Entretien avec Nicolas Horvais, biomécanicien et chercheur chez Salomon.
U-Run : Bonjour Nicolas, tu es biomécanicien dans le département recherche chaussures chez Salomon. Quelle formation as-tu suivie et surtout comment as-tu atterri chez Salomon ?
Nicolas : Bonjour. Après un BAC Scientifique, j’ai suivi la formation Universitaire Staps à l’Université de Nice-Sophia Antipolis. Lors de nos initiations à la recherche dans nos 1ères années de formation, j’ai tout de suite apprécié la recherche dans le monde du sport. Je me suis donc orienté vers un doctorat que j’ai réalisé à l’Université de Savoie, au Bourget du Lac. Lors de ce doctorat, j’ai eu l’opportunité d’obtenir des contrats de prestation avec différentes sociétés commercialisant des produits sportifs. C’est par ce biais que j’ai eu l’occasion de découvrir l’utilité de la biomécanique dans le monde de l’industrie sportive. A la fin de mon doctorat ; Salomon proposait un stage de 6 mois en biomécanique appliquée à la chaussure de Trail Running, j’ai sauté sur l’occasion. Mes dirigeants chez Salomon ont eu confiance en moi. Cela fait maintenant 7 ans que je suis chez Salomon.
U-Run : Combien de personnes êtes-vous à travailler pour la cellule de recherche Salomon et comment vous organisez-vous pour déterminer les tâches de chacun ?
Nicolas : Nous sommes actuellement 13 personnes à travailler au sein de l’équipe R&D chaussures. Nous sommes tous répartis en 4 métiers différents qui répondent au besoin d’un projet : chef de projet / ingénieur matière / prototypiste / biomécanicien. Pour un même projet, nous apportons tous notre savoir-faire pour mener à bien ce projet.
U-Run : Quels sont selon toi les critères fondamentaux d’une chaussure de trail ?
Nicolas : il y a plusieurs disciplines en Trail Running, disciplines qui peuvent être très différentes (kilomètre vertical et ultra-trail par exemple). La chaussure doit répondre aux besoins spécifiques des coureurs dans chacune de ces disciplines tout en étant adaptée à leur morphologie, à leur façon de courir, leur niveau d’exigence et enfin au terrain. C’est pour cela que nous proposons plusieurs gammes de chaussures en fonction de la discipline que souhaite pratiquer chaque coureur. Par exemple, une chaussure de Fell Running (pratique ultra niche du Nord de l’Angleterre) doit être légère, avoir un très bon grip et ne pas retenir l’eau. Dans ce type de pratique, le sol étant déjà très souple, il n’est pas forcément nécessaire d’apporter de l’amorti sur cette chaussure. Pour une chaussure de trail et d’ultra-trail, la stabilité, le grip, l’amorti et le confort sont des critères très importants.
U-Run : Tu travailles actuellement sur la chaussure de trail 2017. Peux-tu nous donner ta vision de l’évolution de la chaussure de trail dans les prochaines années ?
Nicolas : Dans notre process R&D, nous commençons effectivement à travailler cette année sur nos modèles qui sortiront en 2017 en magasin. Nous avons besoin de temps pour concevoir un modèle le plus performant et fiable possible. Ces dernières années, la pratique du trail s’est très diversifiée et a été rendu accessible à un nombre plus important de pratiquants. En trail, les vitesses de course ont considérablement augmenté. On est passé d’une course où l’on alternait marche et course à des courses où les athlètes courent tout le temps et de plus en plus vite. La chaussure de Trail devra s’adapter à cette évolution de la pratique. La chaussure de Trail des années 2000 n’aura plus rien à voir avec la chaussure de demain. Les athlètes demanderont des chaussures toujours plus légères mais avec de l’amorti et de la stabilité car ils iront plus vite dans des terrains encore accidentés.
U-Run : J’ai souvent entendu dire que, pour élaborer des chaussures de trail, Salomon était partie de chaussures de « montagne » que la marque a cherché à alléger et assouplir alors que les autres marques sont parties de chaussures de « route » qu’elles ont cherchées à rendre plus stables et avec plus d’accroche. Quel est ton avis là-dessus ?
