Une discipline à part. Loin des foules marathoniennes et de chemins montagneux, les « 100 bornards » font figure d’exception. Une discipline qui étonne, qui interroge et qui parfois fait peur. Méconnues du grand public, les courses de 100 Km ont pourtant leurs classiques et leurs adeptes en France. À commencer par Jérôme Bellanca du Team I-Run, l’un des meilleurs nationaux avec un titre de champion de France 2013 (6h53’35).
Pour en savoir un peu plus sur la discipline, nous sommes allés à la rencontre de Philippe Hayer, entraîneur émérite de la distance. Depuis le début des années 2000, le diplômé fédéral basé dans l’ouest de la France a emmené plusieurs athlètes vers les sélections nationales. Le 100 Km ? « Une découverte de l’ultra et de soi-même » aime-t-il rappeler. Entretien.
L’ultra est un monde très exigent. Que peut-on dire sur le profil des coureurs de 100 Km ?
Ce sont des profils différents qui se retrouvent sur cette discipline. Il faut être prêt physiquement et mentalement pour se lancer dans l’aventure. Et quoique l’on en dise, pour réussir des bons chronos, il faut également « courir vite ». A l’image, du meilleur Français « Pascal FETIZON » ; 6h23 (100 Km), 2h14 (marathon), 29’03 (10 000m). En règle générale, ils viennent du marathon. Demain, ils viendront peut être du Trail, mais j’en doute. Et je ne suis pas sûr que les meilleurs marathoniens Français soient intéressés par le 100 Km, même pour porter le maillot tricolore. Par contre, il y a sûrement du potentiel pour ceux qui sont un peu en de ça des premiers. Mais pour faire du haut niveau, il faudrait pouvoir obtenir des aides : pas forcément financière, mais de temps « libre ».
Selon vous, quelles sont les principales qualités pour venir à bout de la distance ?
Du mental et de l’endurance, évidemment. Sans oublier une grosse condition physique, ce qu’on appelle le « renforcement musculaire », qui permettra de réaliser plus d’endurance et d’éviter les blessures. Avoir quelques années de pratique, passer par le marathon « qui est le début de l’ultra », associer un même type de travail aérobie ; « le vélo » par exemple. Mais il ne faut jamais oublier que la discipline est la « course à pied ». Penser aux périodes de repos lors de la préparation.
Quelle est la meilleure épreuve pour faire un chrono dans l’Hexagone ?
Quand on regarde les bilans, on remarque quelques épreuves prisées ; Belves, Millau, Theillay, Chavagnes. Les deux premières citées ne permettent pas forcément des chronos, mais on y trouve d’autres plaisirs. Theillay est un parcours « roulant » et propice à la performance. Enrichir le nombre de participants permettrait le chrono. Chavagnes est un parcours « roulant » ou le mental est très important, car les 2 dernières boucles à réaliser sur les 6 favorisent la mise du « clignotant ». Comme sur toutes les disciplines de fond, parcours, dénivelé et météo sont des facteurs primordiaux. Maintenant, tout dépendra de ce que l’athlète est venu chercher.
Quelles sont les particularités de l’entraînement d’un 100 Km ?
Beaucoup de kilomètres, pas de secret ! Mais aussi travailler une allure proche du marathon. Ne pas oublier de « travailler » le kilométrage sur le bitume. La VMA n’a pas trop de place, sauf pour des athlètes de haut niveau et ceux qui feraient du bi-quotidien. Par rapport au marathon, on pourra y associer plus d’activité aérobie portée « vélo ». L’allure « spécifique » se fera par des séries sur marathon et les sorties longues à une allure de 65 à 70% de la VMA. Alors que l’allure spécifique pour le 100 Km se retrouvera en grande partie sur les sorties longues.
Vous entraînez depuis plus de 20 ans, avez-vous vécu des évolutions dans le 100 Km au cours de votre parcours ?
L’entraînement évolue surtout au fil de la connaissance des entraîneurs, de leurs contacts avec différents athlètes. Je dirais que l’évolution la plus importante est le travail physique qui s’est démocratisé. J’ai connu des athlètes en équipe de France qui n’avait jamais fait de travail physique général, de coordination… À mon point de vue, cela a changé.
Comment s’opère le suivi des athlètes de l’ultra sur le plan national ?
L’ultra (100 Km, 24 heures) est le parent « pauvre » de l’athlé, même si des actions sont faites par le biais de stages nationaux, auxquels j’ai participé pendant 5 années dans l’encadrement du 24h. Pour faire des équipes, il faut des athlètes. Il n’y a pas de collectif (comme on peut le voir sur le marathon), les rassemblements sont concentrés dans les stages. Voilà quelques années, c’était un stage préparation aux Mondiaux et un stage hivernal, souvent avec le 24h. La médiatisation, on peut dire qu’elle n’est pas très développée, en tout cas invisible du grand public.
Quel regard portez-vous justement sur la médiatisation de la discipline ? Quelles sont les raisons de son manque de visibilité dans le monde de la course à pied ?
Le 100 Km mériterait évidemment plus de médiatisation, bien qu’aujourd’hui il y a des sites, des revues spécialisées, des pages Facebook et autres qui sont tenues par des passionnés. C’est la médiatisation, il faut simplement aller chercher l’info. Mais n’est-ce pas une discipline particulièrement sensible à l’essor du trail et qui pourrait subir son ascension, (face aux ultra-trail …), expliquant que les effectifs ne décollent pas ? L’aspect ludique est également important pour beaucoup « parcours, paysages… ». Certainement que beaucoup iraient faire un ultra-trail alors qu’ils ne feraient pas 100 Km avec un chrono sur le bitume. C’est d’ailleurs très compréhensible. De plus pour les meilleurs, on trouve des « team » sur le trail, donc un peu d’argent et d’équipements. Sur 100 Km, tu es tout seul. Si tu veux un équipementier pour tes chaussures, tu prends ton book et tu démarches.
Un grand merci à Philippe Hayer pour sa disponibilité.
Propos recueillis par Rémi BLOMME