En 1988, naissait le Tout Pédestre de Chartreuse devenu seulement Grand Duc en 1995 avec la création du Parc Naturel Régional de Chartreuse, dont ce rapace nocturne est le symbole. Son créateur, Frédéric Maillet, alors directeur du groupement des Offices de Tourisme de Chartreuse et membre de longue date du Spiridon le voulait à l’image des courses du 18ème siècle du Haut-Gard, avec un esprit traversée des montagnes et vallées, mettant en valeur les attraits de la Chartreuse tout en fédérant les communes du massif et en respectant la maxime « la perf d’accord mais la fête d’abord », qui met en exergue les valeurs de la course nature des épreuves de longues durées, comme l’esprit d’entraide. Innovant, ce Tour Pédestre de Chartreuse,(seule course de cette distance en France et même des pays voisins) de 90km pour presque 45000m+, au départ du Sappey-en-Chartreuse, semblait démesuré pour l ‘époque.
George Galle, co-organisateur et « traceur » entre 1993 et 2006, vainqueur de 5 éditions officielles d’affilée et de l’édition off, se souvient : « à l’époque, il n’y avait pas tout cet équipement sophistiqué, on partait avec un tee-shirt en coton qui prenait l’eau, bien plus lourd, un short, et des basket moins amortissantes et techniques que maintenant. Il n’y avait pas non plus de GPS, tout au plus une montre que l’on consultait rarement et pas de bâtons. La diététique d’aujourd’hui n’existait pas, ni les barres et les boissons énergétiques, on se nourrissait de riz et d’oeufs! ».
Le Tour Pédestre de Chartreuse d’alors n’avait rien à voir avec le phénomène qu’est devenu le Grand Duc de nos jours. « Lors de la première édition, nous n’étions qu’une trentaine et il n’y avait presque que du haut niveau, à part quelques personnes comme moi, qui n’avais jamais dépassé les 21km !» se remémore George. « Cela a été dur, à mi-course, j’étais déjà un peu éteint…Au ravito, sous Bellefont, il ne restait que des cagettes vides avec des peaux d’oranges et un mot « servez-vous » et les bénévoles étaient tous partis ! » Mais George et ses amis Christian Pesanti et Georges Turel tiennent le coup et à l’aide d’un peu d’assistance dans les villages, avancent, fermant la course, pour passer la ligne, bons derniers mais heureux en 15h38! « Avec pour moi, une ampoule à chaque pied, qui partait du talon aux orteils ! » soulignera George avec humour.
Cette année-là consacra Michel Riondet, ex-aequo en 12 h 6 min avec le Suisse Jacques Berlie. Michel, coureur invétéré, bien connu et apprécié de tous, passionné de montagne, n’a depuis raté aucune édition du Grand Duc qu’il a toutes terminé, hormis la difficile mouture de 2013, où il fut stoppé par les barrières horaires. Ils étaient tous deux sur le départ de l’édition 2014, en relais pour George et en solo pour notre inépuisable Michel !
Le Grand Duc, dans le cœur des trailers…
Depuis ses débuts en 88, l’épreuve a bien changé, s’adaptant et évoluant pour améliorer la prestation et démocratiser l’épreuve, mais l’esprit de la course et la « base » restent les mêmes : un tracé découverte de la Chartreuse entre 70 et 90km et 2500 et 5000m+, toujours inédit, le seul à traverser et faire participer autant de communes sur une journée. Organisé par Chartreuse Tourisme, le Grand Duc connaît un fort engouement qui ne faiblit pas, se taillant une place de choix dans le cœur des trailers, qui sont, chaque année, de plus en plus nombreux à plébisciter ce pionnier de l’ultra trail, devenu incontournable. Il faut dire que notre oiseau sait se faire désirer et à ainsi vu se disputer ses faveurs nombres d’athlètes prestigieux comme par exemple Corinne Favre qui remporta l’édition 2 fois et Dawa Sherpa, gagnant de la cuvée 2011, auquel le Grand Duc aura donné du fil à retordre.
