Autant commencer par cela, je l’avoue, même si l’issue de cette course n’est pas à mon goût, je retire beaucoup de leçons de cet épisode japonais qui commence bien avant mon abandon au 122 ème kilomètre de la course…
Cela faisait en effet 3 ans que je voulais prendre le départ de cette épreuve qui m’attirait particulièrement. Autant dire que j’étais très motivé à l’idée de m’aligner sur cet ultra trail. Ma prépa a débuté quatre mois auparavant début janvier avec en fil rouge une bonne prépa côté foncier et trois épreuves de préparation que j’avais réussi à remporter : le Forest trail 31, Le Ceven’trail au Vigan et l’Ecotrail de Paris fin mars. J’arrive donc sur cette course avec une bonne condition et une grosse envie de bien faire.
Le lundi précédant la course et avant de s’envoler pour Tokyo, je réussis même à caser une petite sortie vélo dans le Jura avec Laurent le team Manager et Frank Bussière mon acolyte de team avec qui on a partagé de beaux moments ces dernières années. C’est un bon moment de partage comme je les aime qui me met bien en orbite avant de prendre l’avion. L’après midi nous retrouvons Tomtom et nous envolons avec Sissi, Frank le photographe Cathy et Laurent. Le fait d’avoir Sissi à mes côtés pour ce long trip est aussi un énorme bonus, je l’avoue, d’autant que le fait que la course se passe le jour de son anniversaire me motive énormément… Bref, tout roule.
Petit footing autour d’un parc sacré à Tokyo à notre descente de l’avion pour décrasser les jambes et nous voilà déjà le mercredi sur le site de Kawaguchiko, là où le départ sera donné. Nous croisons quelques têtes connues et recevons un accueil incroyablement chaleureux de la part des japonais notamment ceux de ASICS Japon qui sont au petits soins pour nous. Une petite séance un peu plus intensive l’avant veille pour retrouver des sensations et quelques repas et préparatifs plus tard c’est déjà l’heure de partir pour 168 kms de folie. On nous annonce un parcours roulant par endroit et très technique et pentu sur le reste du parcours.
Tous les ravitos ont été calés et je suis tranquille concernant l’assistance car je sais que Cathy et Laurent vont assurer… Il ne reste qu’à courir sans réfléchir. Et dès le départ le ton est donné. Nous partons assez rapidement sur la première portion plate et dès la première ascension nous nous retrouvons à 4 avec François D’Haene, Iker Karrera l’espagnol, Tomtom et moi. Christophe le Saux s’accroche également et passera en tête au premier ravito pour ralentir immédiatement derrière.
Au premier ravito, nous passons donc en file indienne et je perds un peu de temps en laissant remplir mes bidons à la louche par les bénévoles. Sissi m’encourage à bloc, ça me remet un bon coup d’adrénaline et je reprends une bonne allure. Quelques kilomètres plus loin, je recolle cependant au groupe de tête dans la seconde grande ascension. Je paie un peu mes efforts sur le haut et préfère laisser mes trois compères basculer en tête. Je me sens bien et ne souhaite pas griller mes cartouches inutilement, je pense pouvoir revenir dans la descente ou sur les portions plus roulantes. Mais les choses ne se passent pas comme prévues. Je me perds sur le début de la descente et laisse quelques minutes dans un défrichage inutile puisque j’étais sur le bon chemin… Je ne me démobilise pas et essaie de me concentrer sur le sentier. Je sens que j’ai une bonne allure donc je garde le cap. Au ravito suivant je ne suis toujours pas revenu sur la tête pourtant et c’est Ryan Sandes le sud-africain qui me revient cette fois ci dessus. Nous faisons un bout de chemin ensemble mais il est très efficace dans le dénivelé très pentu et je préfère là encore le garder à vue plutôt que d’accélérer et de me mettre dans le rouge. Et je fais bien car au ravito A3 je reviens sur lui et sur Thomas.
Je sens que mes jambes répondent de mieux en mieux et je suis de plus en plus confiant. Le ravitaillement se fait de manière express made in Cathy et j’entends Sissi se casser la voix pour m’encourager ! Ça porte… Nous sommes à la veille de son anniversaire je le répète et j’ai doublement à cœur de bien faire ! Nous repartons à 3 de ce ravitaillement et à notre grande surprise dans l’ascension suivante nous voyons François revenir sur nous. Il s’est lui aussi perdu et a concédé quelques minutes. Iker, qui l’accompagnait, est mal en point et blessé à un genou. Nous nous retrouvons donc à 4 sur les hauteurs de la course et je prends de bons relais dans le brouillard qui nous recouvre. Dans la descente qui suit nous nous détachons quelque peu avec François et arrivons au ravito A4 avec quelques secondes d’avance. Je me sens vraiment de mieux en mieux et décide de mettre un peu la pression à François pour voir. Je sors donc du ravito en tête et relance bien l’allure. Ce que j’aurais grignoté me permettra de temporiser quelque peu par la suite si il le faut. François n’est pas loin derrière car j’aperçois sa frontale. Il revient petit à petit et cela me permet de bien me ravitailler et de prendre le temps de souffler un peu ! Nous filons sur les dix kilomètres qui suivent à bonne allure et je me sens toujours bien. Pourtant dans l’ascension qui arrive au ravitaillement qui se fait dans du sable volcanique je concède du terrain notamment dans les forts pourcentages. François est très à son avantage quand il s’agit de marcher et moi pas du tout. J’arrive donc en seconde position et accuse une petite baisse d’énergie. Je ne suis pas au mieux lors du passage à ce ravitaillement et malgré des encouragements toujours aussi fournis je suis un peu dans le gaz je l’avoue. Rien de grave je le sais il faut juste que je me ravitaille et que laisse passer ce petit moment de flottement.
