommes à 7h de course, j’atteins le ravitaillement 43 minutes plus loin et Ô BONHEUR de retrouver les siens !! J’aperçois mes frères, Louis, Théo, j’entends Papa et Lætitia, puis Boris, et ma soeur, Anna, ils m’accompagnent jusqu’à l’entrée du ravitaillement. C’est génial et je retrouve énormément de réconfort et d’énergie positive autour d’eux; Papa, très émotif, a les yeux remplis de larmes, ça me touche beaucoup et je le prends au cou pour l’embrasser et le remercier d’être là.
Youyou m’attend dans la zone d’assistance, il assure grave, il a tout préparé ! Flasques, barres, purée … je n’ai qu’à me servir. Je lui montre mon genou, on décide finalement de ne pas le toucher, on verra ça à l’arrivée. Je lui explique que je suis gênée par une ampoule au pied droit, je retire chaussure, chaussette et on constate : en effet, une belle cloque commence à se former, espérons que ça ne s’empire pas. Je ne m’attarde pas trop, après avoir eu un état des lieux des classements, je reprends la route en laissant mon MP3 aux enfants pour qu’il me le recharge (et oui, ça fait déjà 4h que je l’ai sur les oreilles et la batterie s’est vidée). Trop bon de retrouver tout ce petit monde !
La mi-course est passée, nous sommes au 56ème kilo (dans ma tête, je me dis : plus que 45 !! ;-)), mais je connais par cœur les 3 prochaines grosses difficultés (Bovine, Trient et Tête aux Vents), je sais qu’elles sont costauds ! Cette fois, je fais route seule mais les encouragements des spectateurs à la traversée de Champex font bien plaisir. Mon dessous de pied me fait de plus en plus souffrir. Je regarde ma montre, 4’46 au kilo, j’essaye de regarder ce rythme jusqu’à l’ascension. La portion de faux plat montant qui mène aux pieds de la bosse est bien traitre, elle fatigue ! Et puis ça y’est, me voilà dans le vif du sujet : 700m D+ à avaler en 4km. Ça tire ! Je me penche, mains sur les cuisses et j’appuie, un pas après l’autre (à 17H30 pile, je regarde ma montre, j’ai une grosse pensée pour Manu qui prend le départ de l’UTMB). 2 coureurs me recollent, ils avancent plus vite avec leurs bâtons ! La pente est vraiment très raide sur certaines portions ! Je me force à manger pour ne pas trop faiblir, c’est dur, mais je finis par atteindre le sommet environ 1h plus loin. Mamamia, l’enchaînement avec la descente est douloureuse pour les muscles mais ça fait du bien d’être en haut !
Passage à la Giète avec les vaches qui squattent en plein milieu du passage (un bon moment !) et nous plongeons vers Trient via un sentier en sous bois assez technique. Il pleut, j’ai mis ma veste. Je ralentis l’allure, j’ai peur de tomber ici et je sens que je perds énormément de temps sur cette portion mais ce n’est pas le moment de faire la folle et de prendre des risques. Dès que le sol devient propre, je tente d’accélérer l’allure (bon, je commence à avoir mal bien mal aux cuisses et aux mollets) pour éviter de perdre trop de temps. Sortie du bois, j’aperçois le clocher de l’église, et je reconnais l’arrivée à Trient. Yes ! Les enfants m’attendent, ils crient pour m’encourager, ça me donne des émotions, je suis contente de les retrouver. J’entends ensuite Lætitia et Papa, ils sont à bloc derrière moi, c’est trop bon, ça me motive ! J’essaye de passer en revue tout ce que je ne dois pas oublier et notamment : mettre la frontale sur le front ! il est 19h10 et la nuit va vite arriver. Youyou, mon assistant de choc est prêt, il me demande comment je vais : »ça va super !! mon ampoule, pas pire, je préfère ne pas regarder ! » J’avale un peu de purée/jambon (même si je n’en ai pas du tout envie !), on discute des écarts (Aline est 20′ devant moi, derrière à 5/6′) et je repars assez vite. Louis et Théo me redonnent mon MP3 chargé (ouf ! Merci encore les gars) : je vais en avoir besoin pour affronter la prochaine difficulté que je connais bien ….