Benoît Laval, fondateur et président de la marque Raidlight, implantée à Saint Pierre de Chartreuse, faisait de l’œil depuis un moment au Grand Duc. Sportif accompli et vainqueur de nombreuses épreuves, le Grand Duc l’avait déjà plusieurs fois mis en échec. Cette victoire, il la voulait et l’a enfin obtenue sur l’édition 2013. Le Grand Duc, ce sont des moments d’exultation, de joie féroce alternant avec des instants d’abattement et de douleur, mais aussi des instants de partage et d’entraide qui font la réputation de l’épreuve. On y vient pour le tracé et la beauté des paysages, sauvages et préservés, chargés d’histoire, mais aussi pour l’ambiance et la convivialité.
Saint Pierre d’Entremont à l’honneur…
L’originalité de cette épreuve tient au changement de lieu d’accueil et de parcours chaque année, emmenant les participants à la rencontre des coins les plus surprenants et magnifiques de la Chartreuse, massif mystique et secret, à la rencontre des ses habitants, de son patrimoine et de son terroir.
C’est donc la commune de Saint Pierre d’Entremont en Savoie qui se prête aujourd’hui à l’exercice, ouvrant grand ses bras aux coureurs et à leurs familles pour ce week-end festif et sportif. Initiation à l’escalade, jeux pour enfants, stands sur l’écologie de montagne par L’Evasion au Naturel et sur la sécurité en montagne par Cartusiana sont autant d’animations qui tiendront en haleine petits et grands en attendant le retour des champions.
Quand le sort s’acharne…
Des embûches, en 25 cuvées ( + une en « off »), le trail du Grand Duc en a connu, triomphant des obstacles, préservant, malgré le nombre grandissant de participants, l’authenticité et la convivialité de son accueil ainsi que la qualité de ses tracés. Cette édition anniversaire n’aura pas fait exception à la règle ! Jusqu’au dernier moment l’organisation aura bataillé pour proposer aux 967 participants engagés sur les différents formats de l’épreuve, un parcours à la hauteur de l’événement, malgré un avis défavorable pour le passage en Réserve Naturelle des Hauts de Chartreuse, les obligeant à changer le tracé à quelques jours de l’épreuve.
Qu’à cela ne tienne ! Le tracé fut donc modifié prestement afin d’être prêt le jour J ! Mais samedi après-midi, nouveau coup du sort ! Après nombre d’éditions ensoleillées, le mauvais temps annoncé oblige une fois de plus l’organisation à revoir son tracé, supprimant certains passages, jugés dangereux. « Ce sera plus long, mais plus roulant ! » annonce Lionel Fouque, directeur de course. Au total ce seront donc 89km (au lieu des 85 prévus et 4900m+) qui attendront les participants, sur un tracé certes un peu moins exigeant et technique que les années précédentes mais plus long, à ne pas sous-estimer ! Un gros gâteau, à diviser en deux, partager à 5 ou à déguster seul pour les plus affamés.
La pression monte…
Dimanche matin, à l’approche de la première vague de départ, celle des solos, la tension monte peu à peu. Ils seront 967 à tenter l’aventure, chacun à sa manière : 250 solos, 76 duos et 113 équipes en relais 5. On sent émaner des groupes rassemblés une excitation mêlée d’appréhension. Excitation, car se mesurer à ce grand Duc représente à coup sûr un véritable challenge et la victoire, une grande fierté. Appréhension, en grande partie à cause du mauvais temps annoncé et du nouveau tracé rallongé de 4 km et 100m+.
5h, la vague des solos s’élance enfin, avec une avidité née de l’attente et du besoin impérieux de tenter un nouveau challenge ou encore de prendre leur revanche sur ce Grand Duc 2013, ardu de l’avis général, qui les avait forcé à l’abandon l’an passé. A 6 et 7h, c’est au tour des duos et relais 5 de prendre le départ de leur course, avec la même détermination que leurs collègues.