J’avale la purée confectionnée par Cathy et laisse revenir Ryan. Il me pose assez facilement mais à mesure que ma glycémie remonte je lui reprends à mon tour du terrain. Quelques hectomètres plus loin je le reprends et maintenant que je me sens mieux c’est à mon tour de creuser sur lui un écart. Je maintiens une très bonne allure sur cette portion un peu plus roulante et je ne l’aperçois plus derrière. Je me mets donc sur une allure stable pour ne pas trop puiser dans mes réserves non plus et continue comme cela. Je sens que j’ai retrouvé de l’énergie je suis donc rassuré et essaie de faire attention au ravitaillement. Les kilomètres défilent et après un ravitaillement en solitaire au point W1, je file vers le A 8 où je dois retrouver toute la tribu ASICS. J’entends Sissi au loin qui crie et Laurent qui m’interpelle avec son sifflet si particulier. Je suis orienté vers le ravitaillement et fais attention à bien me charger en liquide car François nous a prévenu que le passage suivant risquait de durer plus de trois heures au lieu des deux heures mentionnées sur le road book…Une surprise de dernière minute dont je me serais bien passée… Je repars avec le plein et après avoir fait le passage au point de contrôle de matériel où j’ai perdu un peu de temps… Sissi est à fond derrière et j’ai eu le temps de lui souhaitaer son anniv’ (il est 01h30 du matin à ce moment là). Bref, je repars assez serein et régénéré…
La portion qui suit est assez roulante sur plusieurs hectomètres. J’en profite pour me ravitailler correctement car je sais que la suite va être très costaud (+ 800 m en moins de 3 kilomètres, ça parle…). Et effectivement je me retrouve quelques instants plus tard au pied d’un mur qui plus est très très caillouteux. Ce n’est pas la portion sur laquelle je suis le plus à l’aise car seule la marche est possible sur ce terrain et je n’ai pas un vécu ni un rendement extraordinaire sur ce genre de surface. Et effectivement, j’aperçois Ryan qui me revient dessus assez rapidement. En essayant de forcer l’allure ma cheville se plie trahissant un manque de lucidité évident. Sur le coup je repars en constatant que même si j’ai bien tordu, cela ne me fait pas mal et ne m’empêche pas de continuer. Mais au fil des mètres une tension se fait croissante sur l’avant de la cheville partant des métatarses et remontant sur le flanc du tibia. La pression que je dois mettre sur les jambes n’arrange rien et je me retrouve assez vite avec le pied bloqué et devant me contenter d’un pas alterné en puissance. Monter dans ces conditions devient carrément très compliqué ! Je concède du terrain à grandes poignées et c’est Mike Foote l’américain qui me passe ensuite. Arrivé en haut et au moment de réarmer la course, je suis contraint de continuer à marcher… Je comprends alors que la course et un résultat commencent à être bien compromis.
Malgré mes efforts pour relancer l’allure je boîte de plus en plus et dois me contenter d’une marche inefficace de surcroît. En réduisant l’allure je me refroidis et dois enfiler mon thermique à manches longues. Je grille de plus en plus de calories pour rien et mon passage sur les hauteurs s’éternise. Ne faisant plus attention à mon ravitaillement, je suis à deux doigts de faire une grosse hypoglycémie au bout de trois heures et demie à errer en boitant sur les hauteurs. Antoine Guillon me passe à son tour puis Lionel Trivel. Je suis maintenant à une allure très réduite car la mobilité de ma cheville est quasi-inexistante. Je sais maintenant que la seule alternative qu’il me reste est de rejoindre le ravitaillement A9 quelques hectomètres plus loin sans me blesser plus dans ces portions très techniques. J’use donc de prudence pendant plusieurs dizaines de minutes avant d’entamer la descente bien pentue vers le A9 où je gère tant bien que mal un bon équilibre entre une allure suffisante pour avancer sans marcher et une allure pas trop rapide pour ne pas aggraver la blessure et ne pas trop ressentir de douleur.
Au final, un japonais me passe avant de rejoindre le A9 et Laurent, le team manager qui commençait à s’inquiéter me retrouve en bas de la descente. Je lui annonce que la fin de course va être plus compliquée que prévue et que ma progression est fortement compromise. Sur les quelques mètres plats qui mènent au ravito, je boîte vraiment beaucoup et la douleur irradie maintenant dans la hanche à force d’adopter une mauvaise posture. Arrivé au ravito, je suis sonné moralement devant me résoudre à l’abandon. Décision que nous prendrons collectivement avec le staff. Très dur d’abandonner dans ces conditions mais j’ai eu le temps de me faire un peu à l’idée en perdant tout ce temps sur les hauteurs et devant me raisonner petit à petit en me disant que je ne voyais pas comment terminer les 45 derniers kilomètres dans ces conditions.
Une course dont je garde pourtant énormément d’images positives et d’informations qui je l’espère me serviront pour la suite, notamment pour les ultras du Lavaredo et l’UTMB. Je le prends donc non pas comme une histoire qui se termine, mais je l’espère comme un autre chemin qui s’ouvre …
Emmanuel GAULT
Les résultats de l’Ultra du Mont Fuji 2014 : UTMF 2014
Top 5 masculin :
1 François D’Haene, France, team Salomon, 19 h 9 mn 13 s.
2 Ryan Nicholas Sandes, Afrique du Sud, team Salomon, 20 h 18 mn 59 s.
3 Mike Adam Foote, Etats-Unis, team The North Face, 20 h 54 mn 16 s.
4 Antoine Guillon, France, team WWA, 21 h 29 mn 12 s.
5 Lionel Trivel, France, team Hoka, 21 h 32 mn 50 s