10h12 de course, 72km. Je fais le calcul : il en reste 30 ! A ce moment précis, je sais que, dans tous les cas, j’irais au bout ! (bon sauf si accident comme à Paris, mais je vais faire attention). Je suis fatiguée, j’ai mal partout, mais je me sens quand même encore bien lucide et je sais que je j’aurais la force mentale de me battre jusqu’à l’arrivée. Il le faut ! Je n’ai qu’une seule chose en tête : franchir la ligne. Je rassure Papa, Laetitia, les enfants : « Ça va ! Ça commence à être dur, j’ai mal partout, mais je vais gérer tranquillement jusqu’au bout ! On se retrouve dans 11km à Vallorcines. » Je sais que la suite va être horrible : l’ascension vers Catogne (plus de 700mD+ en 5km environ). C’est vraiment raide et ça commence à être difficile de lever les jambes. Je mets la musique et j’entre dans ma bulle. Je grimpe, un pas, puis un autre, Je ne pense à rien d’autre qu’à avancer. Je chante pour me donner du courage (m’en fiche, je suis toute seule !). Le sentier s’assombrit, la nuit va tomber petit à petit. Je double un coureur qui semble vraiment souffrir le pauvre. J’essaye de lui donner un peu de courage en l’encourageant.
La pluie se fait de plus en plus forte, le brouillard envahit la montagne, je commence à avoir froid. Je mets environ 1h pour atteindre le col à un peu plus de 2000m d’altitude. Ça caille et je décide d’allumer la frontale au milieu de la descente : il fait quasiment nuit, il est 20h30 passé. Nuit, pluie, sol glissant, brouillard = gros risques de chutes ! Du coup, je fais une descente super lente et très prudente jusqu’à Vallorcines, prochain point de ravitaillement. C’est vraiment casse pattes et je tombe sur les fesses 4 ou 5 fois quand même. Nous traversons la forêt, j’aperçois une silhouette sur le côté (il me parle mais j’ai la musique et je ne l’entends pas !), c’est Youyou !! Il m’apprend que je suis 4ème, Caroline Chaverot a abandonné !
Le ravitaillement est là juste en bas, je l’atteins finalement après 2 ou 3 nouvelles gamelles sur les fesses ! Je retrouve toute la petite famille ici, et je ressens énormément d’émotions en les retrouvant, et en voyant les yeux mouillés de papa. Il pleure et il est ému, je le sens fier de sa fille, ça me donne de la force mentale pour la suite. C’est Benoît Nave du team Asics qui se tient prêt pour m’assister (merci à lui !). Il assure comme un chef aussi ! Je prends mes flasques remplies, barres, j’enfile la veste et GO ! Je le rassure : ça va bien ! Mais je lui confie aussi ma crainte de grimper là haut avec ces conditions pourries … Il pleut des torrents et ça ne va pas être une partie de plaisir, j’ai peur de tomber, il le sait. Sur ces quelques confessions, je repars avec un mot à l’esprit : PRUDENCE ! Je m’enfonce alors dans la nuit avec en tête, la résonance les derniers mots des enfants et de Lætitia : « tu vas le faire, tu vas finir, allez Sissi, courage, on t’attend à l’arrivée ! »
81km, plus que 20, mais surtout, il reste une dernière très grosse et très dure : l’ascension de la tête aux vents ! Quasiment 1000mD+ en 8km. En plein jour et dans des conditions normales, elle est déjà costaud, mais alors là, avec la nuit, cette pluie battante et après 12h de course : c’est juste terrible ! J’essaye de ne pas y penser, je me dirige d’abord vers le Col des Montets à petites foulées, où je retrouve les copains du team, fidèles supporters, avec Fanny, Ben, Youyou … qui me donnent un dernier coup de boost avant d’entrer vraiment dans le dur. Difficile d’employer les mots ici pour vous exprimer la difficulté ressentie dans cette dernière ascension : j’ai juste essayé de fermer les yeux sur la douleur physique et de ne me raccrocher qu’à des choses positives. En plus d’être très pentu, le sentier est ici très technique et avec la pluie est devenu très glissant et donc dangereux. Avec le brouillard, j’avais du mal à voir les balisages, ce qui m’oblige à avancer au ralenti pour chercher mon chemin. Au sol, il coule des rivières et nous avons parfois de l’eau glacée jusqu’aux mollets. C’est horrible, je suis frigorifiée et je grelotte, un véritable cauchemar. Heureusement que je ne suis pas agonisante, sinon, c’est fini pour moi là !
