Le Luchon Aneto Trail n’était initialement pas coché à notre agenda de courses 2014. Mais plusieurs raisons nous ont finalement amenés à participer à l’évènement. D’abord, i-Run en est partenaire officiel, ensuite la destination et les parcours proposés sont vraiment alléchants, et enfin, dans le cadre de notre préparation UTMB/CCC, le 73km est idéal, aussi bien en terme de profil que de kilométrage. Nous faisons ainsi la connaissance d’une équipe organisatrice fort sympathique et vraiment professionnelle. Parmi eux, Olivier, qui nous demande gentiment d’être parrain et marraine de la course. Et voilà, nous étions partis pour faire partie de l’aventure pyrénéenne ce 12 juillet et participer à cette seconde première édition du Luchon Aneto Trail (la première édition l’an dernier ayant été annulée à cause des inondations).
73km et 4500m de dénivelé positif, un bon profil montagneux qui annonce une belle balade de plus de 10h. Une grande première pour moi qui n’ai jamais dépassé les 7h20 de course (à la Saintélyon 2013). Mais pour encaisser ce qui m’attend fin août à Chamonix, c’était nécessaire de passer par là ! Un bon test aussi d’ailleurs … Je savais que ça allait être dur, et puis l’inconnu, ça effraie toujours un peu, mais je savais aussi que ça m’apporterait pour la suite. Je pars donc à Luchon dans l’idée de découvrir et vivre une nouvelle belle expérience !
Le départ du 73km est prévu à 5h, autant dire qu’avec un réveil à 2h45, la courte nuit ne fut pas vraiment (pour ne pas dire, pas du tout) réparatrice. Mais je me sens plutôt bien et je suis surtout super excitée à l’idée de prendre ce départ ! 900 coureurs sont attendus sur les 3 courses (15, 42 et 73km), nous sommes 300 coureurs matinaux à fouler le centre ville de Luchon, frontale sur la tête, à 4h30 du matin … Il fait plutôt doux, la météo de la veille annonçait un temps alternant nuages, soleil, quelques passages pluvieux, mais rien de dramatique. Du coup, nous décidons de partir léger : short en bas, débardeur en haut pour Manu, j’opte pour les manches courtes et les manchettes. Avec bien entendu, la veste imperméable dans le Camel, qui fait partie du matériel obligatoire. J’hésite à prendre des gants, Manu me conseille : « non, pas besoin, ça va t’encombrer. » Ok, je les laisse à la voiture alors (si j’avais su ce qui m’attendait quelques heures plus tard …). Pas d’assistance sur cette course et les ravitaillements sont assez espacés, j’emmène donc tout (voir plus que tout !) dans mon Camel pour ne pas manquer. Une dizaine de barres/gels, de la poudre Isostar, 1,25l d’eau. Je sais que la gestion du ravitaillement est cruciale dans ces longues courses. Bon, du coup, j’ai l’impression de porter ma maison sur mon dos, mais finalement on s’habitue (c’était une première avec le Camelbak aussi) !
Nous badgeons avant d’entrer dans le sas de départ, quelques mots échangés avec les copains, et à 5h, le coup de feu est donné. C’est parti pour « quelques » heures à crapahuter dans les montagnes pyrénéennes ! Profitons de ces quelques mètres de bitume plats au départ sur les allées d’Étigny, parce que ça ne va pas durer longtemps … Il fait nuit noire, nos frontales sont en mode ON, et 300m après le départ, nous embrayons à gauche vers un sentier en sous bois, l’ascension démarre avec la montée de la Crémaillère ! Environ 1,5km pour 200mD+, une bonne petite mise jambe à froid. Ce n’est que le début … Les premières sensations sont bonnes. Je suis partie en tête mais sur des allures raisonnables. Un seul gros problème, j’ai choisi d’emporter une frontale légère et elle n’éclaire rien ! Je ne vois absolument rien et j’ai beaucoup de mal à avancer au rythme que j’aimerais. Je risque une cheville ou une chute à chaque foulée. J’essaye de me coller aux gars qui m’entourent pour profiter de leurs éclairages mais c’est quand même vraiment la galère … (je pense à Manu qui doit galérer aussi avec la même frontale que moi). En plus de ça, il commence à bien pleuvoir et je regrette d’être partie avec une tenue aussi légère … J’ai juste hâte que le jour se lève et jusqu’à 6h, je n’ai que ça en tête ! Malgré tout, cette première ascension se passe bien et je prends énormément de plaisir à courir dans ces sentiers qui zigzaguent en sous bois. J’atteins le premier ravitaillement à l’Hospice de France en 1h44 environ. Il fait jour, ouf ! J’ai enfilé ma veste, je n’ai pas froid. Nous sommes au 13ème kilomètre et déjà presque 1000m de dénivelé positif sont faits. Je suis restée en tête, j’apprendrais plus tard que la seconde était 10 minutes derrière moi (j’apprends aussi que Manu est 10ème). Merci à Yann, Benoît et Céline pour leurs encouragements ici !
