Il y a un an, j’étais devenu marathonien à ANNECY. J’avais réalisé une très bonne course et atteint mon objectif le plus haut (13ème en 2h38’42) avec des conditions météo idéales (voir ANNECY 2013). Et en passant de supers moments tout le week end avec Olivier Gaillard et Marie Amélie Juin. En automne, j’avais ensuite passé un week end inoubliable lors du championnat de France de marathon à TOULOUSE (voir CR TOULOUSE 2013), auréolé d’un titre de champion de France par équipe, avec mes amis. Vraiment, un souvenir sportif à part, dont nous reparlons souvent entre nous, même si les conditions météo étaient incompatibles avec un bon chrono (40ème du championnat de France en 2h42’11).
Cette année, pour mon 3ème marathon, c’est en famille que je prends la route d’ANNECY le samedi. Veille du marathon. C’est un rendez-vous que j’ai préparé avec ma rigueur habituelle. Un entrainement complet, avec :
> Des sorties longues intégrant de l’allure marathon (32, 33, 32.5, 32.35 et 26.2 km (intégrant un trail de 17 km et 560 m de D+)). 2 semi-marathons préparatoires : un en « rodage » en février, sur un circuit cassant, que je gagne en 1h16’23 sous une pluie froide (24 km au total ce jour-là). Un autre, mon semi test, à FEURS fin mars, où je termine 10ème en 1h14’42 (voir CR FEURS 2014), 29 km au total ce jour-là.
> Des séances de côtes. Ex : Échauffement 8 km + 20 X 20’’ en côte + retour 4 km.
> Des séances de VMA (ex : 10 X 400 en 1’11/1’12, récup 1’).
> Des footings en endurance critique (ex : 16.6 km en 1h05’).
> Des séances à allure spécifique 10 km (ex : 8 X 1000 en 3’19, récup 1’30).
> Et, nouveauté pour moi, quelques séances de travail à une allure « bâtarde » intercalée entre seuil et AM. Ex : 4 X 2000 m en 7’05 à 7’08, récup 500 m trot.
Durant cette prépa, j’ai pu apprécier la compagnie de mes amis d’entrainement sur certaines séances exigeantes. Notamment Lionel VIGNON, présent sur mes 2 sorties longues les plus dures. Je me suis vraiment senti monter en puissance, progressivement. Mais sur les 2 dernières semaines de « gros œuvre », je commençais à saturer complètement. J’allais plus m’entrainer par « sens du devoir », que par plaisir. Il était temps que ça se termine. Je me disais parfois : « et si la météo sera comme à TOULOUSE, à quoi bon faire tant d’efforts… ». Dans la phase d’approche, j’ai soigné mon alimentation, l’hydratation, j’ai bien respecté mes besoins en sommeil… Bref, j’ai été méticuleux à tous niveaux. A quelques jours de la course, je reçois ma dotation i-Run avec un grand plaisir (au passage : MERCI encore). Je vais pouvoir faire mes 42.195 km avec des asics gel tarther toutes belles toutes neuves !
Au niveau objectif, je compte partir sur un bon 16 km/h.
Depuis quelques jours, la météo annoncée pour le D day est fraiche, pluvieuse et avec un vent quasi nul. Déjà, de ce côté-là, ça s’annonce bien. Je pense à mon record, j’ai peut-être une chance de l’améliorer un peu, compte tenu de cette météo de rêve. Et j’ai un chiffre en tête, depuis le début de la prépa : 2h37’55. Ce serait grandiose. La nuit qui précède le marathon est typique d’une veille de marathon : courte et avec des phases de sommeil intermittentes. Au réveil, les yeux piquent.
Le D Day : Réveil à 5h40’. Je mange, plus par nécessité que par appétit, 4 barres énergétiques, une banane, 2 carrés de chocolat noir, et bois, en dehors de la VITTEL, un café. Il a plu toute la nuit, et ça continue. Je prépare une petite bouteille de 25 cl avec une solution ISOSTAR, que je vais garder à la main une partie de la course (l’an dernier, j’avais un bidon de ceinture, mais avant de partir de chez moi, je l’ai oublié au garage… Il me semblait bien en faisant mon sac que j’oubliais quelque chose…). J’embarque 6 gels énergétiques. En guise d’échauffement : 10’ de marche en famille avec les parapluies, pour un ultime repérage + 10’ de footing relax, bien habillé, il fait environ 6/7° C. Pendant ce petit run, la pluie s’estompe, elle ne réapparaitra plus… Je soigne le laçage des asics gel tarther, fais une dernière gougoutte et me place dans le SAS élite. Discute 2 min, puis : BANG, c’est parti.
