Stéphanie et Jérémie Gicquel se sont préparés pendant des mois (moralement et physiquement !) pour ce marathon hors du commun : le marathon du Pôle Nord. Passionnés de trails (y compris trails blancs ) et de régions polaires , ils ont déjà fait plusieurs expéditions en autonomie, en ski, à pied ou en voilier, en Arctique et Antarctique : cette expédition ne sera donc pas la première dans laquelle ils se lancent …
Mais elle représente tout de même un vrai défi personnel de dépassement de soi mais aussi un défi solidaire puisque ce couple de sportifs généreux a décidé de courir pour une association qui s’appelle Les Petits Princes. Ils ont vécu ce 9 avril dernier, une aventure extraordinaire lors de cette 10ème édition du Marathon du Pôle Nord.
Les conditions climatiques sont chaque année très compliquées là bas, mais cette année plus particulièrement apparemment : « les conditions de course cette année ont été particulièrement difficiles – l’organisateur, Richard Donovan, considérant même qu’il s’agissait de l’édition la plus difficile en raison de la présence de neige assez profonde sur une bonne partie du parcours. La température était en outre particulièrement basse, -30°C. Ceci étant, nous avons pu profiter du soleil de minuit et d’une très bonne visibilité, ce qui donne à la course une dimension encore plus particulière« , se souvient Stéphanie.
Mais Stéphanie et Jérémie ont réussi à aller au bout de ce marathon même avec ces conditions ! Ils peuvent être fiers d’être finishers : « nous avons franchi la ligne d’arrivée du Marathon du Pôle Nord après 5 h 48 de course. Nous avions pour objectif de terminer ce marathon en 6 heures, ce qui constituait un objectif élevé pour nous sachant que le meilleur chrono féminin lors des dix précédentes éditions était de 5 h 37. Il est en outre difficile de se fixer un objectif précis car la course dépend beaucoup des conditions météo et de la qualité de la neige / glace de banquise. Nous avons ressenti une émotion particulière lorsque nous avons couru ce marathon et encore plus lorsque nous avons franchi la ligne d’arrivée. Plus que sur un marathon sur route dans la mesure où le défi était plus important pour nous, du fait qu’il y avait une part d’inconnu, donc d’appréhension avant la course. Dans ces conditions, l’émotion ressentie est du même ordre que celle que nous avons pu ressentir sur notre premier marathon ou notre premier ultra.
Pouvez vous nous raconter ces 42km en quelques lignes ?
« Le départ est donné le 9 avril à 00 h 30, sous le soleil de minuit. Il fait alors – 28°C, mais la température descend rapidement à – 30 °C. Nous partons pour 9 boucles de 4,7 kilomètres chacune, avec la possibilité d’effectuer un arrêt à chaque tour sous une tente chauffée (15°C) pour nous ravitailler. La sensation de chaleur procurée par l’équipement (trois couches en haut, deux couches en bas, deux paires de chaussettes et de gants, cagoule, bonnet polaire, masques)… ne dure qu’un tour, avant que le froid nous saisisse et nous accompagne jusqu’à la ligne d’arrivée !
Nous avons décidé de faire un arrêt ravitaillement tous les deux tours – si possible. Ce sera effectivement le cas, avec un arrêt un peu plus long, une dizaine de minutes, après le 6ème tour, pour retirer la glace formée entre la deuxième et la troisième couche. Entre temps l’effet conjugué du froid glacial et de notre transpiration a rapidement et littéralement figé notre veste en position course à pied, i.e. bras pliés ! La surface au sol est très irrégulière et rend la course plus difficile par endroit mais nous nous efforçons de garder un rythme de course régulier, en relançant sur les quelques passages un peu plus roulants. Après chaque ravitaillement, il nous faut de plus en plus de temps – et quelques accélérations – pour estomper les effets du froid sur nos doigts (mains et pieds).
Nous pensons à tout le soutien que nous avons reçu au cours des mois de préparation de ce projet, à l’Association Petits Princes, et nous courrons, le regard alternativement posé sur une étendue de banquise sur laquelle le soleil de minuit vient se refléter et souvent sur nos pieds pour assurer chaque pas dans les passages difficiles. Arrive enfin le 9ème tour, et nous sommes toujours dans les temps pour notre objectif. Nous essayons de profiter au maximum de ce dernier tour, mais c’est difficile, et nous restons concentrés jusqu’à la ligne d’arrivée, où nous déployons fièrement le drapeau de l’Association Petits Princes. »
Qu’est ce qui est le plus compliqué à gérer dans une course comme celle ci finalement ?
« Pas la distance car nous avons déjà couru des marathons et des trails d’une distance supérieure au marathon. Pas le sol car nous avons déjà couru des trails blancs. C’est d’ailleurs ce qui nous a permis de faire une bonne course. La plupart des participants étaient de très bons marathoniens sur route (la plupart avait déjà couru un marathon en moins de 3 heures), mais pas nécessairement bien préparés ou moins à l’aise pour courir sur ce type de surface.
Certainement le froid, que l’on ressent intensément au bout des doigts et des orteils à chaque sortie de la tente de ravitaillement, nous nous sommes posés beaucoup de questions avant la course quant à l’équipement, beaucoup plus qu’avant un trail en montagne en France. Chaussures de trail gore-tex ou non gore-tex ? Trois ou quatre couches de vêtements ? Cagoule en soie sous le bonnet polaire ? Nous n’avions jamais eu l’occasion de courir par -30°C de sorte que nous n’avions pas pu tout tester lors des entraînements. Ceci étant, nous avons passé quelques jours à bivouaquer au Spitzberg par -20°C, -30°C, avant le marathon, ce qui nous a bien aidés à nous habituer au froid. »
Comment vous vous êtes ravitaillés avec ce froid ?
« Nous nous ravitaillions sous la tente chauffée (15°C) de ravitaillement. »
Comment était l’ambiance entre les coureurs ?
« Il y avait une très bonne ambiance, conviviale. Nous sommes restés ensemble pendant 3-4 jours ce qui est rare pour une course (à l’exception des raids par étape). Nous étions très concentrés avant la course. Richard Donovan est venu nous annoncer lundi soir vers 19 h que le départ serait donné à 00 h 30. Le silence règne alors dans la tente. Chaque participant prépare ses affaires, avec minutie. Les regards se croisent subrepticement, laissant apparaître une certaine appréhension. A ce moment-là, on réalise qu’on est au pôle Nord, qu’on va courir un marathon par -30°C… »
Un mois après, avec du recul, qu’avez vous retiré de cette expérience ?
« Ce qui a été particulièrement intéressant pour nous est d’avoir construit un projet au-delà de la course en elle-même. Notre objectif était de partager cette expérience notamment par l’intermédiaire de notre blog et de soutenir l’Association Petits Princes. Cette approche a donné une dimension particulière à cette course. »
La récup post marathon est elle plus longue qu’un marathon « classique » ?
« Non, la récupération n’a pas été plus longue que pour un autre trail. Nous avons repris progressivement l’entraînement une semaine après l’épreuve. »
Votre prochain défi ?
« Le Grand Raid du Morbihan (un trail de 178 kms) fin juin puis la 6000 D fin juillet. »
Bravo à ces deux courageux au grand cœur !!
Pour info, le marathon a été gagné chez les hommes par Gary Thornton en 3 h 49 (personal best : 2 h 17) et chez les femmes par Fiona Oakes en 4 h 53 (personal best : 2 h 38).
Sylvaine CUSSOT
(Crédit photos : Mike King)
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