A l’assaut !
Après bon nombre d’éditions placées sous le signe du beau temps et même des fortes chaleurs, une météo agressive sévit sur la Chartreuse ! Les paysages du massif, d’ordinaire si attrayants, sont oblitérés par brumes et nuages, ne laissant entrevoir que par intermittences les sommets alentours, comme le Granier, géant lointain. Si les températures plus fraîches que d’ordinaire ne sont pas pour déplaire aux trailers, la boue que les participants arborent tous, des pieds à la tête, comme autant de peintures de guerre, et la pluie invasive, corsent sévèrement le challenge.
Le suivi live en instantané, mis en place sur l’aire de départ/arrivée, grandement apprécié (balises GPS et points de contrôles tout au long du parcours) permet à tous de ne rien rater des avancées des coureurs, qui, de leur côté, grignotent petit à petit les kilomètres. De Saint Pierre d’Entremont, la montée au Col de Fontanieu entraîne les concurrents vers le superbe site du Cirque de Saint Même, qu’ils atteindront au terme d’une folle descente vers la Cascade du Guiers située au fond du Cirque.
Epernay rallié, c’est l’ascension vers le Désert d’Entremont par ses 5 cols, Cucheron, Cluse, Grapillon, Planet et Mollard qui s’amorce, se terminant par une ronde autour du Mont Outheran…Les organismes commencent à souffrir des conditions difficiles de course, couplées aux effets du fort dénivelé de la première partie. Ainsi débute ensuite depuis le foyer de ski de fond du Désert d’Entremont, le périple pour les relais 3 et les duos 2, emboîtant le pas aux solos dans la montée vers le Mont Joigny, en passant sous la Pointe de la Gorgeat.
Les crêtes du Joigny comme les autres paysages traversés offrent un spectacle morose, entre brouillard et pluie, privant les participants d’une vue qui promettait d’être superbe. Malgré tout, le sourire et la bonne humeur sont là et les coureurs ont encore la force de poser pour l’objectif tout en lançant quelques blagues !
De retour à Saint Pierre d’Entremont, en avant toute pour un petit tour vers la mythique Voie Sarde ! Le soleil commence à pointer le bout de son nez, tandis que le plateau de la Ravoire recrache petit à petit les participants devant une volée d’escaliers en acier, fichés le long de parois calcaires, où ils devront freiner « difficilement » leur ardeur pour quelques instants de marche obligatoire, avant de déboucher au cœur de la Voie Sarde, sertie entre deux impressionnantes falaises.
Puis c’est Saint Christophe la Grotte et ses acclamations sous un soleil enfin radieux, apportant une chaleur bienvenue à des organismes malmenés. Pont Saint Martin marque le début de la dernière partie qui entraînera tout ce petit monde vers l’ancien Pas du Frou, surplombant les Gorges du Guiers. Mais la malchance se poursuit car rapidement le beau temps cède de nouveau la place à de sombres nuages et les coureurs pressent le pas en entendant le grondement sourd du tonnerre. La station de la Ruchère est dépassée et le Pas Dinay délivre enfin le sésame pour l’arrivée prochaine à Saint Pierre d’Entremont et la consécration, sous un orage et une pluie féroces.
Entre singles en sous-bois, larges pistes forestières et vastes alpages, glissades, descentes soutenues et montées harassantes, les participants ne pourront pas dire que cette édition anniversaire n’a pas été arrosée comme il se doit ! Rien ou presque ne leur aura été épargné et il leur aura fallu une bonne dose de détermination pour tordre le cou à ce Grand Duc, exceptionnel à bien des égards, savourant ainsi une victoire largement méritée, qu’une cuvée spécial Grand Duc viendra récompenser !
