L’entorse est une pathologie fréquente puisqu’on dénombre 6000 cas par jour en France suivant les sources consultées. Et son coût pour la société dépasse le million d’euros par jour…
Philippe Prido, podologue du sport sur Toulouse et également pratiquant course à pied et triathlon, développe le sujet.
« Cette pathologie n’est pas propre à la pratique sportive mais touche toute la population, même si elle représente 15 à 20% des traumatismes sportifs.
La plupart du temps il s’agit d’entorses bénignes ou considérées comme telles (dans 2/3 des cas) mais nous reviendrons sur la notion de gravité plus tard.
Le but de cet article n’est pas de faire une énumération des signes cliniques et des différents stades (car internet regorge de descriptifs sur le sujet).
Je vais ici m’attacher à décrire les mécanismes intrinsèques de l’entorse, les éléments prédisposants et la conduite à tenir à court terme et à moyen terme et enfin l’action du podologue dans la prise en charge thérapeutique.
Anatomie et Physiologie
La cheville est l’articulation qui relie le pied à la jambe par l’intermédiaire d’une mortaise péronéo tibiale qui va glisser sur l’astragale ou talus et qui assure des mouvements de flexion-extension du pied. Mais il existe d’autres mouvements d’amplitude plus réduite que sont la rotation interne et externe et l’abduction et l’adduction du pied. La combinaison de ces mouvements aboutit à des mouvements plus complexes que sont l’éversion et l’inversion (pour se les représenter on parle de manière schématique de la position du pied du cavalier dans un étrier pour l’éversion et du footballeur qui shoot pour l’inversion) .
Pour être stable la cheville sera maintenue pas des ligaments latéraux et des muscles qui viennent de la jambe et se terminent dans le pied. Ce système ingénieux qui assure la stabilité du pied est mis à mal dès que le sol n’est pas uniforme et que les forces lors de réception des sauts sont équivalentes à plusieurs centaines de kilos. Dans ces conditions, pour résister, les structures doivent pouvoir amortir le choc par des mécanismes adaptatifs spécifiques du pied.
Ceci sera valable la plupart du temps mais il arrive que dans certaines conditions le pied se dérobe et aboutisse à une entorse. Même s’il existe des entorses internes du pied le plus souvent on parle d’entorses externes. Ceci se comprend d’autant mieux que dans un déroulé classique du pied au sol l’impact se fera par la partie postéro-externe du pied. Nous ne parlons pas ici de la foulée mais du déroulé du pas. Pour bien comprendre le mécanisme qui nous permet de rester stable sur ses pieds il faut savoir que les tendons ont des propriétés élastiques mais que les ligaments ne sont pas extensibles. Ils possèdent des capteurs sensitifs qui, lorsque la tension est trop forte, donne l’information par voie réflexe aux muscles pour se contracter. Cette notion réflexe est d’autant plus importante que le temps de réaction va conditionner la possibilité de mettre en jeu les systèmes posturaux qui régissent l’équilibre.
Le problème réside surtout dans ces trois composantes : temps de réaction, capacité de réaction, et structures adaptées à cette réaction.
Nous avons vu que les ligaments n’ont pas de propriétés élastiques. Donc passé le cap informatif des capteurs de tension décris plus haut, il va se produire des micro déchirures dans un premier temps, associées à un phénomène plus ou moins douloureux suivant la gravité de l’entorse. Je ne décrirai pas en détails les signes fonctionnels qui vont de la simple ecchymose à l’œdème généralisé du pied et de la simple gène fonctionnelle à l’incapacité à poser le pied au sol. Je vais essayer de faire comprendre pourquoi une entorse n’est jamais bénigne et qu’elle doit toujours être prise au sérieux et ce d’autant plus que le sujet pratique la course à pied ou un sport de pivot en général.
En effet plus l’entorse est mineure plus elle sera traitée par le mépris et le dénis. Or à ce stade, le signe d’alerte est déjà atteint surtout si ce n’est pas une première fois. Il peut s’agir d’un problème morphologique qui prédispose à des mouvements en inversion comme un tendon d’Achille court ou un varus de l’axe du calcanéum, un pied creux très prononcé, une mauvaise qualité du système stabilisateur du pied par laxité ligamentaire (une chaussure à l’effet pronateur ou supinateur non adapté à la morphologie ou à la foulée du coureur). Je ferais une petite parenthèse pour répéter que l’étude du pied en statique et en dynamique n’est pas la même et que le choix des chaussures devra se faire sur ces critères posturo dynamiques qui doivent être étudiés de manière conjointe avec des podologues spécialisés dans la pratique sportive et des professionnels du conseil de la chaussure. Tout cela devra être envisagé dans le cas d’une reprise d’activité sportive avec des séquelles d’entorses bénignes
La récidive d’ une entorse sera à prendre avec beaucoup de sérieux car qu’elle soit récente ou ancienne, cela va confirmer que le système de protection anti entorse est déficient .Les micro-déchirures des ligaments ont fait place à des ligaments traumatisés et plus lâches, moins capable d’assurer la stabilité. Et on constate à un stade avancé : un diastasis peronéo tibial qui est un bâillement où le talus (ou astragale) va devenir mobile et peut même aboutir à une fracture mono voire bimalléolaire dans certains cas.