Avec mon compagnon de route du moment, nous nous relayons, je me sens plutôt bien
J’essaye de trouver le bon rythme, je ne pense à rien de spécial. La météo est OPTIMALE. Je ne vois pas le km 1. Il y a des coureurs autour de moi. Je fais à la sensation. Ça s’étire doucement. Au km 2, un trou se forme devant moi, j’aperçois Adeline et les enfants au bord du passage et un gars recolle de l’arrière du club Tain Tournon, un coup d’œil à la montre 6’58. OULA ! Bien trop vite… (7’25 était l’allure cible, pour le début de course). Entre 2 souffles, je demande au gars son objectif, m’attendant à entendre un truc du genre 2h32’, il me dit « 2h38 ; 3’45/km ». Je réponds : « on est trop vite, faut qu’on se calle sur l’allure cible ». Nous trouvons ensuite le rythme juste sans problème et enchainons : 3’43/3’45/3’43. Au km 5, nous passons donc en 18’10 (18’40 en 2013). C’est trop vite, mais au moins, nous avons corrigé l’allure et nous sommes dans le bon tempo. J’espère ne pas payer ces premiers kilomètres trop rapides en fin de course… Avec mon compagnon de route du moment, nous nous relayons, je me sens plutôt bien. Les kilomètres passent. Par contre, même si j’avais pris mes précautions peu avant le départ, je sens ma vessie un peu tendue… ça m’inquiète un petit peu. Sinon, le public est enthousiaste au bord de la route, et sur notre passage, les gens ne sont pas avares en encouragements. Sur chaque ravitaillement, je prends un verre et absorbe une petite gorgée en espérant ne pas alarmer davantage ma vessie. J’ai toujours ma petite bouteille que je garde en cas de coup dur sur le retour.
Au km 8, je prends mon premier gel, sans problème. Aucune aigreur ou sensation de brûlure d’estomac. Ça passe bien. Nous continuons. Au km 10 : 36’57 (18’10 + 18’47) nous avons toujours nos 30’’ d’avance sur le « tableau de marche » (37’25 en 2013). Ma vessie me préoccupe toujours, j’espère ne pas devoir faire un arrêt vidange. Mais c’est vrai que sur le coup, ça me tente vraiment, et m’apporterait un confort indéniable… Il est vrai que j’ai beaucoup bu, même cette nuit, et que le temps frais y est aussi peut être pour quelque chose… Derrière nous, un gars recolle d’on ne sait où ? Il porte un K-way noir. Inhabituel comme tenue pour un athlète qui part sur mes allures. On retrouve plus ce genre de vêtement sur des coureurs en plus de 3h15’. On échange quelques mots. Il nous précise qu’il a réalisé 33’30 sur 10 km il y a 2 semaines, et qu’il courre au ralenti… Pourtant, son rythme respiratoire me parait nettement plus haut perché que le mien. Il reste derrière nous un moment, nous continuons à tourner, avec le gars de Tournon. Mes sensations sont bonnes.
Au km 15 : 55’48 (Donc 18’51 du km 10 au km 15 ; en 2013 : 18’33 sur ce secteur et passage en 55’58). Je me sens pas mal encore, même si la fatigue s’installe petit à petit. Un autre gars vient de recoller, un vétéran, en jaune, un « 100 bornard ». Je prends mon gel n°2. Nous sommes 4, et échangeons quelques mots… Malheureusement, ces quelques mots deviennent vite une conversation complète pour les 3 autres et nous enchainons 3’47, 3’49 (= 16ème en 59’38), 3’50… Sur des faux plats descendants… Au km 18, je réagis, je me décale, me concentre sur le bon tempo pour corriger l’allure, je me concentre sur la fréquence gestuelle et l’amplitude, je n’ai pas envie de m’enliser en 3’50/km trop longtemps (après comparaison des temps de passages 2013/2014 c’est sur ce secteur que je perds le reste de mon avance, je passe en 1h07’13 contre 1h07’02 en 2013). Je prends quelques mètres d’avance sur les 3 autres, les bavardages continuent, mais je les entends de moins en moins… L’écart se creuse. Je m’attends désormais à être seul sur les 24 prochains kilomètres. Je ne sais pas si c’est la bonne décision de continuer en 3’45, alors qu’ils sont 3 derrière à évoluer 3/4 secondes au kilomètre moins vite… Mais bon, maintenant plus le choix.
