29 Mars 2014, cette date était cochée dans nos agendas depuis un moment : 7ème édition de l’Eco-Trail de Paris.
Manu n’aura finalement raté que 2 éditions : la première et 2013 (il était blessé), année où je me suis laissée tenter pour prendre un départ moi aussi. C’était celui du 50km, une épreuve qui m’avait sourie. Mais cette année, l’envie de passer sur des distances plus longues m’amène à opter pour le 80km ! J’avais déjà un peu goûté au plaisir de ce format lors de la Saintélyon 2013. Donc ce n’était pas la totale inconnue, même si c’était encore 5km de plus … Mais sans le verglas, le froid et la nuit, donc logiquement quelques difficultés en moins. Enfin bref, la motivation était là pour faire de cet Eco-Trail de Paris, le premier vrai gros objectif de la saison !
Les premiers dossards pris cet hiver sont plutôt encourageants : une victoire sur le Forest Trail boueux et éprouvant, une 2ème place au Gruissan Phoebus Trail, et une autre seconde place au Trail des Étoiles. Des courses qui auront également pu bien s’intégrer dans la prépa de ce premier trimestre dans l’optique de Paris. Les dernières semaines de préparation sont fatigantes et demandent de l’investissement (mental et physique !), mais passent bien, d’autant plus qu’on a la chance de vivre le truc à 2. Ça motive ! Mis à part une vilaine piqure de tique survenue 12 jours avant (paraît qu’il ne faut pas prendre ce genre de chose à la légère, attention), tous les voyants semblent être au vert pour pouvoir prendre du plaisir ce 29 mars qui approche …
Arrivés sur Paris vendredi soir un peu tard, nous rejoignons Laurent et Cathy Ardito du team ASICS à l’hôtel proche de Saint Quentin. Pour une fois, la dernière nuit avant une grosse course est plutôt réparatrice, quelle chance ! Le départ du 80km est à 12h, pas besoin de mettre le réveil avant le levé du soleil, ça, c’est le côté positif. Nous prenons le chemin du lieu de départ vers 11h avec Thomas Saint Girons qui nous a retrouvé à la sortie de son train de nuit (il a sûrement moins bien dormi que nous …). 1900 coureurs attendus sur cette course, ça va faire du monde devant la ligne tout ça. En effet, la base de loisir de Saint Quentin grouille de traileurs, nous voilà bien dans l’ambiance !
Je retrouve mon papa qui est venu spécialement pour me supporter avec Anna, ma petite sœur de 6 ans et Boris, mon petit frère de 11 ans. Je suis vraiment très touchée de leur présence et je sais que de les voir aux différents ravitaillements va me donner des ailes ! Nous échangeons quelques mots avec le team ADIDAS et les copains du club, FreeRun72, Benoît, Séverine, Aurel, Charlélie … Furtif mais sympa de les croiser quand même ! 11h45, il est temps de se mettre en place. Il fait déjà doux, la course va s’annoncer chaude et il va falloir penser à s’hydrater pour éviter les dégâts. Le speaker donne les dernières recommandations, quelques mots pour motiver les troupes, et le compte à rebours est lancé avant de nous lâcher dans la nature parisienne … Nous voilà partis pour une longue et belle journée à galoper !
La zone de départ est large mais il faut quand même regarder où on met les pieds, le sol n’est pas très stable, un vrai champ de patates !! Les premières foulées sont souvent significatives de l’état de forme et pour ma part, ça se présente plutôt bien au démarrage. Ça va un peu vite, mais pas d’inquiétude, c’est souvent le cas le premier kilomètre, on trouvera notre rythme plus tard. Ça taquine dans le peloton, ça papote, les gars du team Isostar court en groupe, on les chambre un peu, ils sont partis pour une belle place d’équipe ! Je ne vois pas de féminines devant mais ce n’est pas ma priorité, sur une distance de 80km, on a bien le temps de doubler ou se faire doubler … Une défaillance peut vite arriver ! Les 6 premiers kilomètres sont tout plats, le sol est souple, agréable, quelques virages, mais aucune difficulté. 4’20/4’25 de moyenne, je commence à me dire qu’il faudrait peut être que je me force à ralentir (et puis je me dis que les premières bosses nous obligeront de toute façon à le faire).
Une féminine me double (je ne la connais pas, elle semble être SALOMON), elle a bonne allure, je n’essaye même pas de la suivre alors même que j’étais en train de me dire qu’il serait peut être temps de ralentir … Je la garde tout de même en ligne de mire pendant un moment, mais rapidement l’entrée dans les premiers sentiers étroits me fait la perdre de vue. Ça devient plus intéressant à partir du 10/11ème kilomètre, avec l’arrivée des premiers sentiers vallonnés. Aaaah, on va faire du trail !! Bon, pas de quoi faire brûler les cuissots encore, mais de quoi faire monter un peu le cardio et ralentir la cadence. On papote avec un coureur très sympa, on se demande quel chrono espérer … Pour ma part, je n’en ai aucune idée sincèrement ! On verra déjà la forme du moment à mi-course.
