Les premières lignes de Outrun the Sun ont été écrites il y a plus d’un an. Il aura fallu de longs mois de travail et de réflexion pour que le projet puisse concrètement voir le jour. Quelques jours après l’évènement, on comprend facilement pourquoi … Un projet de telle envergure ne se réalise pas en un claquement de doigts ! Lorsque Laurent Ardito, team manager du team ASICS trail et directeur technique du projet, nous a présenté le projet à ses débuts, tout paraissait encore surréaliste, mais pourtant déjà incroyablement grandiose et magique … Nous n’étions que quelques chanceux avoir été choisis pour faire partie de l’aventure, il fallait en avoir conscience en mesurer cette chance.
Le projet est certes ambitieux, mais réalisable. Deux équipes de coureurs devront parcourir le Mont Blanc en relais et boucler le tour complet plus rapidement que le soleil. Le jour du défi n’a pas été choisi au hasard puisque pour donner un maximum de chance à la réussite, il fallait aussi un maximum d’ensoleillement. Voilà pourquoi la date du 21 juin a été retenue ! Le jour le plus long certes, mais tout de même 162km et plus de 9000m de dénivelé positif à parcourir … Pas si simple que ça en réalité ! Le Team 1 (Ultra Trail) n’est composé que de 4 coureurs (Kota Araki, Thomas Lorblanchet, Jonas Buud et Xavier Thevenard) mais en l’occurrence, pas les moins forts de la discipline … donc même si, sur le papier, nous partons avec un avantage non négligeable en étant 7 coureurs dans le Team 2 (Enduro), nous n’avions pas forcément plus de chance de réaliser cet exploit. Une chose est certaine, nous étions tous ultra motivés et prêts à tout donner pour franchir cette ligne d’arrivée avant l’heure fatidique : 21h26.
Une équipe internationale
L’ensemble de l’équipe, staff et coureurs, s’est rassemblée sur Chamonix quelques jours avant l’évènement. Nous arrivons sur Chamonix lundi 16 juin en soirée, pour une réunion préparatoire indispensable le lendemain. Rencontre avec les autres coureurs et les premiers échanges difficiles (barrière de la langue), avec une équipe internationale composée de plusieurs nationalités. Brésil, Japon, Royaume Uni, Suède, Belgique, France, Espagne, … On s’efforce de se faire comprendre en anglais, mais ça tourne quand même assez rapidement en dialogue de sourds ! Plus d’amusement que d’agacement au final, et les différences des cultures sont clairement perçus comme une richesse pour le groupe. Diététique, habitudes, entraînements … font partie des choses que l’on peut gérer différemment selon nos origines (au grand bonheur de notre chef cuistot, n’est ce pas Sylvain ?) . Il en ressort que les espagnols parlent beaucoup plus forts que les suédois, les japonais sont beaucoup plus ponctuels que les français, les espagnols mangent bien n’importe quoi et à n’importe quelle heure, les français mangent du maquereau au petit déjeuner, ou encore que les anglais boivent du thé à n’importe quelle heure de la journée … ! 😉 Trêve de plaisanterie, ces quelques jours passés tous ensemble au chalet ont été d’une richesse incroyable à tous niveaux et nous avons partagé de très bons moments qui renforcent indéniablement le côté inoubliable de l’aventure …
Une répétition générale grandeur nature
Le mercredi 18 juin est consacré à la reconnaissance des parcours et à une sorte de répétition générale grandeur nature. Chaque coureur se concentre sur sa partie. L’intérêt de cette démarche étant de ne pas avoir de mauvaises surprises le jour J, aussi bien en terme de balisage que de difficultés diverses rencontrées sur son parcours (technicité, dénivelé, kilométrage …). Réveil très matinal pour les premiers relais donc, qui prennent le départ comme prévu samedi, c’est à dire au lever du jour vers 5h40. Les départs et les retours au chalet se croisent, un quasi sans fautes côté logistique et timing, ça rassure pour le jour J ! Côté météo nous ne sommes pas gâtés ce jour là, pas mal de pluie et de brouillard, qui rendent l’orientation parfois un peu plus compliquée. Quelques frayeurs d’ailleurs provoquées par des erreurs d’aiguillage et des athlètes qui se rajoutent du kilométrage … Me concernant, le passage prévu au Col des Sapins après la montée au refuge de Bertone est vraiment difficile. Nous traversons des portions très enneigées et les descentes sont rendues très glissantes par la bouillasse qui s’est formée. Honnêtement, je ne faisais pas la maline toute seule là haut ! Malgré le zéro prise de risque que je m’étais fixée (j’avais d’ailleurs l’impression de vraiment vraiment me trainer !), je glisse dans la descente vers Arnuva et tombe violemment sur un rocher. Je ne m’en sors pas si mal : juste un bel hématome sur la cuisse gauche. Mais les guides prennent finalement la décision de ne pas nous faire passer sur cette portion le jour J, considérée encore trop dangereuse. Ouf !!