Je fais le plein d’eau mais repars du ravitaillement sans trainer. En levant la tête, j’aperçois la suite du menu : la belle ascension vers le Port de Vénasque, 1000m D+ en 7km, un bon morceau ! J’essaye de la tenir en courant, mais j’alterne finalement marche/course sur certaines portions bien pentues. Nous rencontrons les premiers névés, rien de méchant, c’est même plutôt marrant. Un coureur me passe le bonjour de deux anciens collègues de travail, sympa ! (clin d’oeil à Laurent et Julien). J’avale ma 3ème barre, je n’ai pas faim mais je me force, ça passe bien. 3h10 de course, sommet du Port de Vénasque atteint, 20km et plus de 2000mD+. Et là je me dis : han, il reste 57km (ok, ça me démotive un petit peu j’avoue, mais je reprends la route avec enthousiasme, je me sens bien et je suis toujours en tête). Un petit point panorama : c’est juste splendide, dommage que la grisaille masque un peu l’horizon …! Des bénévoles nous badgent et hop, nous voilà à enchaîner avec une descente technique de 3/4km (700D-) : direction l’Hospital de Benasque puis le refuge de Besurta à 1900m. Je suis seule et m’égare un peu, mais retrouve vite les balises grâce à un randonneur qui passait par hasard ici, coup de chance ! Comme d’habitude, je me fais rattraper par 2/3 coureurs dans cette descente, encore trop prudente sur ces terrains accidentés.
Une fois en bas sur le grand plateau, une longue route en faux plat montant nous mène jusqu’au pied de l’Aneto au refuge où se trouve le ravitaillement. Les écarts entre les coureurs commencent à se creuser et il devient de plus en plus fréquent de se retrouver seul entre les montagnes … Un sentiment à la fois agréable et effrayant … Je prends un peu plus le temps pour bien faire le plein ici, mais comme d’habitude, je ne m’attarde pas et repars avec une banane dans la bouche, un quartier d’orange dans la main droite et ma gourde dans la main gauche. Ici commence une longue longue ascension vers le Pic des Mulleres à 3010 d’altitude : plus 1000mD+ en 5km. Plus nous progressons (enfin je, puisqu’à ce moment là, je fais route en solitaire), moins le sentier est propre et donc plus il devient difficile de courir normalement. La pente devient de plus en plus raide aussi. Mais le cadre est magnifique et le temps ne s’aggrave pas, c’est déjà ça ! J’avais retiré ma veste en bas au ravitaillement, je la remets pendant la montée. Je sympathise avec un coureur qui m’a raccroché et qui m’encourage, il me rassure en m’annonçant la seconde, Célia, à plus de 30 minutes derrière. Ça m’étonne un peu mais du coup, je décide de relâcher un peu en me disant que nous ne sommes même pas encore à mi chemin et que je suis déjà à 5h de course. Quelques randonneurs m’encouragent, au top : « ah la première féminine ! Bravo ! » Un vieux Monsieur en rajoute un peu (il a dû la faire à toutes les filles qu’il a croisées !) : » et en plus, elle est jolie comme un cœur ! » Ça me fait rire, c’est déjà ça ! 🙂
Le décor change petit à petit, et à un moment donné je prends conscience que nous sommes vraiment en haute montagne ! Le sentier devient très technique, escarpé, glissant, limite dangereux, il faut mettre les mains pour enjamber les gros rochers, et nous atteignons de nouveaux névés mais rien à voir avec les premiers. Ceux ci sont quasiment à la verticale ! Euh ouais, alors là, comment on fait ? Sans les bâtons, c’est juste l’enfer, je glisse à chaque pas et je suis obligée de me créer des marches dans la neige pour avancer. Mais je suis très très lente et je prends conscience que je perds un temps monstrueux. Sur certaines portions, des cordes ont été mises en place pour nous sécuriser et surtout nous aider à avancer. Je commence à avoir froid et j’ai peur. Je ne pense plus à la course, je ne pense plus au chrono, je ne pense plus