L’athlétisme est un sport de performance, pur, où l’effort est violent, poussé à son paroxysme.
Les corps ainsi s’expriment par leur propre langage et s’en dégage un certain style.
fait rimer la performance avec l’élégance.
Bernard Lagat, né au Kenya (Kaptel) dans une tribu kalenjins, fait rimer la performance avec l’élégance.
Multiple médaillé du 1500m au 5000m, il fut diplômé de l’école de Kaptel en 1994 où il démarra sa carrière athlétique. Après avoir obtenu un autre diplôme (d’agriculture et de technologie) dans la capitale Nairobi, il s’envole pour les États-Unis en 1996, où d’autres coureurs kenyans ont pu prospérer. Rentré à l’université (WSU, Washington State University), il y conquiert en 1998 3 titres universitaires sur le mile et le 3000m en indoor ainsi que sur le 5000m en plein air. Une brillante carrière débute alors pour ce talentueux coureur.
Il se présente pour la première fois aux Jeux Olympiques de Sydney en 2000, sous les couleurs du Kenya. En finale du 1500m, il est dans le coup. Accroché aux pointes d’Hicham El Guerrouj qui veut partir chercher son titre après sa chute à Atlanta en 1996, il participe à un superbe finish (3è) qui verra son jeune compatriote Noah NGeny l’emporter. Ce dernier, toujours détenteur du record du monde du 1000m en 2’11″96, fut une étoile filante, alors que la carrière de Bernard allait prendre une superbe trajectoire. Cette course marquera entre autre les batailles qui l’opposa à El Guerrouj (2è) et au jeune français de l’époque Mehdi Baala (4è).
L’année suivante à Edmonton pour les championnats du monde, le voilà une nouvelle fois dans les talons du marocain, vainqueur du 1500m, il terminera 2è. Pour devenir une légende, il vous faut trouver des adversaires à votre taille, et Bernard Lagat en était un. Les jambes puissantes, martelant le sol, un train féroce et inarrêtable, El Guerrouj a dû pousser loin son talent face au style gracieux, léger et efficace de Lagat.
Ce même été, l’athlétisme allait voir le 1500m le plus relevé de l’histoire. Le favori marocain se présente au meeting de Bruxelles avec son record du monde de 3’26″00. Un lièvre l’emmène sur des bases très élevées. Bernard est là, comme toujours. A 300m du but, El Guerrouj démarre, décrochant tout le monde excepté une personne… Un petit écart est fait mais Bernard réagit et saute dans sa foulée. Le sprint est terrible. Il essaiera de le déborder sans pouvoir y parvenir. Le vainqueur établit le 2è chrono de l’histoire en 3’26″13, Bernard le 3è en 3’26″34! (cf: vidéo). Une performance époustouflante qu’on oublie, mais que personne n’a pu accrocher par la suite, reléguant l’ancien record du monde du mythique Noureddine Morcelli à plus d’une seconde (3’27″37).
L’année 2002 et 2003 fut des répétitions de ce qu’il s’était déjà produit entre eux. Lors des championnats du monde d’été en 2003, il se fait suspendre lors d’un test sanguin après avoir trouvé des traces d’EPO, mais son échantillon se trouvant négatif, il est immédiatement blanchi. Remis de cette mésaventure, il obtient pendant l’hiver 2004 sa première médaille d’or internationale sur le 3000m des championnats du monde en salle. Aux JO d’Athènes cette même année, l’histoire se répète. Ni lui ni Hicham n’ont encore gagné l’or olympique… Dans l’amorce du dernier tour, le peloton est groupé, ils sont aux deux premières places. Hicham fait parlé la poudre, l’allure est folle! Bernad bien décidé à la vaincre le déborde dans le dernier 100m, il semble avoir un buste d’avance… l’effort se lit sur son visage! Mais le marocain reprend un léger avantage à quelques mètre de l’arrivée et décroche enfin son titre! Le dernier 400m a été bouclé en 51s91, épatant!!
L’année qui suit en 2005, il annonce sa naturalisation américaine, dont il est citoyen depuis maintenant 9 ans. Ses premiers records US tombent la même année. Il réussit 3’49″89 au mile en salle (Fayetteville) et par la même celui du 1500m en 3’33″34 établit pendant la course. Il réalisera pendant l’été 3’29″40 à Rieti, nouveau record du 1500m en plein air.
En 2007 aux championnats du monde d’Osaka, il réalise le doublé 1500m/10 000m comme ont pu le faire Nurmi et El Guerrouj lors des grandes compétitions. Son palmarès s’étoffe! En 2008, il court blessé au tendon d’Achille aux JO de Pékin. Très déçu, et malgré qu’il soit plus âgé que ses adversaires, il revient en 2009 pour défendre ses titres. » Je suis plus motivé que jamais pour aller sur le podium à Berlin » déclare-t-il. Il n’aura pas l’or mais continue sa moisson de médailles, empochant le bronze au 1500m et l’argent sur le 5000m.
En 2010, il a 36 ans. Son style n’a pas pris une ride. Son ample foulée, douce et toujours terminée par un beau griffé, lui permet de faire l’aller-retour entre le demi-fond court et le demi-fond long. Il promène toujours un sourire agréable et montre une maîtrise tactique parfaite, comme si la science de la course était innée. L’hiver, il porte le record du 5000m en salle à 13’11″50, et à 12’53″60 en plein air! Un autre record viendra à Rieti, où il bat Tariku Bekele sur le 3000m et descend pour la première fois sous les 7’30. Son chrono est de 7’29″00. Aux championnats du monde en 2011, il se fait battre au sprint par Mo Farah sur le 5000m, ce sera sa 2è médaille d’argent consécutive. En 2012, il progresse encore en indoor et porte son temps sur 5000m à 13’07″15. Aux JO, il n’aura sans doute jamais l’or. Il termine 4è du 5000m à Londres dans un gros finish groupé, à 1″33s du vainqueur Mo Farah!
Qu’en est-il en 2013?
Bernard Lagat court toujours! Il vient de réaliser un magnifique 7’34″71 sur le 3000m du meeting indoor de Karlshrue! A seulement 2s de son record personnel… La course fut assez claire, menée sur des bases élevées. Un finish qu’il enclencha à deux tours de la fin ne permit pas à ses jeunes adversaires d’espérer quoi que ce soit! Toujours magnifique placé, droit et élégant sans souffrance apparente, il conclut les 100 derniers mètres avec une belle impression de vitesse! Quel plaisir à voir, tant l’aspect tactique s’allie parfaitement avec le style de ce grand bonhomme… En compétiteur qu’il est, il a aujourd’hui un sérieux concurrent qui tente de battre ses records nationaux: Galen Rupp. Le jeune américain est en pleine progression et les marques de son aîné sont désormais tout proches!
Dans le futur, bien qu’il pense ne pas être présent à Rio en 2016 (il aura 41 ans), il pourra sans doute courir sur des distances supérieures voir sur route, avec pourquoi pas un marathon. Il sait que ses performances ne seront pas aussi hautes que les tous meilleurs, mais il dit qu’il pourra tirer son épingle du jeu sur des distances de 10, 15 ou 21km. En tout cas, il s’écartera de ses distances fétiches avant de franchement décliner, préférant sortir par la grande porte.
Bernard Lagat possède des records de premier choix et un palmarès auquel manque un titre olympique, mais sa longévité et son élégance ravissent ses admirateurs!
Mathieu BERTOS