Je préfère commencer sincèrement. Même en gagnant l’Ecotrail de Paris (ce dont je suis très content et très fier), la fête n’est pas entière puisque Sissi avec qui j’ai pris le départ a dû déclarer forfait au 38 ème kilomètres sur chute. Résultat : un pouce luxé et six points de suture au menton qui me laissent un goût d’inachevé.
Nous avons tous les deux préparé cette épreuve depuis de longues semaines. Nous avons tous les deux investis beaucoup et nous avions tous les deux pris rendez vous en guise de clin d’oeil en cochant cette date sur le calendrier et en nous disant que ce serait génial de faire un « truc » ensemble, le même jour… Ainsi même si j’arrive à vraiment apprécier cette victoire, il m’est difficile de la savourer pleinement. On n’a pas tous les jours l’occasion de se fixer un objectif en commun et là pour le coup, ça donne l’impression d’un objectif semi-réussi. Pour autant, je me soustrais avec plaisir à l’exercice du compte-rendu où je vais essayer d’être le plus objectif sur le déroulement de ma course avant d’apprendre après la ligne d’arrivée passée l’abandon de Sissi.
Nous arrivons la veille sur Paris après une bonne journée de travail à l’école mais détendus et pressés à l’idée de prendre le départ de la même course comme cela nous arrive assez rarement. Nous retrouvons le staff d’Asics vers 22h30 à Saint Quentin en Yvelines, le temps de papoter un peu, d’évoquer l’UTMF, le « très gros » objectif du début d’année pour moi et de deviser un peu sur la forme du moment. Je fais une nuit très tranquille et sereine et me réveille le matin avec la sensation que la fatigue de la semaine est bien effacée. Ce qui est important pour moi car j’ai ressenti un léger moins bien depuis dix jours dû à une grosse période d’entrainement en début de mois (prépa UTMF oblige). J’ai du mal à me lever depuis quelques jours et pas ce samedi matin, donc ça me rassure !
Après un petit dej collectif pris avec Sissi, Laurent Cathy et Taz qui nous a rejoint, il est temps de préparer les affaires de course et les ravitos. Je suis très concentré et méticuleux dans le dosage de mes boissons et la préparation de mes affaires du jour car je sais que la course peut se jouer à peu de choses près : une boisson mal dosée, un manque d’hydratation, un mauvais choix technique… Je réfléchis à tout et tente de faire les bons choix. Je décide notamment de prendre beaucoup d’eau sur moi dès le début de course quitte à être plus lourd que les autres… Une fois ces choix faits, je me sens plus serein et je me plonge un peu mieux sur la suite. Nous allons direction la base nautique de Saint Quentin où nous nous garons à côté des coureurs du team Adidas qui sont nos principaux adversaires du jour. Quatre de leurs représentants ont une carte à jouer : Fabien Chartoire qui possède une vitesse de base immense et qui risque de faire très mal sur ce parcours, Benoît Holzerny, mon compagnon de club qui possède les mêmes qualités et qui s’est soustrait à une préparation très intelligemment menée, Sylvain Court, le tenant du titre et Romuald de Paepe, qui court après une perf de référence sur cet Eco-trail depuis quelques années. Bref, du beau monde et en nombre! Il va falloir être costaud pour résister à ceux là et aux autres que je ne cite pas…
Tout se passe très vite et on se retrouve sur la ligne en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. Le dernier bisou à Sissi et surtout des échanges de « bonne chance et fais toi plaisir » et le coup de pistolet est déjà donné.
Nous partons sur des bases de 15/16 km/h sur les 15 premiers kilomètres ce qui constitue une allure raisnnable que je me contente de suivre ou de maintenir. Je reste en effet aux avants postes du groupe pour garder une bonne visibilité malgré la largeur des sentiers. Et puis je préfère suivre mon allure en ce début de course. Deux fuyards ont pris la poudre d’escampette dont Michael Boch, le vice champion d’Europe du 100 kilomètres. Mais je ne m’affole pas car je sais que si notre allure reste ainsi, l’avance ne sera pas très importante au premier ravitaillement.