Avant d’en arriver à ce stade il sera toujours nécessaire de traiter une entorse dès sa survenue initiale. Quand on parle de traitement il serait plus judicieux de parler de « prise en charge » car le traitement n’est pas seulement médical, il passe par la prévention de manière prépondérante. Il existe en effet une notion fondamentale qui doit être retenue, c’est la dichotomie entre les symptômes douloureux qui disparaissent très vite, et la cicatrisation complète ligamentaire qui dure plusieurs mois allant même jusqu’à une année. On sait pour en rencontrer tout les jours qu’il n y a pas pire patient que le sportif confirmé car le repos et l’attente ne font pas partie de son univers conceptuel. Il sera d’autant plus difficile de faire comprendre que la reprise après une entorse devra respecter la règle des 5 R : repos, reprise, raisonnable, régulière et raisonnée.
On a souvent vu le passage sur une hémisphère surmontée d’un plateau, dans les cabinets de kinés en rééducation d’entorses. Il semble d’autant plus intéressant de faire un travail spécifique en amont de la lésion. Le travail de Préparation Physique Général (ou PPG) est fondamental car il est très souvent négligé par le runner moyen, plus enclin à consacrer son temps à la recherche de l’entrainement performant au détriment de ce travail proprioceptif. La nature fait souvent bien les choses et si elle a disposé des capteurs sensitifs et de pression au niveau du pied, cela est évident que c’est pour qu’ils jouent un rôle. L’entrainement proprioceptif va permettre de réduire le temps de réaction qui donne l’information aux muscles concernés pour lutter contre l’entorse.
Il y a quelques semaines, j’ai été amené à faire une intervention sur l‘amorti. Dans le cas de l’entorse, l’amorti va plutôt être un handicap, car il va rallonger le temps de réaction réalisant un shunt au niveau de la boucle réflexe, temps précieux (quelques millisecondes) qui peut conduire à la lésion ligamentaire, et qui peut être accentué par la fatigue pendant l’effort ou le sur entrainement. D’où la notion prépondérante du choix de l’interface que l’on choisit entre le pied et le sol : Le choix des chaussures de running (ou pas) et/ou le choix de la semelle orthopédique (ou pas).
Une nouvelle problématique qui dépend de plusieurs paramètres. Il a quelques années on plâtrait les entorses (et je l’ai subi) même lorsque la gravité n’était pas prouvée, ce qui aboutissait à une fonte musculaire d’autant plus dommageable qu’elle rendait plus vulnérable la cheville au sortir du plâtre. Ceci s’entendant sans fracture bien entendu… La nécessité du mouvement pour la préservation musculaire s’impose quand elle est possible ce qui ne veut pas dire que la reprise de l’activité doit se faire dans les mêmes conditions qu’avant le déclenchement de l’entorse.
Je vais essayer de terminer sur une interrogation qui une fois encore, devra être traitée au cas par cas pour ne pas être comprise comme dogmatique ou conceptuelle. En tant que podologue nous avons un rôle décisif dans la prise en charge de l’entorse et la réalisation de semelles orthopédiques doit se concevoir en sachant à quel moment nous intervenons:
-Sur une entorse « récente », la semelle se voudra plutôt stabilisatrice pour éviter la récidive (et le patient sera revu pour un suivi régulier et diminuer le calage trop figé, quand le trouble morpho statique le permet).
-Sur des entorses moins récentes on s’attachera à faire des semelles pour lesquelles les éléments proprioceptifs de stimulation trouveront leur place. A tout moment il faudra contrôler les deux aspects biomécaniques et proprioceptifs et ce contrôle sera revu en fonction de l’activité sportive considérée : sport de pivot ou geste unilatéral.
Pour finir je dirais qu’il existe de nombreux traitements avec différents acteurs médicaux et paramédicaux où chacun à sa place. Pour ma part il m’arrive de placer des bandes de tape (voir article sur les bandes de k taping) qui permettront de compléter le traitement orthétique des semelles. L’effet drainant des tapes réduisent l’œdème de l’entorse récente et suivant la pose, permettront d’avoir un maintien relatif laissant la liberté de mouvement. Ceci étant provisoire avant d’envisager des solutions à plus long terme.
Philippe Prido- Podologue du sport