Je suis seule mais je vois deux frontales en bas se rapprocher de moi. Ça me rassure, je préfère être accompagnée ici. Je les attends, les laisse passer et essaye de ne pas trop m’éloigner d’eux. Ils ont froid aussi. L’un d’eux tombe et se fait mal à la hanche, mais il parvient à repartir. Et là, on verbalise : « il faut mieux faire super attention ici, s’il nous arrive quelque chose, on est bon pour attendre plusieurs heures avant que quelqu’un vienne nous chercher ! » Pas faux et si j’attends ici, je meurs de froid. Il nous aura fallu plus d’une heure pour atteindre enfin le sommet et retrouver un peu de chaleur humaine grâce à des bénévoles positionnés ici pour nous pointer. L’un d’eux me propose de rester pour me réchauffer mais je préfère repartir au plus vite, sinon ça sera encore plus dur de continuer ! Il acquiesce : « Ok, tu as raison ! Allez courage, dans 30 minutes environ, tu seras à la Flégère et dans 10km à Chamonix ! » Nous sommes à 14h de course.
C’est sur un sentier super technique et bien dangereux que nous avançons vers la Flégère, dernier point de ravitaillement. J’aperçois la petite lumière du refuge au loin, on a encore de la route. Il faut mettre les mains au sol pour descendre parfois sur les fesses. Je vais archi doucement, je me dis que j’ai des risques de me faire remonter (et puis en même temps, je me dis aussi que c’est pour tout le monde pareil). La lumière se rapproche doucement et une dernière petite bosse nous emmène à la tente chauffée du ravitaillement ! Quel soulagement de retrouver du monde et un peu de chaleur ici … Je prends une soupe bien chaude avec des pâtes, un verre de coca et je me motive : « plus que 8km de descente !! » Ça y’est, c’est sûr, je vais le faire, je vais la terminer cette CCC !!
Je repars avec le moral, même si j’ai la descente fait très très mal aux jambes ! J’aimerais aller plus vite, mais j’ai l’impression d’avoir des couteaux plantés dans les deux cuisses ! Chaque foulée est douloureuse, mais je sers les dents. Il s’est arrêté de pleuvoir et je commence à avoir moins froid. Je ne connais pas les écarts derrière, mais maintenant, hors de question que je me fasse doubler ici ! 8km, c’est court, mais avec les muscles dans cet état, ça paraît long … Mais je pense à une bonne douche chaude pour m’aider ! 🙂 Quelques dénivelés négatifs plus loin, on commence enfin à croiser quelques rares spectateurs, ça sent bon ! Et là, qui je retrouve ? Pierrot !! « Oh génial, trop bien, merci mon Pierrot de venir ici ! » Il me donne quelques nouvelles de Manu, et m’annonce l’arrivée à … 2km !! Youpi !!
Ce sont nos derniers efforts, il faut savourer ces moments, on en rêvait ! Sortie du sentier, nous rejoignons le bitume puis quelques minutes plus loin, le voilà, le centre de Chamonix ! Nous entrons dans le dernier kilomètre …. Un mélange de sentiments surgit alors ici. De l’immense joie, de l’excitation, de la satisfaction personnelle, d’accomplissement, … Bref, beaucoup d’émotion et du BONHEUR !