Cette édition 2014, martyrisée par la météo, connu un nombre d’abandons impressionnant chez les solos, 250 présents sur le départ, dont seulement 79 franchirent l’arrivée, les autres tombant au champ d’honneur, terrassés par les difficultés. Un tiers des duos arrêtèrent leur aventure avant la fin contre seulement deux équipes de relais 5. En tout, ils furent 229 à rendre les armes sur les sentiers de Chartreuse !
Revanches…
Cette éprouvante édition verra triompher l’Isérois Denis Beaudoing chez les solos hommes et Alexandra Rousset pour les femmes, qui ne sont que trois a avoir vaincu le Grand Duc cette année en solo ! Denis, du team Terre de Running, était arrivé second lors du Grand Duc 2013, après une âpre lutte avec Benoît Laval qui avait pris l’ascendant sur la toute fin du parcours, avec moins d’une minute d’écart à l’arrivée.
Cette année, en tête au premier check point d’Epernay, Denis subit ensuite une perte de temps due à une désorientation sur le terrain, dans la portion entre Epernay et le Col de la Cluse, échangeant sa place avec Serge Monnet, qui le talonnait de près, pointant alors second au Désert d’Entremont avec trois minutes de retard. Il lui faudra attendre le dernier tiers du parcours pour reprendre le dessus sur son rival. 2014 lui permet donc de prendre une belle revanche, remontant petit à petit son concurrent, en faisant fi des assauts des éléments et des difficultés rencontrées tout au long du parcours, bouclant en 11:16:55.
Dix minutes plus tard, son premier dauphin, Serge Monnet, franchit à son tour la ligne. Il faudra attendre 3/4 d’heure pour voir émerger le troisième gagnant, Kevin Dessier. Alexandra Rousset du Team Raidlight survole l’épreuve et monte sur la plus haute marche de ce podium féminin en 14:33:05. A l’arrivée, elle nous confie toute la fierté d’avoir réussi ce challenge et d’avoir enfin remporté cette course à laquelle elle a participé à plusieurs reprises mais qui jusque là se refusait à elle. En effet, en 2013, elle avait terminé sur la seconde marche, bouclant le circuit à une demi-heure de Bénédicte Paturel qui s’emparait alors de la première place.
Une heure et demi plus tard, la savoyarde Sophie Muzeau apparaît à son tour dans le village pour passer, victorieuse, la ligne d’arrivée, en seconde position. La grenobloise Carole Adam, qui aura longtemps bataillé pour remonter Sophie, la devançant même de quelques secondes au check point de Saint Christophe la Grotte, avant d’être définitivement distancée sur les derniers km, complète ce podium dames en 17:13:05.
Chez les duos homme ce sont Steve Rein et Alexis Montagnat-Rentier qui remportent le défi. En duo mixte, ce sont Marie-Hélène Paturel et Benoît Laval qui l’emportent. Le duo exclusivement féminin est gagné par Nathalie Jidouard et Carole Mollon.
Du côté des relais, c’est du tout bon pour les deux Teams Terre de Running, homme et mixte, respectivement formées du quinté Julien Roussely, Franck Chiarucci, Stéphane Bacconnier, Nadir Belkier, Olivier Soriano et de l’équipe Loic Belle, Laurent Gigante, Yoan Dercourt, Lecouty Maité, Céline Magnier, toutes deux remportant la première place de leur catégorie. Emilie Blanchard, Alisson Toms, Carole Joubert, Elsa Pellet, Karine Quatela terminent premières du relais 5 chez les dames, montant sur la première marche.
L’aventure Grand Duc se clôture enfin en soirée avec l’arrivée des derniers concurrents. Malgré les difficiles conditions pour tous les acteurs de cette manifestation, cette 25ème édition, organisée par Chartreuse Tourisme, a permis de faire découvrir à tous la Chartreuse, l’animant et la faisant vivre au rythme des pas des trailers, autour de cet événement fédérateur, participant activement à la vie économique et sportive du massif.
Texte : Marjorie Perrot
Crédit photos : ©Terra Trail/Laurent Llopis – Marjorie Perrot
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