qu’à ma survie … Il reste plus de 3km d’ascension et je réalise que si le parcours reste tel quel, le suite de la course risque de se transformer en cauchemar ! A la moindre faiblesse ou manque de lucidité, je sais que je risque une chute dangereuse. Nous avançons tous péniblement dans la neige et le temps devient de plus en plus mauvais. Il vente fort et le brouillard est de plus en plus épais. Comme dans les films !! Merci aux quelques bénévoles qui étaient placés ici, c’était franchement rassurant de les croiser de temps en temps. Je leur confiais mes angoisses et ça me faisait du bien …
Un coureur déboule à contre sens en courant, je n’y comprends rien ! Il m’encourage : « allez bravo, super, première féminine ! » C’est qui ? Et bien j’apprends par un signaleur un peu plus haut que c’était le premier de la course, Jérôme Fournier. Incroyable la vitesse à laquelle il descend ce type de terrain ! Il prend un max de risques par contre … Je réalise donc que je vais devoir faire demi-tour une fois au sommet, et donc, que je vais devoir descendre ce que je monte ! Mais non ! Comment vais-je faire ? Quelle angoisse … Je réalise aussi que je vais croiser mon chéri et ça, ça me motive !! Un peu plus loin c’est Nicolas Bouvier Gaz qui déboule (2è), puis Julien Jorro (3ème) … J’aperçois Manu au loin, je lui fais des grands signes (il est 7ème je crois). Tellement contents de se retrouver, on se prend dans les bras pour se réconforter mutuellement. Même constat pour tous les deux : » ohlala, quel chantier ! » Je vois dans ses yeux qu’il se fait du soucis pour moi, il me lance : » je ne veux pas que tu grimpes là haut, c’est trop dangereux ma chérie ! S’il te plait redescends avec moi, ou alors je remonte avec toi ! » Mais non, en tête de la course, en pleine santé, hors de question pour moi d’abandonner ici ! Je lui réponds : » ne t’en fais, je ne prends aucun risque, je prends mon temps, ça va aller ! » Il hésite, me propose de prendre ses bâtons que je refuse, il me conseille de manger deux fois plus qu’habituellement. » Ok, promis, je gère ! » On se quitte difficilement sur un écho de « JE T’AIME ! »
Il avait raison, la suite a été très difficile. L’ascension est longue, j’ai l’impression qu’elle dure depuis des heures ! J’ai le corps glacé, mes pieds et mes mains ont perdu toute sensibilité. Et là, je regrette les gants que j’ai hésité de prendre au départ … Le truc c’est qu’à chaque fois que je trébuche (souvent donc !) je tombe les mains dans la neige. C’est horrible ! La neige laisse enfin place à un paysage pierreux. le soulagement qui m’empare se transforme vite en de nouvelles angoisses quand je me rends compte qu’il se met à pleuvoir et que ces gros rochers entassés ici deviennent glissants ! Je lève la tête, je ne vois toujours pas sommet. Je regarde ma montre : 34km. C’est tout ?? Le dernier kilomètre, cerveau déconnecté, on ne pense qu’au sommet. Ça souffle à coups de rafales, je suis obligée de mettre les mains dans ma bouche pour faire circuler le sang. C’est carrément de l’escalade de blocs ! J’ai croisé une dizaine de coureurs seulement mais je commence à en croiser de plus en plus. J’ose leur demander : « c’est encore loin ? » « Non, allez courage, derniers efforts ! Passé ce sommet, tu vas apercevoir la silhouette des bénévoles là haut ! » Ok ok, on continue ! Quel soulagement d’atteindre enfin le sommet … Je ne peux m’empêcher de leur lancer sur le ton de l’humour : »mais vous êtes dingues de nous faire passer ici ! » Ils me demandent si tout va bien : »oui oui, ça va, j’ai juste très très froid et je ne sens plus mes pieds et mes mains. J’ai juste envie de vite redescendre au chaud ! » Je donne mon numéro de dossard : 20, et je fais demi-tour ! Je dois être dans les 20 au scratch, toujours pas de femmes croisées.
