L’estime de soi peut être définie comme l’évaluation globale de la valeur de soi en tant que personne, l’évaluation qu’un individu fait de sa propre valeur, c’est à dire de son degré de satisfaction de lui ou encore comme une perception consciente de ses propres qualités.
Le concept d’estime de soi n’est en aucun cas dissociable du concept de sentiment de compétence qui désigne l’évaluation que fait un sujet de ses compétences dans différents domaines. Une étude menée sur des triathlètes experts (niveaux régional et national) a permis de jeter un premier regard sur l’estime de soi des sportifs ainsi que sur la construction de la confiance. Cette étude s’est appuyée sur un questionnaire comprenant 26 questions. Voici les conclusions !
Lorsque les athlètes sont amenés à se décrire, tant physiquement que psychologiquement, on note chez eux une certaine difficulté ; il semble qu’ils ne soient pas habitués à se décrire en tant que personne. Les caractéristiques énoncées se rapportent, pour le domaine physique, essentiellement au corps et plus précisément à la musculature. Ce sont des caractéristiques qui leur sont familières dans leur pratique, le sportif étant très attentif à sa musculature. Toutefois, on peut noter qu’ils font appel au critère de beauté, et majoritairement de façon positive.
Les athlètes ont plus de facilité à définir leurs caractéristiques psychologiques, le contexte sportif y faisant appel de manière importante. Le sportif d’endurance se considère essentiellement comme une personne calme, équilibrée et « normale » nous aurions tendance à dire, et s’estime, dans une forte majorité, fort mentalement.
Les athlètes ont une grande tendance à s’aimer, à s’apprécier. Ceci étant, ils sont tout à fait conscients de ne pas être parfaits et soulignent avec facilité quelques petits défauts qu’ils voudraient bien changer. Ce sont dans l’ensemble des individus optimistes, qui positivent et relativisent beaucoup ; les éventuels échecs vécus au cours de leur existence étant toujours surmontés. Cette étude rejoint donc les conclusions de précédentes recherches selon lesquelles l’estime de soi est élevée chez les sportifs, et nous pouvons même rajouter que les sentiments qu’ils éprouvent dans la vie comme dans le sport sont pour la quasi-totalité positifs.
La majorité des sports d’endurance sont des sports individuels, où l’effort est solitaire ; c’est à dire que l’athlète est confronté à lui-même et ne peut compter sur l’aide de l’autre. Mais contrairement aux apparences, le sportif d’endurance manifeste à posteriori un fort besoin d’autrui. Celui-ci revêt une grande place dans sa vie et lui apporte de forts soutiens psychologique, affectif et social. En dehors de la compétition, c’est un individu très sociable qui a beaucoup d’amis, qui recherche le contact avec l’autre. Ce dernier est très présent dans la vie affective du sportif ; c’est une aide importante et une base solide sur laquelle il va pouvoir se reposer, sur laquelle il va pouvoir compter. La famille et les amis sont les personnes les plus importantes pour le sportif, mais les autres sportifs, les parents et les compagnes sont aussi très présents dans sa vie. Le sportif évoque toutefois une certaine incompréhension de l’autre vis à vis du sportif qu’il est ; il est pris un peu pour un fou pour ceux qui pratiquent les longues distances et ne s’estime pas assez épaulé, soutenu dans sa vie sportive, qui représente une grande part de sa vie. Ceci étant, il semblerait que cette incompréhension manifestée par les autres, cette désapprobation en quelque sorte, n’influence de quelque manière que ce soit l’athlète, ne générant chez lui qu’un petit regret et ne représentant en aucun cas un facteur susceptible de modifier son estime personnelle comme l’entend Harter (1998). Car le sport d’endurance réside souvent comme le cadre de vie de l’athlète. On pourrait dire que « la course à pied c’est nous », ou retourner l’expression et très bien dire que « nous sommes la course à pied ».
