Cet extraterrestre des montagnes, mi-homme mi-chamois sur-médiatisé, symbole majestueux du trail-running et des sports de montagne depuis plusieurs années.
Kilian Jornet a tout gagné, avec l’intime conviction d’avoir fait le tour de la compétition, sans pour autant s’arrêter.
L’occasion est toute trouvée pour se lancer dans de nouveaux défis ambitieux avec le projet Summits of My Life, pour un intense mélange entre ultrarunning et alpinisme.
Objectif : gravir les sommets mondiaux le plus rapidement possible.
Et pour en témoigner, une série de films documentaires sous la houlette de Sébastien Montaz-Rosset, vidéaste talentueux et passionnant bien connu de la planète trail pour promouvoir la marque Salomon à travers de superbes montages sur les athlètes du team officielle. Ces films s’inscriront dans la même veine et les internautes habitués à ces clips vidéos ne seront pas dépaysés par cette version longue. On y retrouve d’ailleurs quelques passages avec l’équipe Salomon qui fait figure de bande d’amis en quête de plaisir et de découvertes partagées autour d’une même passion : une image que prend soin d’entretenir la marque française.
Premier épisode de cette épopée (qui doit s’achever avec une montée sur le toit du monde, l’Everest), A Fine Line, qui évoque les genèses du projet en 2012 : deux traversées du Mont-Blanc à travers des itinéraires inédits : tout d’abord en traversant le massif à ski d’est en ouest (de Champex à Les Contamines), puis du Sud au Nord (de Courmayeur à Chamonix) en course à pied et escalade. Une traversée hors-norme comme Kilian Jornet a l’habitude de nous le prouver à travers ses exploits. L’athlète espagnol effectuera le voyage avec un des grands noms de l’alpinisme français, Stéphane Brosse, qui perdra tragiquement la vie au cours de l’aventure.
Le long-métrage met l’accent dans un premier temps sur les origines de Kilian Jornet, son environnement familial et naturel dès son plus jeune âge. Le film nous aide à imaginer un athlète à taille humaine, loin de cet extraterrestre inaccessible stimulé par la bulle médiatique. On comprend ainsi l’impact d’un tel univers sur la personnalité de l’individu et sa relation avec la montagne. Sa mère et sa sœur interviennent tout au long du film et nous relatent des petites anecdotes qui viennent nous confirmer l’adéquation unique de l’homme avec son environnement dont il s’imprègne toutes les composantes au quotidien. Une histoire de famille en somme, dans laquelle il est tombé quand il était petit. Un Obélix fluet des sommets, formant peut-être l’une des clés de la réussite dans le trail et les sports de montagne. Les performances pour son âge sont d’ailleurs impressionnantes, alors que les sentiers nous habituent à des traileurs expérimentés plus âgés (Il remporte l’UTMB en 2008 à l’âge de 21 ans). Des images étonnantes laissent dévoiler cette communion avec la nature, un homme à part, à la manière d’un Robinson Crusoé, qui s’hydrate en grand solitaire dans les ruisseaux et se nourrit de baies sauvages. Un respect de la nature presque illusoire et idyllique. Mais le documentaire parvient à nous convaincre que Kilian Jornet est bien un amoureux de son environnement.
On entre aussi dans l’intimité de l’athlète. Un aspect toujours apprécié par les spectateurs curieux : intimité familiale, préparation aux courses, repas aux produits énergétiques… On découvre un homme serein mais aussi sûr de lui et très rigoureux dans son organisation. Son côté sauvage est parallèlement balancé par une organisation toujours maîtrisée de bout en bout, à l’image de ses petits carnets et listes qui marquent sa ligne de route, sa ligne de vie et ses objectifs à venir, autour d’une masse de paires de chaussures qui ferait jouir le plus matérialiste des traileurs. Les images donnent le ton de la traversée et de ses préparatifs.