Le froid se fait encore plus sentir en descente, les gros rochers sont encore plus glissants, j’ai toujours les doigts dans ma bouche en mode survie ! Quelques minutes seulement après avoir entamé la descente, je croise Célia, la 2ème féminine (qui monte) puis la 3ème. Forcément, j’ai perdu de nombreuses précieuses minutes avec tout ça … Un peu dégoûtée, j’essaye de me remotiver et d’accélérer l’allure. Mais la vigilance est absolument nécessaire ici. Sur les portions enneigées, tant pis, je prends le risque, je me laisse glisser sur les pieds, parfois même sur les fesses. J’attrape la corde, je m’assois, et je glisse, j’ai entouré une main avec mon buff et l’autre avec la manche de ma veste mais la corde me fouette les mains et la neige me brûle les fesses ! J’évite de justesse de m’empaler sur les rochers une fois la glissade terminée en bas de la corde ! « Non mais n’importe quoi ! » Je me parle toute seule 🙂
Tous les coureurs que je croise en descendant m’encouragent, c’est vraiment touchant et motivant ! « Première femme, bravo, c’est énorme ! » Certains me demandent si c’est encore loin, je leur avoue que oui, il y a encore pas mal de route et qu’il faut gérer. Se couvrir surtout, parce qu’il fait très froid ! Ils se poussent même pour me laisser passer et me permettre de ne pas perdre de temps. Merci à tous !! Mais bon, il est vrai que je me trouve lente quand même et ce qui devait arriver, arriva : Célia finit par me doubler vers le 40ème kilomètre. Elle est costaud en descente sur ces terrains techniques, et moi, je suis un véritable escargot. Tant pis, je cours pour prendre du plaisir, pas pour risquer ma vie …! Je finis par rallier le 3ème ravitaillement au 42ème kilomètre : le refuge de la Besurta (même qu’à aller), et file vers la prochaine difficulté du jour : le sommet du port de la Picade à 2500m. 600m de dénivelé positif en 3km. Alors là, c’est rude !! Ça grimpe dur dès le début. Mains sur les cuisses, on s’engage sur ce long sentier étroit qui zigzag. En levant la tête j’aperçois Célia et une fois au sommet, on l’annonce à 5/7′ devant moi. L’ascension a été longue et je ressens vraiment la fatigue, mais je tente de relancer derrière, il reste 25km, mais quasiment que de la descente ! Et dire que je suis à 8h50 de course … J’avoue, je ne pensais plus à la victoire à ce moment là, d’autant que j’ai manqué de me faire une cheville plusieurs fois de suite dans la descente qui a suivi.
Le sentier plein de pierres plutôt technique laisse rapidement place à quelque chose de plus roulant, genre de grandes pelouses d’altitude boueuses et casse-pattes. Cette fois, j’ai un compagnon de course, on essaye de se motiver à deux, il me confie être dans le rouge le pauvre. Je gère mon alimentation et me rends compte que j’ai avalé tout ce que j’avais emmené dans mon Camel (soit une bonne dizaine de barres) mais que je n’ai pas eu de coup de mou ! C’est long et un peu laborieux, mais nous arrivons à l’Hospice de France 1h plus tard, 10h de course. On a retrouvé un peu de chaleur et je croise ici quelques têtes connues qui m’encouragent, ça fait beaucoup de bien (merci à Benoît et Céline). Une femme qui me sert de l’eau me redonne d’un seul coup un bon coup de boost : « plus que 12km ! » Ah oui ?? Je croyais qu’il en restait 17 ! Allez, on ne s’endort pas alors, je remplis et je repars avec le même compagnon de route, Stéphane !
La suite c’est 7 ou 8km de bitume en descente, suivi de 4 ou 5 en sous bois. Bien cassants sur la fin puisqu’on enchaîne les petites montées, descentes. Et après 10h de course, les montées, on ne les supporte plus vraiment en fait ! Cela dit, nous ne nous endormons pas sur cette dernière partie, avec des moyennes plutôt correctes si j’en crois ma super Suunto !! Des échanges sympathiques avec les autres coureurs (clin d’oeil à un certain Vindhya), l’ambiance est décontracte, je crois que psychologiquement, d’en être arrivés ici sans bobo, c’était déjà une victoire ! On reste tout de même concentrés, ça serait dommage de se faire une cheville (ou un pouce ! ;-)) si près du but ! Et je commence à imaginer le scénario où la 3ème féminine me revient dessus, ça me donne l’énergie pour accélérer. je préviens le groupe : »bon j’accélère un peu, histoire de ne pas me faire rattraper ! » C’est vrai qu’à papoter, même si c’était très sympa, on finissait par s’endormir un peu !
Je reconnais les sentiers que nous avons pris à l’aller, mais ces derniers kilomètres nous semblent tout de même interminables ! Lorsque je commence à entendre, au loin, la voix du speaker, je sais que l’arrivée n’a jamais été aussi proche … Une dernière succession de virages nous fait sortir du sous-bois et descendre sur le bitume, dans le centre de Luchon. Une dernière ligne droite et c’est le passage de la ligne, juste devant les Thermes ! Toute l’équipe i-Run est là pour m’applaudir, ça fait chaud au cœur ! 11h20, 2ème féminine et 26ème au scratch. Ça y’est, j’en avais fini avec ce gros chantier … Je perds la victoire mais je gagne une véritable belle expérience qui m’apportera énormément pour la suite, c’est certain ! Merci à toute l’équipe du Luchon Aneto Trail.
Sylvaine CUSSOT
Photos : Running Mag/Running Trail/Fabien Raphaël/AfumTeam/Marine Lavallee
Les résultats du Luchon Aneto Trail : resultats 73km resultats 42km resultats 15km