Au niveau mécanique, mon talon gauche me titille un peu …
et mon coup de pied droit me fait un peu mal aussi (laçage trop tendu). On fera avec. Au km 20 je passe en 1h14’50 (4ème 5000 m en 19’02, 18’36 en 2013) et je passe en 1h18’59 au semi-marathon (1h18’41 en 2013). Quand je vois le temps de passage, je constate que toute l’avance a fondu et que le RP est peut-être foutu… Je jette un coup d’œil derrière dans une courbe, les 3 autres sont à 100 m. Je vais faire sans eux. Par contre, ma vessie tire moins. Mes reins ont su réagir et gérer le truc. Au km 22, je termine ma petite bouteille (économisée jusqu’alors pour ne pas affoler ma vessie). La dépose dans un panier : j’ai enfin les mains libres. Sur le retour, je croise les coureurs qui sont derrière et qui n’ont pas encore passé le km 20. Beaucoup applaudissent et m’encouragent. Je fais parfois de petits gestes de remerciements, mais j’essaye en même temps de ne pas trop me disperser. Je me sens relativement bien sur ces kilomètres, comme l’an dernier. Conscient du petit retard pris, je n’abdique pas pour le record, et je relance. Un peu trop fort même, puisque j’enchaine 3’38/3’42/3’42… (Du km 20 au km 25 : 18’40). Je prends mon gel n°3 et ensuite, je négocie correctement un passage plus exigeant, un bon faux plat au km 26/27. Je rattrape d’ailleurs un coureur qui n’essayera même pas de suivre, ça faisait un moment que je voyais qu’il coinçait. Je ne faiblis pas, mais je sens la fatigue s’installer sérieusement maintenant. C’est dur.
Du km 29 au km 30, nous traversons un petit village avec une petite descente, quelques virages et des relances. Je redoute ce passage, puisque l’an dernier, mes mollets avaient souffert ici et avaient pris 10 km de plus d’un coup sur ce passage, et j’avais vraiment commencé à couiner à partir de ce secteur-là. Les spectateurs me disent : « allez, y en a un pas loin… ». Ah bon ? Je ne le voyais même pas avant d’arriver sur le village… En effet, après un virage, je le vois marcher sur un petit faux plat. Il m’encourage quand je le passe, je le remercie d’un geste. J’attrape un verre au ravito et continue.
A la sortie du village, les jambes sont vraiment lourdes, mais les mollets ont mieux tenu qu’en 2013 sur ce secteur. Je continue en essayant, toujours seul, de tenir le rythme. Mentalement, ça commence à être coûteux… Physiquement, c’est dur, je sens que la foulée commence petit à petit à perdre en rebond, je subis plus les impacts au sol. Les quadri commencent à être entamés. « Ça commence maintenant le marathon », me dis-je. Gel n° 4.
Au km 32, je passe en 2h00’05 (1h59’35 en 2013).
Je me dis : pour le record, faut faire 38’30 pour les 10.2 derniers kilomètres, va pas falloir trainer… J’essaye de relancer, en ayant l’impression d’être toujours à 16 km/h. Juste avant le 33ème, sur le ravitaillement, sans du tout avoir planifié ça, mes jambes s’arrêtent, je saisis et bois un, deux, trois verres de boisson énergétique et je repars. Exactement au même endroit que l’an dernier, où j’avais vraiment marqué l’arrêt pour boire efficacement. Au 33ème : surprise : 3’46 malgré l’arrêt (je me rappelle du 4’02 de l’an dernier sur ce même kilomètre). COOL : 16’’ de grattées en 1 kilomètre. Ça me regonfle le moral, c’est très important pour moi à ce stade de la course, c’est un peu le déclic qui me fait vraiment y croire, au RP.
Je continue. J’enchaine ensuite 3’37 et 3’40. (Km 35 en 2h11’10, gel n°5). Bien sûr, c’est dur, c’est long, ça fait 17 km que je me bats seul, mais les jambes répondent et je sens que je vais peut-être pouvoir finir mieux que l’an dernier. Au km 36, je m’arrête encore pour boire, pas prévu non plus, mais j’en avais encore besoin, vraiment. Je repars au plus vite. Je pense à mon record, c’est parfaitement jouable maintenant. Mes cuisses font mal. Mon coup de pied droit encore plus. Mais le mental prend le dessus. Je repense à ma préparation, à cette météo extra, aux efforts faits depuis 37 km et je ne veux pas tout perdre sur la fin. Au km 38, je commence à avoir des fourmis dans les bras. Au même endroit que l’an dernier, encore. Pourtant j’ai pris mon dernier gel 500 m avant. Oh non, pas ça, pas maintenant… L’hypo… Non ! Pas question !