Rencontre avec la presse et les revendeurs
De nombreux invités venus des 4 coins de l’Europe sont là pour assister au « spectacle ». Des journalistes bien sûr. Ils relaient l’évènement et une rencontre est d’ailleurs organisée lors d’une conférence de presse vendredi. Après la présentation des coureurs, et d’un beau discours du directeur marketing ASICS Europe, Michael PRICE, nous passons de table en table pour répondre aux questions des différents journalistes présents. En anglais … Merci à Monica, notre traductrice, au top ! 😉 Personnellement je suis impressionnée de l’ampleur que prend l’évènement et de la médiatisation qui gravite autour. Parmi les invités également, de nombreux revendeurs ou employés ASICS, que nous avons eu l’occasion de rencontrer lors d’un dîner organisé le jeudi soir dans un restaurant du centre de Chamonix. Un concept assez original : un athlète uniquement par table d’invités. Un bon moyen de « forcer » les échanges et justement de parler du projet ! Bon encore une fois, il a fallu se débrouiller pour s’exprimer malgré les différentes nationalités. Aucun français à ma table, autant dire que je ne me suis pas lancée de de très grandes discussions … ! 🙂 Mais j’ai eu l’occasion de rencontrer une belle équipe de passionnés, merci à eux pour ce moment partagé.
La course contre le soleil
Le jour tant attendu par tous est finalement très vite arrivé. Un peu de fatigue après une semaine chargée en émotions, et, mine de rien, une belle sortie avec du dénivelé et quelques frayeurs mercredi (après la sortie où on s’était bien cassés les cuisses au Ventoux dimanche dernier, on ne peut pas dire qu’on se soit vraiment reposés), mais la pression avait eu le temps de monter progressivement depuis lundi soir, pour nous mettre dans un état de hâte et d’excitation ce samedi matin. La météo est avec nous, pas une seule perturbation annoncée ce 21 juin 2014 sur Chamonix. Le soleil semble être en forme, la bataille est loin d’être gagnée …
Chaque coureur a son timing en tête et à partir de 4h, les sonneries de réveil retentissent régulièrement dans le chalet ! Manu fait partie des « lève-tôt » puisqu’en tant que « remplaçant », il doit suivre les coureurs de près, du début à la fin. Pour ma part je suis plutôt gâtée de ce côté là, pour un départ de course aux alentours de 13h15, je ne quitte qu’à 9h40. Dès le réveil et pendant le petit déjeuner, nous prenons la température sur l’état d’avancement des coureurs. Smartphones, Tablettes PC, ordinateurs … tout le chalet est WIFI connecté !! Grâce aux différentes photos ou vidéos postées sur les réseaux sociaux, nous pouvons assister au départ des gars et s’informer des différents écarts. A priori Kota (team ultra trail) assure comme un chef, Iaza (team Enduro), aurait pris une vingtaine de minutes de retard mais il gère ! Ce n’est que le début, la journée va être longue, rien n’est perdu ni gagné !
C’est Maxou qui orchestre notre logistique et nous véhicule jusqu’à notre point de relais ! Nous prenons la route de Courmayeur avec Jonas (qui prendra le relais de Xavier du Team Ultra Trail) et Gert (qui filera sur Arnuva juste après mon départ). De nombreux invités sont attendus là bas ce midi, un déjeuner est organisé vers 13h. Déjà à 10h30, on sent l’effervescence qui monte crescendo tranquillement. Arches, banderoles, flammes, barnums, DJ … Courmayeur est prête à accueillir le passage de relais ! Un écran géant est installé pour nous permettre de suivre l’évolution de la course. Le Team Ultra Trail a réussi à prendre un peu d’avance, et le Team Enduro a augmenté un peu son retard, il semblerait que Genis soit parti avec 22′ de retard sur le temps prévu. Cela ne me rend pas super sereine, sachant que je savais qu’il serait très difficile pour moi de parvenir à boucler mon relais dans les chronos calculés : 5km et quasiment 1000mD+ d’entrée de jeu pour grimper jusqu’au refuge de Bertone, puis une douzaine de kilomètres à enchaîner pour rallier Arnuva en passant par le refuge de Bonatti, portion que je n’avais pas reconnu. On me dit que c’est assez roulant, mais je n’ai que 1h45 pour être dans le timing, c’est tendu !
