Pourquoi courir ? Courir peut être un simple loisir, une activité pour s’épanouir, un besoin de se dépenser pour rester en bonne santé, quelque chose qui nous fait vibrer parce que ça nous pousse à nous surpasser … Bref, chacun possède ses propres motivations pour aller galoper.
J’ai rencontré une femme, Béatrice, dont l’histoire m’a beaucoup touché quand elle m’a justement expliqué les raisons qui aujourd’hui la motivent à se rapprocher du monde de la course à pied. Je dis « rapprocher » parce que son rapport avec ce sport a brusquement et involontairement dû changer après un tragique évènement qu’il lui ait arrivé …
Béatrice a accepté de vous le raconter et je suis ravie de pouvoir vous partager son histoire dans laquelle certains d’entre vous pourront peut être se retrouver.
« Je ne concevais pas la vie sans la course à pied … »
« La pratique de la course à pied est arrivée vers l’âge de 17 ans, seule, sans me poser de question ni me fixer d’objectif, c’était naturel ! Rien de plus. Alors que j’avais pratiqué la natation en compétition, la course à pied c’était en mode « sauvage » ! Puis en sport universitaire je me suis orientée vers le triathlon et c’est à partir de ce moment que la CAP a pris de l’importance dans ma vie car j’ai découvert les petites courses locales (premier dossard à 21ans). Je me décrirais comme une coureuse de peloton, en compagnie de nombreuses féminines avec qui du lien se créait, dans une ambiance sympathique . Cela suffisait à mon bonheur, l’objectif étant de s’améliorer, de « gratter » quelques places. Une course dans la course en fait. Et pendant 20 ans c’est dans cet esprit que nous nous alignions sur les courses mon mari et moi, quelques classiques mais le plus souvent de petites courses locales.
Cette activité était aussi essentielle que celle de dormir ou de manger. J’ai toujours ressenti le besoin de m’entretenir par l’activité physique, avais du plaisir à suivre les plans d’entraînement, à organiser les week-end ou les vacances en fonction de certains objectifs. J’ai rejoint un groupe de coureurs à 40 ans, cela a reboosté ma pratique et fait découvrir le plaisir des entraînements avec un coach, des courses en équipe et les déplacements collectifs. Je me souviens de discussions avec mes amis coureurs au cours desquelles nous étions tous d’accord pour dire que nous ne concevions pas la vie sans la course à pied…
« Apprendre à vivre avec une bombe dans la tête, c’est compliqué ! »
Au mois de mars 2011, on peut dire que je galopais joyeusement vers la cinquantaine, je recueillais les fruits des dernières années d’entraînement structurés. Quelques mois auparavant j’avais atteint mes objectifs sur Marvejols-Mende, Marseille-Cassis et je me sentais au mieux de ma forme. Le dimanche j’ai accompagné un ami revenant de blessure sur un trail où tout s’est bien passé. 24h après, j’ai pourtant commencé à avoir de terribles maux de tête … 24h de plus et l’accident vasculaire s’est déclaré : dissection de la carotide interne avec obstruction complète. Lorsque j’ai entendu le neurologue m’expliquer avec une voix très douce que le pronostic vital était engagé encore 48 heures j’ai eu l’impression de reprendre vie en dehors de ce corps qui me lâchait.
La vie a basculé. Car cet accident a mis en évidence une pathologie au niveau vasculaire cérébral notamment un anévrisme que nous avons décidé d’un commun accord avec l’équipe médicale de ne pas toucher : compte tenu sa forme et sa localisation les lésions neurologiques seraient inévitables au cours d’une intervention. L’autre carotide n’est pas brillante de son coté… Je m’en tire très bien au niveau des séquelles, notamment sur le plan moteur où j’ai tout récupéré. Par contre, apprendre à vivre avec une bombe dans la tête, c’est compliqué. Avec le soutien de mon compagnon, celui de mes grandes filles et l ‘aide d’une psychologue j’ai organisé un changement radical. Un an après mon passage aux Urgences, je prenais un nouveau départ à Bruxelles (soit à 1000 km), seule. Alors depuis plus d’un an maintenant nous menons une vie assez folklorique où les repères et le quotidien ne sont plus les mêmes. Vive les lignes low coast !
« Je me reconnecte avec le monde de la course à pied. »
Lorsque je me suis sentie assez en forme, j’ai bravé l’interdiction qui m’avait été faite de courir et j’ai fait quelques tentatives de footing (en ville, au cas où…). Pourquoi prendre ce risque ? Une partie de la réponse réside dans le fait qu’on n’oublie pas les sensations, le plaisir que procure la CAP. Le souvenir est vivace, celui des paysages, des odeurs, de tout se qui gravite autour. Et contrairement à certaines choses du passé, on peut se replonger dans cet état, il suffit pour cela de chausser ses runnings. Je savais que cela m’aiderait à évacuer la pression liée au risque de rechute.
Afin de faire taire une forme de culpabilité, je suis allée consulter un autre neuroradiologue et j’ai eu la chance qu’il soit coureur à pied. Le courant est passé, pas besoin que je lui explique, que je me justifie, il savait ! Selon lui je peux courir autant que je veux en ne me mettant pas dans le rouge, en ne créant pas un état de fatigue, etc.. Oui je peux faire un nouvel accident en courant mais il ne sera pas à imputer à la course à pied, c’est ainsi. Et vu les effets bénéfiques de la course à pied en général, autant y aller. C’est parti ! J’allonge les sorties, les rapproche. Je me reconnecte avec le monde de la course à pied via des lectures, Internet (merci Sissi !) et rejoins un groupe de coureurs débutants.
Une réconciliation s’opère alors doucement entre le corps et l’esprit. Cette tête qui pesait tant sur mes épaules se fait moins lourde. Je sens à nouveau le reste de mon corps, quelques courbatures, le besoin de renforcer le haut, de corriger certaines postures. Je n’étais que cervelle depuis des mois ! Quel plaisir de courir sous la neige, dans le froid, puis de voir arriver le printemps. Courir me fait me sentir en communion avec la nature et curieusement cela m’aide à accepter ma situation qui n’est finalement pas différente de celle de toute vie sur cette Terre…
Je reste très prudente et continue la surveillance médicale. Je suis certaine que je tiens mieux la maladie à distance en pratiquant la course à pied, ne serait ce que parce qu’elle me permet de garder le moral. »
Un bel exemple de combativité, c’est ça aussi être une championne ! Bravo Béatrice !
Sylvaine CUSSOT