Ceci étant, il est facile d’analyser le fait que le sport d’endurance soit un sport difficile, qui demande un fort investissement physique et psychologique. La moitié des athlètes ayant déjà pensé à l’abandon, on note la difficulté de la discipline. Mais la passion est un moteur pour l’homme et la course un moteur pour le coureur. La plupart des athlètes désirent continuer le plus longtemps possible, on dénote chez eux une forte envie d’aller plus haut, plus fort, plus loin. La raison réside dans le fait que le sport d’endurance soit l’activité où ils vont chercher et obtenir de nombreuses satisfactions. L’athlète tire en effet d’importantes satisfactions physiques notamment, qui l’aident à se sentir bien, à se sentir mieux, à se faire plaisir, à mieux se connaître, à se dépasser…La course à pied permet par exemple au sportif de s’auto-évaluer, mais aussi de s’accomplir. Au niveau psychologique, le sportif éprouve, au cours de sa pratique, bonheur et joie, il se sent mieux, il se sent bien, il se sent plus fort et peut évacuer, décharger toutes ses tensions. Enfin, au niveau social, le sportif d’endurance vie de fortes relations amicales, partage avec d’autres une même passion, il jouit, selon ses dires, d’une formidable ambiance. Plus important, il continue à se faire plaisir et ne cesse de s’améliorer ; en effet, les athlètes sont contents d’eux-mêmes, de ce qu’ils ont accompli dans leur pratique depuis leurs débuts. Les sportifs possèdent donc bien une haute estime de soi du fait des satisfactions qu’ils obtiennent dans leur pratique.
Mais leurs discours mettent en avant un fort paradoxe, le décalage entre les buts de pratique, les satisfactions qu’ils en retirent et le contexte de la compétition, de la performance, et ses contraintes. Cette recherche confirme la théorie des conduites d’accomplissement présentée par Thill (1999) selon laquelle le contexte sportif représente une situation spécifique dans laquelle l’athlète s’efforce d’atteindre un but, la performance en outre, qui peut être ensuite évalué en terme de succès et d’échec, par soi ou par autrui. En effet, la compétition est majoritairement, pour l’athlète, le moyen de se surpasser ; c’est une lutte contre soi-même pour atteindre la performance. Le sportif la considère aussi comme le fait de se mesurer, de se comparer aux autres. Un seul la définit comme un jeu, mais elle ne constitue en rien un amusement pour les autres. Quant à la performance, elle se rattache indéniablement au contexte compétitif, l’athlète allant jusqu’à ne pas faire la distinction entre la compétition et la performance. Cette dernière s’associe au dépassement de soi, au dépassement de ses limites. La performance, c’est vraiment donner le meilleur de soi, voire plus. Elle peut toutefois simplement signifier pour quelques-uns le fait de s’améliorer, de progresser, ou d’atteindre l’objectif fixé.
Pour juger la performance, l’athlète fait appel à de nombreux facteurs ou référents. La performance se rapporte tout d’abord à soi puisque l’athlète l’évalue en prenant compte de son évolution, de l’amélioration des performances précédentes ; il regarde avant tout le temps et le chrono établis. Les sensations sont aussi très utilisées par le sportif dans le jugement de la performance, les bonnes sensations étant synonymes de bonne performance et vice-versa. Ceci étant, le sportif met en place un fort processus de comparaison sociale puisqu’il se compare aux autres. En effet, il regarde le classement obtenu et l’écart qui le sépare du vainqueur. Cette étude confirme bien la théorie de l’efficacité personnelle perçue de Bandura car l’athlète évalue sa performance en faisant appel aux différentes sources d’informations que sont l’accomplissement de performances objectives, le modelage social et l’état physiologique. Nous ne pouvons parler de persuasion verbale comme Bandura le fait car cela ne ressort à aucun moment dans le discours des athlètes.
La performance et notamment les critères bon ou mauvais de celle-ci sont en forte relation avec l’estime de soi de l’athlète. En effet, en cas de bonne performance, l’athlète ressent de fortes émotions positives de joie et de bonheur. L’athlète se concentre sur lui-même, ne fait qu’un avec son corps, il est son corps. C’est ainsi que ses perceptions de facilité et de force, associées aux pensées un peu dispersées qu’il a pour les autres lui confèrent fierté et satisfaction personnelles. En cas de mauvaise performance par contre, la souffrance physique associée au dégoût et à la perte de motivation fait naître chez l’athlète un fort sentiment d’échec et de déception.
Cette recherche de terrain confirme donc les données théoriques. La performance demande de grandes ressources psychologiques comme physiques ; son atteinte favorise l’apparition de sentiments positifs et entretient une estime de soi haute et stable, cette dernière se modifie négativement en cas de non atteinte de l’objectif. Toutefois, cette modification, comme le présente Miceli (1998), ne concerne que le grade de stabilité de l’estime de soi, cette dernière ayant un niveau bas ou haut déjà défini. En effet, on observe qu’après coup, le sportif est tout de même satisfait de lui et est content finalement d’en avoir terminé. La compétition doit vite être oubliée et il est alors important pour l’athlète de se rappeler que la priorité reste le plaisir de pratiquer. Ainsi, l’athlète met en place une réévaluation cognitive pour maintenir une assez stable et haute estime de soi.
Jérôme Sordello