Xavier arrive comme prévu en premier à Courmayeur, avec toujours quelques minutes d’avance. Grosse ambiance pour encourager ce passage de relais avec Jonas Buud ! Genis devrait être là dans une trentaine de minutes, je commence à m’échauffer, histoire de ne pas m’asphyxier dès le début de la montée. Mais à 13h il fait déjà chaud et quelques foulées me suffisent pour étouffer. J’emporte sur moi un bidon et un gel, cela devrait suffire … Les journalistes sont nombreux, les projecteurs sont braqués sur moi alors même que je suis en plein manque de confiance en moi ! Une chose est sûre : je suis beaucoup plus stressée aujourd’hui qu’un jour normal de compétition. Tout simplement parce que les enjeux impliquent toute une équipe et que je n’ai pas envie de décevoir mes coéquipiers. Manu et Cathy me rassurent comme ils peuvent : « t’en fais pas, gère la montée, ça va bien se passer ! » J’ai faim, j’ai soif, mais ce n’est plus l’heure, Genis va arriver d’une minute à l’autre maintenant.
Nous scrutons son arrivée à droite, je ne lâche pas le regard de la rue. Soudain, une main m’attrape le bras à gauche, je me tourne ; GENIS ! Il me tend la montre calmement : « tiens, à toi ! » Quelle surprise, il s’est trompé de chemin et est arrivé discrètement par l’autre côté. Pas de temps à perdre, Cathy m’accroche la montre (c’est ce qui sert de témoin de relais !), la balise GPS au bras et je m’élance dans les ruelles de Courmayeur avec une seule chose en tête : arriver le plus vite possible à Arnuva ! Je regarde l’heure, nous avons un peu moins d’une vingtaine de minutes de retard, impossible d’en perdre davantage ! Une ligne droite de 300m, un virage à droite et l’ascension démarre ici : c’est parti pour 5km de montée ! Du bitume d’abord, mais rapidement, j’arrive sur les premiers sentiers. Je me concentre sur ma foulée, ma respiration, en essayant de ne pas m’emballer. Objectif : courir jusqu’en haut ! Pas besoin de perdre du temps à chercher les balisages, j’ai reconnu cette portion mercredi. Un point positif !
Je pensais retrouver un peu de fraicheur au fur et à mesure de l’ascension, mais il fait finalement toujours aussi chaud. Je commence à avoir envie de vomir, j’ai les jambes lourdes, le souffle bloqué (les effets de l’altitude quand on habite en plaine …) … Bref, je ne suis pas dans une forme des grands jours mais je m’accroche malgré tout. La pente se fait vraiment raide par moment, je craque et m’accorde quelques foulées de marche … J’essaye de relancer quand le sentier le permet mais l’ascension me paraît vraiment difficile. Allez, allez, une fois là haut, tu auras fait le plus dur ! Quelques minutes et grimaces de souffrance plus tard, j’aperçois enfin le refuge et entends des encouragements là haut. J’ai mal aux jambes, je sens que je manque clairement d’énergie (la chaleur ?), mais j’espère que ça va revenir sur la seconde partie. Ce sont les guides qui font partie de l’équipe de balisages qui m’attendent au sommet, ils sont au top, merci pour leur soutien et leurs encouragements !
Virage à gauche au lieu de partir à droite vers le col du sapin comme mercredi lors de la reconnaissance. Je démarre donc la portion que je ne connais pas. Je demande l’heure aux gars : « il est 14h20 ! » (je fais rapidement le calcul, j’ai mis 45′ pour grimper, c’est bon, je suis dans le timing prévu, pile poil !). Par contre ça veut dire que j’ai moins d’une heure pour arriver à Arnuva, il ne faut pas s’endormir ! Pas question de m’arrêter, je m’arrose à la volée, j’avale un gel en courant et reprends le sentier qui file en descente. Les guides décident de faire un bout de chemin avec moi, trop sympa ! Ils restent derrière, à mon allure et me soutiennent tout en m’orientant pour m’éviter de perdre du temps à chercher les balisages. La relance est bonne mais on reprend un petite grimpette et le coup de massue tombe sur moi. C’est dur, je partage mes peines avec mes coéquipiers du moment : »Je n’ai pas de jambes, pas d’énergie, … désolée ! » ils me rassurent : « si si, tu avances bien, on a bonne allure là, c’est super, allez accroche ! » Il fait très chaud et toute cette partie en bord de crêtes est ensoleillée. Aucune zone d’ombre ! C’est juste MAGNIFIQUE ! A défaut d’avoir des jambes aujourd’hui, j’ai mes yeux et j’admire ce splendide décor qui s’offre à moi, au milieu de ces montagnes …
En enchaîne, montée, descente, montée, descentes … courtes mais cassantes et l’enchaînement est rude ! Je n’ai plus d’eau, ma gourde est vide, j’ai oublié de remplir à la fontaine de Bertone, erreur ! Le temps ne passe pas vite, j’ai l’impression qu’on court depuis 3h ! Et derrière, Claudio qui me répète sans cesse : « 100m en haut, après c’est fini, ça descend tout le temps ! » Mais je ne le crois même plus … Pourtant je reconnais le croisement après Bonatti qui me raccroche au dernier sentier technique qui descend vers Arnuva. Il me met en garde avant de me laisser ici : « attention, c’est technique ici, prends ton temps ! Il est 15h08, c’est bien, t’as fait une belle course Sissi ! » Oui je me souviens être passée là mercredi.