Je calcule vite : à l’entrainement en AM 4 km = 15’. Reste 4.2 km, donc, on va dire reste normalement à peine 16’ de course en gros. Un œil à la montre : 2h22’29 au km 38… Record (2h38’42) faisable si je n’explose pas et – de 2h38’, « tentable ». J’essaye de tenir. J’ai mal partout, mes quadri subissent de plus en plus les impacts au sol, j’ai même des courbatures dans la nuque… Je me dis « au km 39, tu ajoutes 12 min (pour les 3.2 derniers km) et tu ne seras pas loin du temps final ». Km 39 : 2h26’15, je suis donc sur les bases de 2h38’10/2h38’15. Aie aie aie… Les – de 2h38’ ça va être compliqué, mais je sais que je tiens mon record. Je crame tout ce qui me reste (pas grand-chose) le plus linéairement possible. Km 40 : 2h29’58. J’ai 8 petites minutes pour finir et faire péter la barre des 2h38’. J’ai le mental usé de souffrir comme ça, et physiquement, je suis au bout. A un point que j’ai même des « idées flash » qui me ferait abandonner au km 40 ! Mes fourmis dans les bras sont très intenses, ya plus rien dans le réservoir. J’arrive sur le secteur d’arrivée. Du bruit partout. Je m’arrache, je m’arrache. Km 40 à 41 : 3’41. Je suis au bout.
J’attends la ligne d’arrivée comme jamais je n’en ai attendu une. Parfois je me dis, sur les courses : « allez dernier kilo », mais là c’est plutôt « putain, encore 1200 m » ! Je ressens un point, de type crampe, sur le quadri gauche, si fort, qu’il prend la place de toutes les autres douleurs. Mais je ne ralentis pas. J’ai l’impression de bien finir, d’être pas loin de 17 km/h, je rattrape un gars dans les 200 derniers mètres, le tapi rouge, enfin, la délivrance est proche, je puise encore, encore plus loin… Je sens que les 2h38’ vont tomber, en passant la ligne j’écarte les bras, voulant les lever à hauteur d’épaules, mais ils sont plutôt à hauteur de hanche… et je vois furtivement 2h37’53 en passant la ligne. Sur mes appuis de décélération je me sens désarticulé, mes muscles brulent, mes pieds aussi et mes yeux. On me passe la médaille, un reporter du Dauphiné s’approche et hésite à me poser quelques questions, voyant mon état. Finalement on discute quelques minutes. « Bien passé ? » « Très ! » « Quel temps ? » « 2h37’53 , mon record ». « Vous étiez préparé ? » « Oui. Je ne pouvais rien faire de plus ». « Vous avez eu le fameux mur ? » « Non, mais il était temps que ça se termine »… Etc…
Adeline me tend quelques mètres plus loin une bouteille d’énergie drink, bue en 3 secondes. Je vois de l’admiration dans ses yeux et aussi du soulagement. Elle savait à quel point j’avais donné au cours de ma prépa, elle m’a vu m’user sur les sorties les plus dures. Elle m’a vu fatigué à en perdre l’envie de courir, et là, elle me voit démonté, les yeux mi-clos avec la sueur qui me brule, mais heureux, profondément heureux. Après la course, elle m’a dit qu’elle s’inquiétait un peu en voyant le chrono tourner sur la ligne d’arrivée, 2h36’, toujours pas de Séb, 2h37’, toujours pas de Séb… 2h37’53 au final, je suis comblé. Certains sortent ça en sortie test sur une prépa 100 km. Mais pour moi, c’est une grande performance. J’aurais tellement moins souffert sur la fin en me contentant d’améliorer d’une poignée de seconde mon RP, mais ce « 2h37’quelque chose » me motivait, je suis allé le chercher très loin, c’est fait. YES !
Je vais pouvoir savourer ce super résultat et me reposer avec un sentiment de plénitude. Je suis si content que l’entrainement ait payé. Mais ça tient à si peu, 1 km de plus et j’aurai complétement explosé en 5’/km. J’ai une pensée pour Lionel Vignon, qui avait hésité à venir et qui avait les moyens de faire au moins aussi bien que moi sur cette épreuve. Il va, je pense, nourrir de légitimes regrets, quant à son absence sur ce marathon. Pour finir, après analyse des temps de passages de l’an dernier, c’est entre les km 15 et 18 que je perds toute l’avance des 2 premiers kilomètres, et c’est à partir du km 35 que je suis revenu sur les bases de mon record. Il apparait clairement que j’ai mieux terminé les 7 derniers kilomètres.
Par tranches de 5000 m :
– 2013 : 18’40 + 18’45 +18’33 + 18’36 + 18’20 + 19’05 + 19’12 + 19’23 + 8’05 (2.2 km).
– 2014 : 18’10 + 18’47 + 18’51 + 19’02 + 18’40 + 19’02 + 18’38 + 18’48 + 7’54.
Sébastien LARUE