Aux alentours du 15ème kilomètre, nous sommes une quinzaine de coureurs et Fabien Chartoire décide d’accélérer le tempo. Nous gagnons tout à coup 2 km/h ce qui a pour conséquence d’amaigrir notre groupe à 6 unités. Ne restent plus que les 4 adidas, Vincent Viet (team terre de running) et moi. Le train file ainsi jusqu’au premier ravito où l’on sent que la tension est palpable. La course commence à se décanter… Premier ravito express où je prends le temps de boire et de bien me ravitailler. Je perds 15 secondes sur le groupe mais ce n’est pas grave. Je me sens bien et sais que je reviendrai même si je dois fournir un bel effort.
Dès la première difficulté en effet, je recolle au groupe et commence à sentir que le début de course et accélération de Fabien a laissé des traces. Je sens notamment les pas de chacun moins fluides dans le dénivelé. Mes impressions se vérifient assez rapidement. Fabien décide d’accélérer de nouveau et personne ne réagit si ce n’est Vincent Viet qui saute dans la roue et l’accompagne. Je reste sage pour ma part et me contente de suivre le train assuré par les adidas qui sont majoritaires. Je veux juste que l’écart ne grandisse pas trop mais pour l’instant je ne cède pas à l’affolement. Nous avons toujours Fabien et Vincent à vue, il n’y a donc pas de quoi s’énerver…
Les kilomètres passent et l’écart ne grandit pas, Romuald assurant un bon tempo, mais je décide aux alentours du 30ème kilomètre d’accélérer une première fois pour rattraper les deux fuyards qui nous précèdent (je rappelle que deux hommes sont en tête encore devant). L’écart fond rapidement et je recolle à la faveur d’une montée assez longue. Je suis poursuivi par les 3 adidas mais peu importe. L’écart est bouché et cette accélération aura permis de tester le groupe. Benoît a laissé un peu de terrain mais Romulad qui assure un bon tempo dès qu’il peu et Sylvain semblent encore bien. Le groupe se reconstitue presque et nous reprenons l’un des fuyards du début de course.
Nous sommes aux alentours du 40ème kilomètre. Fabien décide alors d’accélérer de nouveau et je suis cette fois-ci décidé à ne pas lui laisser de champ. Je prends sa foulée et nous nous envolons donc tous les deux vers le second ravitaillement en doublant dans ces périodes là Michael Boch dont l’allure a fléchi. Nous filons tous les deux un très bon train et arrivons ensemble au ravito de Meudon. Nous remplissons tous les deux nos bidons et repartons quasiment ensemble. Dans la zone de Meudon et dès que la pente se durcit je hausse l’allure et Fabien semble lâcher prise. Je décide alors d’accélérer franchement pour le tester. Le trou se creuse assez rapidement donc j’insiste un peu et ne relâche pas la pression. Je garde une allure élevée mais sans trop puiser non plus car nous sommes encore loin de l’arrivée. Bien m’en a pris car après avoir creusé déjà un bon écart je me perds et reviens sur mes pas où je retrouve de nouveau Fabien, ce qui a le don de bien m’agacer !
Un effort pour rien dans ce contexte et sur cette course, c’est vraiment pas une bonne chose ! J’essaie pourtant de garder mon calme et temporise quelques hectomètres avant de placer de nouveau une accélération. L’écart se creuse de nouveau et cette fois-ci je suis bien décidé à rester concentré sur le balisage et ma foulée pour creuser le plus possible sans prendre de risques. et arrive au 3ème ravito où Cathy et Laurent m’attendent. Je prends deux bidons neufs (un rempli d’eau l’autre de boison Isostar) et bois un peu de coca, fais le plein de barres et repars. Je me sens très bien donc je relance encore et encore tout en en gardant un peu sous la pédale car je sais que la fin sur les quais de Seine peut s’avérer très difficile. Mon GPS m’indique que je maintiens très souvent l’allure encore au dessus de 15 km/h. Je me dis que c’est bien et qu’il faut continuer comme ça.