Nicolas : La 1ère chaussure « Outdoor » Salomon était une chaussure de trekking. A l’époque, les personnes qui travaillaient sur cette chaussure étaient toutes des personnes issues de notre bureau d’étude « ski de fond ». Le besoin du trekkeur était déjà d’avoir une chaussure plus légère et plus stable que les chaussures existantes. L’expérience de Salomon dans la chaussure de ski de fond a effectivement permis de concevoir la 1ère chaussure de trekking Salomon. Après ces chaussures de trekking, Salomon s’est beaucoup investi dans la pratique des Raid Aventures et le développement de chaussures en lien avec cette pratique. Il y avait aussi un lien très fort entre les 1ères chaussures de trekking et les 1ères chaussures de Raid Aventure. Après la pratique du Raid Aventure est venue la pratique du Trail Running et, de la même façon, les 1ères chaussures de Trail Running ont pris leurs inspirations dans les chaussures de Raid Aventure. Donc, oui, en quelque sorte, l’histoire « chaussures » chez Salomon permet de dire que nos chaussures de Trail sont issues d’une pratique de la montagne. Après, dire que cela est mieux de partir d’une inspiration de la montagne que de partir d’une inspiration de la route, nous le pensons, mais c’est le futur pratiquant qui nous le dira.
U-Run : Quels sont selon toi les aspects différenciant des chaussures de trail Salomon par rapport à celles des autres marques ?
Nicolas : Comme je l’ai dit précédemment, la pratique du Trail peut être très différente entre un kilomètre vertical ou un ultra-trail. Pour chaque chaussure que nous concevons, nous mettons tout en œuvre pour bien comprendre les besoins du pratiquant dans chaque pratique et nous essayons de répondre à ce besoin par des caractéristiques techniques dans la chaussure. De plus, pour la création de notre gamme S-lab, nous travaillons en collaboration très étroite avec nos athlètes. Nous écoutons leurs besoins et nous tentons du mieux possible de les transformer en caractéristiques techniques dans nos chaussures. Il arrive aussi assez souvent que nos athlètes viennent nous voir avec une idée très concrète voir un prototype. C’est une vraie collaboration que nous avons avec eux. Je ne sais pas si cela est le point différenciant une chaussure Salomon d’une autre marque mais c’est notre façon de travailler au quotidien.
U-Run : Existe-t-il d’autres activités sportives qui utilisent des technologies similaires à celles que l’on retrouve dans les chaussures Salomon et desquelles vous pouvez vous inspirer ? Autrement dit, existe-t-il des passerelles technologiques entre le trail et d’autres activités sportives ?
Nicolas : Nous essayons au maximum de croiser nos technologies quand celles-ci peuvent répondre aux besoins de deux activités différentes. Le meilleur exemple chez nous est le Quick-Lace à l’origine développer pour une chaussure de ski de fond pour des raisons d’efficacité et de simplicité de laçage et qui répond aussi parfaitement au besoin d’adaptation de la force de serrage en Trail Running pour adapter son serrage entre la montée et la descente sans perdre de temps par exemple. D’un point de vue général, nous essayons au maximum de croiser nos savoir-faire entre les différents services R&D.
U-Run : Les chaussures sont quelque fois créées pour répondre spécifiquement à des épreuves et parcours particuliers. Pourrais-tu nous citer les chaussures idéales de la marque pour respectivement courir des épreuves comme le Km vertical, le Marathon du Mont-Blanc, la CCC et l’UTMB ?