Le parcours est agréable et dans les sous bois, il fait un peu plus frais, mais je me force à beaucoup boire et d’ailleurs je ne me force plus au bout du 15ème kilomètre, parce que j’ai de plus en plus soif ! 1h05 de course, J’avale une barre même si je n’ai pas faim, il faut mieux anticiper ces choses là. Mon bidon se vide vite, j’ai bien fait de charger la mule au départ finalement … Le rythme est toujours relativement élevé par rapport à ce que j’avais prévu mais les jambes sont là et je ne suis pas en sur-régime. Donc on continue ! vers le 20ème, une autre féminine me double, mais cette fois, je n’ai pas envie de la laisser filer. J’essaye de rester juste derrière, l’allure est bonne, mais si elle accélère je la laisserais filer, c’est beaucoup trop tôt pour se mettre dans le rouge là !
Le ravitaillement approche, on traverse quelques routes bitumées, ça commence à sentir la civilisation ! Je n’ai plus d’eau, ça tombe bien. La seconde féminine (qui s’appelle Annabelle) est toujours juste devant et on avance toujours en moyenne en 4’45/5′ au kilo. Pas de fatigue ressentie encore, pourvu que ça dure. J’aperçois (et j’entends) Gloria qui encourage les coureurs juste avant l’entrée dans la zone de ravitaillement : »allez Sissi ! » (merci Gloria !). Ça fait du bien tout ce monde. Hop hop Cathy et Laurent assurent parfaitement leur rôle d’assistance, comme d’hab (merci à eux !); Je récupère deux bidons pleins, un gel Actifood d’Isostar (sans vouloir faire de la pub, c’est super bon ces trucs là !), une barre, et c’est reparti ! Le temps quand même de dire que tout va bien et de prendre des nouvelles de Manu qui semble gérer avec le groupe de tête, super, j’espère qu’il tiendra bon.
En reprenant la route après le ravitaillement, je cherche des yeux ma famille, un peu déçue de ne pas avoir vu mon papa, ma petite sœur et mon petit frère … A peine ça en tête, j’attends la voix de mon papa : « Sissi !! C’est super allez, t’es 2ème, Manu va bien aussi, la première n’est pas très loin devant, allez ! » Je le sens ému et fier, ça me donne du baume au cœur. J’ai envie d’assurer pour lui faire plaisir aussi. Un peu plus loin, je tape dans la main d’Anna et Boris est là aussi. J’ai pris ma dose d’énergie jusqu’au prochain ravitaillement, c’est bon ! Les kilomètres qui suivent cet arrêt au stand roulent tout seul. J’ai repris la 2ème place en repartant un peu avant Annabelle, les sensations sont super bonnes. Le parcours me plait beaucoup plus, d’une bosse à l’autre, d’une racine à l’autre, c’est le genre de parcours qui peut casser un peu surtout quand on s’approche de la mi-course, mais qui me va bien à ce moment là ! Je savoure et profite, le 30ème kilomètre arrive très vite du coup …
Les écarts commencent à se creuser entre les coureurs et chacun commence à perdre le compagnon de course avec lequel il a fait un premier bout de chemin. J’ai chaud, j’ai bien envie de m’arroser avec l’eau de ma gourde mais j’ai en tête la mésaventure de l’an dernier à la Drôme, qui m’a valu une fin de course à sec en hypo … Donc je m’abstiens et garde précieusement l’eau de mes bidons pour m’hydrater, c’est plus sage ! Vers le 32ème, j’ai l’impression de reconnaître Anna et Boris assis sur un banc au loin … Et oui, c’est bien eux ! Cool, trop bonne surprise ! Il m’encourage, Boris court vers moi : »allez Sissi ! » Papa attend juste après, aux pieds d’une bosse. Il me rassure en m’annonçant que Manu est toujours au contact de la tête de course et m’encourage en me disant que j’avais repris 2 minutes sur la première féminine et qu’elle semble fatiguée. Super, ça me donne encore une motivation supplémentaire, je me sens en forme, l’allure que je tiens me convient bien pour le moment, j’ai un petit espoir de pouvoir m’en rapprocher …
Ça grimpe, je ralentis mais continue à courir. Un coureur arrive à mon niveau et m’encourage : »La famille qui supporte, ça doit faire du bien ! » Oh que oui je lui réponds ! Ah mais c’est Eric, le mari d’Isa ! On fait un petit bout de chemin ensemble, je le préviens : « j’ai trouvé mon allure, je pense que je ne vais pas accélérer par contre, la route est encore longue ! » Ça tombe bien, il me dit que lui non plus ! Plus loin, il tourne à gauche alors que le balisage nous indique la droite, mais je comprends rapidement qu’il a besoin d’une pause pour un p’ti besoin naturel ! Perso, je suis tranquille de ce côté là et ce n’est pas pour me déplaire … Je me retrouve seule du coup, le sentier est étroit dans le bois, tourne et avec quelques racines au sol, c’est top, je me régale ici, j’accélère un peu, un moment solitaire mais agréable !