Pas d’écarts annoncés encore mais je sens que je suis bien et que j’ai encore des ressources. Le dernier ravito de Saint Cloud arrive plus vite que prévu et je prends vraiment du plaisir à maintenir une bonne allure. Je sais qu’il me reste maintenant une dizaine de kilomètres et que je peux me livrer à fond. Un changement express de bidons et les bisous que l’on me transmet de Sissi me font du bien (merci Aurel’!!). Je me sens encore assez bien et sens que je peux encore me donner. Ça me rassure sur la fin de course. Je me dis que je vais comme ça jusqu’au 70ème kilomètre et que je donnerai tout à partir de ce moment là. Sur les quais je reçois des encouragements qui me font du bien. La foule se densifie et certains me reconnaissent parmi les coureurs du 50 kilomètres. Je ne me laisse pourtant pas distraire et reste concentré.
Au 70ème on m’annonce près de 7 minutes d’avance et je décide alors de ne pas me livrer complètement pour garder des forces en vue de l’arrivée mais aussi de l’UTMF qui se profile dans un mois. Il faut penser à ne pas laisser trop de forces pour ne pas payer l’addition plus tard. Je profite donc à fonc des derniers kilomètres en relançant bien l’allure et en me faisant plaisir ! Je reconnais et connais ces quais de Seine par coeur au bout de 5 éditions ! Cette fois-ci, nous tournons à gauche direction le Trocadéro et après un petit tourniquet sur la rive l’arrivée est en vue.
Je profite des dernières marches en les montant une à une et savoure cette ligne d’arrivée qui est pour moi le symbole de mon retour à haut niveau après une année 2013 criblée de malchance et de blessures. L’an dernier j’étais venu encourager Sissi sur le 50 kilomètres en béquilles. Cette année je m’impose sur le 80 kilomètres avec le record à la clé ! Je suis aux anges ! Pourtant ma première pensée va à mes enfants et à Sissi toujours en course (ce que je crois). Ce retour je le leur dois en premier. Car leur soutien dans ces nombreux mois de galères a été mon énergie pour revenir. Je suis très ému en apercevant Ben et Clem qui voient enfin leur papa franchir la ligne en vainqueur après presque une année de disette. Je ne peux que remercier le staff et mes proches tous là, partager ça avec l’équipe d’organisation de cet Eco-trail qui elle aussi, m’a soutenu. Bref, je partage avec plaisir cette victoire qui est pour moi collective.
On comprend mieux pourquoi dans les secondes qui suivent je tombe de haut en apprenant l’abandon et la blessure de Sissi. Je croyais en elle et je croyais vraiment qu’on pouvait tous les deux faire un truc sympa ce jour là. On s’était préparés dur pour ça et on en rêvait depuis trois mois. Elle était partie pour faire elle aussi une perf de très haut rang j’en suis sûr. Même si j’arrive à profiter de cette victoire, je suis très triste et déçu pour elle et ce rêve qu’on avait essayé de bâtir ensemble. Le sport est parfois injuste, j’en ai fait la triste expérience l’an dernier. Et après un podium qui me permettra de retrouver une seconde feuille de chêne en guise de trophée, je retrouverai Sissi plâtrée mais souriante m’avouant alors qu’elle avait demandé au staff de ne rien me dire durant la course sur sa blessure pour ne pas me déstabiliser…
Quand on parle de victoire collective…
Après ce week end riche en émotion, j’essaie de récupérer le plus vite possible car ce sont maintenant les dernières semaines qui détermineront mon état de forme au Japon à l’Ultra trail du mont Fuji ! Et là, c’est le double de kilomètres et quatre fois ce dénivelé qu’il faudra avaler ! Autrement dit encore une autre paire de manche…
Emmanuel GAULT