Nicolas : Oui, nous développons nos chaussures en fonction des besoins des pratiquants pour une pratique donnée. Par conséquent, il peut y avoir plusieurs modèles qui répondent à une pratique en fonction des conditions météorologiques, du niveau de technicité de la chaussure que l’on souhaite avoir …
Pour un kilomètre vertical, je conseille une chaussure légère avec un bon cramponnage si le sol est humide : S-lab Sense 3 Ultra / S-lab Sense 3 Ultra SG / S-lab FeelCross 2 / FellRaiser / SpeedCross 3. Pour le Marathon du Mont-Blanc, c’est une course assez atypique où le dénivelé positif est plus important que le dénivelé négatif. Je propose donc une chaussure qui garde une bonne légèreté mais avec plus d’amorti que les chaussures pour réaliser un kilomètre vertical : SpeedCross 3 / S-lab XT6 / S-lab XT6 SoftGround / S-lab Sense 3 Ultra si vous avez l’habitude de courir sur l’avant du pied. Enfin, en ce qui concerne la CCC ou l’UTMB, on parle ici à chaque fois de Trail en montagne relativement long. Je suggère une chaussure avec un bon amorti et une bonne stabilité : S-lab XT6 / S-lab XT6 SoftGround / XT Wings 3.
U-Run : Tu reviens tout juste de l’événement ADVANCED WEEK SALOMON qui a réuni la quasi-totalité des athlètes du team Salomon à Limone sul Garda en Italie. Peux-tu nous expliquer en quoi consiste ce type d’événement et quel rôle y joues-tu ? Quel rapport as-tu avec les athlètes du team Salomon et en quoi vous aident-ils concrètement dans l’élaboration de la chaussure de demain ?
Nicolas : Nos athlètes nous aident à développer l’ensemble de notre gamme Slab, ces produits sont le fruit de leurs attentes. L’Advance Week est un moment privilégié que nous avons avec nos athlètes pour recueillir leurs besoins pour les produits futurs, leur faire tester les nouveaux prototypes que nous avons développés, validés avec eux, pour que les directions dans lesquelles nous développons nos produits répondent à leurs attentes. Pendant un Advance Week, nos athlètes enchaînent des séances de tests toute la journée afin de valider ou non nos prototypes. Nous organisons aussi beaucoup de réunions avec eux afin de recueillir leurs besoins. Pour ma part, l’Advance Week me permet justement de mettre en place des tests biomécaniques avec l’ensemble de nos athlètes ; ce que je ne pourrais pas faire avec eux sans cette semaine tous ensembles. Ces tests permettent soit d’entrer en détail dans la compréhension de la pratique du Trail ou bien sûr, de valider nos prototypes.
U-Run : Etudiez-vous chez Salomon les attentes du client final, autrement dit du traileur « commun » ? Et si oui de quelle façon ?
Nicolas : Nous travaillons de la même façon avec le traileur « commun » qu’avec nos athlètes. Bien sûr, nous n’organisons pas d’Avance Week avec le traileur « commun » mais nous cherchons aussi à capter le besoin de ce pratiquant via ce qu’on appelle des Focus Group. Les tests de validation de nos prototypes en direction de ces pratiquants sont réalisés exactement de la même façon que ceux avec nos athlètes. Nous avons autour d’Annecy un terrain de jeux et un vivier de coureurs suffisamment large pour pouvoir valider nos produits. Nous réalisons aussi beaucoup de tests avec les employés Salomon qui sont pratiquants.
U-Run : Une dernière question ! Verrons-nous bientôt des chaussures de route chez Salomon ?
Nicolas : C’est déjà le cas ! Nous avons une gamme « CityTrail » qui est destinée à la course urbaine. Lorsque nous avons travaillé sur cette gamme de chaussures, nous avons compris que, pour une certaine partie des coureurs sur route, courir un 10 km, un semi ou un marathon n’était plus suffisant en termes d’attentes. D’autres attentes, autre que la performance chronométrique pure, identique à celle du Trail Running étaient demandées par ces coureurs (découverte d’une ville, plus de variation dans le parcours…). C’est pour cela que notre gamme CityTrail n’est pas une chaussure de route comme les autres, elle permet d’aller courir en ville tout en gardant certaines caractéristiques d’une chaussure de Trail pour pouvoir sortir des sentiers battus tout en restant en ville. Nous allons continuer à développer cette gamme car nous pensons que l’avenir de la course sur route peut passer par ce type de pratique.
Merci Nicolas, bonne continuation chez SALOMON !
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