Et ce bonheur, j’étais heureuse et comblée d’avoir pu le partager avec ma famille dans cette dernière ligne droite qui m’a mené jusqu’à l’arrivée. Les enfants, mes frères et sœur, sont là, ils courent à mes côtés, je vibre avec eux, ils me félicitent, on échange quelques mots, c’est génial cette complicité dans ces moments forts de dépassement de soi ! La ligne d’arrivée est là, juste à quelques mètres, je prends la main d’Anna et de Boris et nous la franchissons ensemble, devant les yeux de mon papa ému et fier.
4ème féminine, 73ème au scratch, après 15h47 d’effort, j’avais réussi à relever mon challenge, aller au bout de ce chantier, ces 101km et 6100m de dénivelé positif … Une première si longue pour moi, et qui plus est, dans ce contexte alpin, qui m’effraie encore beaucoup l’an dernier. Je sais que j’ai encore de nombreux points à travailler pour continuer à progresser sur ces terrains montagneux, mais j’ai aussi pris conscience de l’importance du mental sur ce genre d’épreuve. Si tu lâches dans la tête, tu lâches dans les jambes … Il faut toujours y croire et se battre jusqu’au bout. Bien sûr j’ai eu mal, j’ai souffert, sur autant d’heures de course, on rencontre des hauts et des bas, mais j’ai pris aussi beaucoup de plaisir et c’est ça qui me donne déjà l’envie de revenir ! :-)) Quelle belle aventure gravée à jamais ! Le mot de la fin : juste GRANDIOSE !!
Merci à Laurent et Cathy Ardito, à tout le team Asics, à ma famille d’avoir été là (de près ou de loin), à tous ceux et celles qui m’ont soutenu derrière leur PC, aux nombreux bénévoles, à l’organisation, aux speakers qui donnent de la voix et de l’émotion à l’arrivée, à tous ces spectateurs qui te soutiennent et t’acclament alors même que tu ne les connais pas, aux coureurs avec qui j’ai pu partager quelques foulées et qui ont souffert avec moi (à ceux qui m’ont ramassée quand j’ai chuté), à Youyou qui a assuré aux ravitos, à toute l’équipe i-Run qui me soutient dans mes folies, … Et à Manu, celui qui partage ma vie et qui vibre à mes côtés, même quand pour lui, ça ne sourit pas …! C’est beau le sport, que cela ne s’arrête jamais (t’façon, faudra qu’on me coupe les jambes pour ça ! ;-)) !
Sylvaine CUSSOT
Photos : Laurent Brière, Pascal Tournaire
Les résultats de la CCC 2014 : Top 10 Hommes
1- Pau BARTOLO (Espagne), 11:21:16
2- Christophe PERRILLAT (France), 11:50:47
3- Anthony GAY (France), 11:52:18
4- René ROVERA (France), 11:54:16
5- Giulio ORNATI (Italie), 11:55:29
6- Alexandre MAYER (France), 12:27:46
7- Hervé GIRAUD-SAUVEUR (France), 12:31:36
8- André CASTRO (Portugal), 12:51:02
9- Alvaro RODRIGUEZ BARREIRO (Espagne), 12:54:02
10- Yoann MOUGEL (France), 13:02:43
Les résultats de la CCC 2014 : Top 10 Femmes
1- Anne Lise ROUSSET (France), 14:28:48
2- Cristina BES GINESTA (Espagne), 14:43:55
3- Aline GRIMAUD (France), 15:11:36
4- Sylvaine CUSSOT (France), 15:47:50
5- Gina LUCREZI (Etats-Unis), 15:59:13
6- Perrine SCHEINER (France), 16:04:01
7- Graziana PE (Italie), 16:08:44
8- Laurie ATZENI (France), 16:10:54
9- Yolanda FERNANDEZ DEL CAMPO (Espagne), 16:12:50
10- Daniela BONNET (Italie), 16:45:32