Je m’hydrate, 37ème km, 3h10 de course, logiquement le second ravitaillement se tient dans moins de 10km. La sortie du bois n’est pas loin, je l’aperçois, mais à ce moment là, mes pensées sont ailleurs, je suis concentrée sur mes sensations (très bonnes !), limite euphorique, j’accélère légèrement, je manque de concentration mais je n’en ai pas conscience … Le sol n’est pas stable, je manque probablement de prudence, ma foulée est trop rasante, je ne lève pas assez les pieds et là, tout va très vite, je me sens partir violemment sur le sol, sans parvenir à me rattraper correctement. J’ai à peine le temps de me rendre compte que je me suis pris le pied dans une racine, que mon menton se cogne très brutalement sur le sol et je m’effondre de tout mon corps à terre …! Personne devant, personne derrière, je suis seule, je me relève, je suis sonnée, j’ai très mal à la tête, au menton, j’ai la mâchoire douloureuse et surtout j’ai la grosse crainte d’avoir casser toutes mes dents !! Je les touche, ouf, elles sont là, elles ne tombent pas, ça va. J’examine rapidement mon corps douloureux, le haut de ma cuisse à pris un gros coup, j’espère que ça va aller, mon tibia aussi, je me précipite en voulant vite reprendre mon chemin, mais un j’ai encore une forte douleur quelque part qui me lance et me bloque … Haaaann horreur quand je vois ma main gauche et mon pouce ballant, on dirait qu’il s’est cassé en deux ! Il est complètement retourné, à l’envers … J’essaye de le bouger, ça ne bouge pas … J’essaye de le remettre droit, mais c’est bloqué et trop douloureux. Ça gonfle à vue d’œil, ça craint du boudin ! Question : je fais quoi ?? Puis je continuer comme ça ? J’essaye de courir, ça fait trop mal. Je passe et repasse toutes les hypothèses possibles dans ma tête … Celle de l’abandon n’en fait bien sûr pas partie …
Je marche jusqu’à trouver de l’aide, j’arrête deux hommes en vélo. Rien qu’à voir leurs têtes quand ils voient ma main, je comprends que c’est peut être trop grave pour envisager continuer la course. Je leur demande quand même : »j’ai envie de poursuivre, vous en pensez quoi ? » Réponse assez claire : « euh, là, tu fais comme tu veux mais tu as aussi le menton bien ouvert ! Et pour ta main, il va sûrement falloir aller à l’hôpital là … » Ok, un dernier nœud dans mon cerveau et je débranche, la course s’arrête ici pour moi … Moralement c’est dur, voir les coureurs passer, sentir qu’au bout de 40km, les jambes avançaient encore bien (d’ailleurs je ne ressens aucune douleurs musculaires), et chuter de cette manière sur un trail aussi peu dangereux, ça fait trop rager … Sissi, mais qu’est ce que tu nous as fait ? Dites moi que c’est un cauchemar et que je vais me réveiller !! Non non, tu la sens bien la douleur à la main, c’est fini pour toi, ton Eco-Trail s’arrête là.
La suite a été longue et douloureuse … L’un des deux messieurs en vélo et un autre qui faisait le suivi d’un coureur derrière moi m’ont soutenu jusqu’à ce que mon papa, que nous avions appelé entre temps, vienne me chercher. Un grand grand merci à ces deux adorables personnes, qui m’ont été d’une grande aide ! Nous avons prévenu Laurent et Cathy, le PC médical de la course, et l’organisation, j’ai demandé à ce qu’on ne dise surtout rien à Manu, ça aurait perturbé sa progression et il était en train de filer vers une belle victoire ! Mon père arrive 45 minutes après (c’est long, j’avais mal !!), m’emmène à Chaville au poste de secours pour les premiers soins, puis nous allons à l’hôpital le plus proche, Boulogne (radio obligatoire, il y a de probables risques de fracture). Direction le service des Urgences, duquel nous ne ressortirons qu’à 21h15, heure à laquelle Manu est monté sur la plus haute marche du podium …
Le bilan n’est pas très glorieux : 7 points de suture au menton, un plâtre au poignet gauche (la radio montrait une belle grosse luxation, mais pas de fracture, ouf !), mais surtout une énorme frustration de ne pas avoir pu aller au bout de cette course que nous attendions tant et que nous avions si bien préparée avec Manu … Et la culpabilité d’avoir fait venir ma famille pour leur faire passer une longue journée à attendre aux urgences de Boulogne … Désolée Papa, Boris, Anna, mais surtout, merci d’avoir été là, auprès de moi, dans ces moments là. Merci aussi à tous ceux et celles qui ont pris des nouvelles et m’ont envoyé des pensées positives de soutien, cela m’a énormément touché. J’étais pressée de retrouver mon homme pour le féliciter et retrouver un peu réconfort dans ces bras.
Maintenant, il faut réparer tout ça, pour repartir au plus vite. Tomber, pour mieux se relever ? Je ne sais pas, mais j’ai déjà la rage et l’envie de rattacher un dossard !
Sylvaine CUSSOT
Crédit photo : Goran Mojicevic et Team Asics Trail