Je descends prudemment mais en essayant d’allonger. Le sentier s’élargit et j’entends du monde en bas : « allez Sissi ! » C’est Ben et son fils. Il y a aussi quelques photographes et caméras. Sauf que ce n’est pas fini, une fois en bas il me reste 3km de bitume en faux plat montant et en plein soleil … L’horreur !! Je n’en peux plus, je suis vidée, asséchée. Mais foulée après foulée, j’avance. Ça monte toujours, doucement mais sûrement. J’ai l’impression de me trainer mais je suis à fond de toute façon. Après de longues minutes sur cette route, je vois enfin Maxou et Gert prêts à arracher la montre de mon poignet pour me libérer … C’est fini, le relais est passé, je peux m’écrouler sans culpabiliser … Allez Gert, à toi de jouer ! Il est 15h27. J’ai mis 1h53 au lieu des 1h45 prévus. Je suis triste et déçue, je n’ai pas rempli mon contrat et j’ai fait perdre un peu de temps à l’équipe. Mais franchement, j’ai donné le maximum avec les conditions du jour et je n’ai rien à regretter. Presque 17km et plus de 1000mD au final, plus que ce qui était noté sur le papier …
Un final pleins de suspense et de rebondissements !
Retour au chalet à la fin de mon relais où je retrouve l’équipe et Megan, notre dernière relayeuse qui attend son sagement ! Nous continuons à suivre l’avancement de la course grâce au suivi live sur internet, le stress et l’incertitude ne nous lâcheront pas jusqu’à 21h26. Le team Ultra Trail a de fortes chances d’arriver en avance, nous prenons donc la route du centre ville de Chamonix pour être en place tôt et se préparer aux deux finishs. Une belle ligne d’arrivée a été mise en place, un écran permet, là aussi, de suivre l’évolution en temps réel. L’ambiance est là et les spectateurs commencent à s’avancer, poser des questions, s’intéresser … et à trépigner de voir les coureurs arriver ! TomTom ne devrait pas tarder, les 3 autres coureurs du team Ultra Trail se rassemblent pour aller le chercher et terminer les 100 derniers mètres ensemble. Ils en terminent victorieux, sous les acclamations d’un public généreux en 15h06 !
Quelle belle course d’équipe ! Il ne reste plus que 36′ à Megan pour arriver et ainsi permettre à notre équipe de vaincre nous aussi, le soleil ! C’est tendu … mais le suivi live nous permet de suivre ses allures et ses pointes à 15/16 à l’heure prouvent qu’elle ne traine pas en route et que tout est encore jouable ! On recommence à y croire du coup. La pression monte, il reste 3km. Nous sommes tous les 6 rassemblés pour aller chercher Megan dans la dernière ligne droite. Yeux sur la montre : 21h15, 16, 17 … 21h25, toujours pas de Megan ! Dans une minute, le défi sera perdu … Allez Megan ! Puis elle apparaît au loin, un point rose qui se rapproche très vite de nous. Nous crions pour la motiver ! Go go !! Plus le temps de regarder la montre, il faut foncer sans réfléchir ! Dernier effort pour elle, un sprint de fou nous pousse vers le ligne fatidique … que nous franchissons à 21h26 et 15 secondes.
Défi perdu d’un cheveu donc, mais le déception de cet échec disparaît rapidement parce que nous avons tous conscience que nous repartirons grandis de cette fabuleuse expérience humaine, qui représente beaucoup plus qu’un simple challenge sportif ou une simple opération marketing organisée par une marque … ! Bravo à tous d’avoir permis à ce magnifique évènement d’exister.
Sylvaine CUSSOT
Photos : Sissi et Monica Dalmasso