Lilian Martinez, un skieur passionné de montagne qui intervient dans le film, va chercher plus loin dans la démarche de l’espagnol et se questionne sur ses projets : « Pourquoi ? Après quoi court Jornet et que veut-il prouver au monde ? » C’est un homme mystérieux dans ses actions et dans ses buts. Un caractère qu’il semble cultiver, une démarche complexe à analyser, entre transmission de valeurs et objectif chronométrique en battant des records, faisant de la vitesse et de la rapidité un des piliers de son projet. La performance semble être un facteur indispensable de l’engouement médiatique et du besoin d’exister. Un défi et un rêve qui riment avec des contradictions selon Martinez, entre attachement à la solitude et plan médiatique bien ficelé, entre passion sincère et satisfaction des sponsors, c’est un cocktail dont il n’est pas aisé de cerner clairement les contours. Mais l’essentiel est ailleurs et ce sont bien des valeurs qui sont mises à l’honneur à travers « A Fine Line ».
Le décès de Stéphane Brosse amène inévitablement le thème de la vie et de la mort, de la frontière si fragile entre les deux entités et du danger de la montagne. Comme dans tous les sports extrêmes, la part de danger et la prise de risque sont des facteurs familiers aux sportifs mais la force de leur passion est telle que leur pratique n’est en rien ébranlée par un événement douloureux. Kilian Jornet précise que l’on serait « trop attaché à la sécurité« , qu’il faut prendre des risques pour vivre et ne pas la laisser s’enfermer dans un quotidien protégé, dans ce confort d’occidental qui nous est cher. Une forme de vie à la recherche du bonheur. De ce qui peut laisser croire à de grands discours de bons sentiments se dégage finalement une réelle sincérité, en partie grâce à la personnalité de ces êtres attachants qui témoignent devant la caméra. La montagne leur apporte une philosophie de vie, une liberté et des des idéaux qui dépassent la notion de performance que nous évoquions : « la liberté, c’est le choix » explique Stéphane Brosse dans la neige mouvementée. La montagne fait écho aux similitudes du quotidien : choisir son itinéraire, laisser sa trace, faire de bons ou de mauvais choix…
C’est aussi un long-métrage qui rappelle les choix et les ambitions de ces pratiques sportives : les tendances actuelles évoluent et l’essor du trail par exemple est le fruit d’un besoin croissant de retrouver un peu d’air, de nature, d’échapper au monde quotidien, à l’exigence aussi de l’athlétisme moderne, sur la route comme sur la piste. Une évasion qui reste à nuancer pour une société de consommation qui n’en reste pas moins fortement implantée. L’ultra-trail et l’alpinisme sont considérés pour certains comme un retour aux sources, comme le moyen de ne pas oublier les capacités de notre corps et de notre endurance. Jornet prône dans le même sens un certain dépouillement, une pratique sans artifices, le strict minimum pour affronter les massifs rocheux, s’allégeant du poids du matériel superflu. Un écho également au minimalisme croissant et au principe du barefoot, qui souhaite redonner au corps ses lettres de noblesse et ses caractéristiques naturelles.
Les amoureux de la montagne seront comblés par les images que nous dévoilent ce film. Sebastien Montaz-Rosset avec son travail remarquable sait sublimer la montagne, la véritable star du film, avec des travelling et des vues aériennes à couper le souffle. Un spectacle magique où les superlatifs manquent et d’où émergent les petites silhouettes des protagonistes, qui s’animent et volent sur les sommets, glissant le long des pentes à vive allure. On se surprend à s’imaginer à leur place, parcourant au pas de course les crêtes des massifs dans cette immensité maculée de blanc. L’immersion aux côtés des athlètes est totale. Le tout orchestré par une très belle musique de Zikali, avec de douces sonorités qui accompagnent idéalement ces images que l’on ne se lasse pas de regarder plusieurs fois.
C’est l’esthétisme global du film qui reste le plus séduisant dans cette réalisation, et c’est bien là le principal. Faire rêver.
Informations et téléchargement du film sur le site, « Summits of my life« , ou même les coulisses du film avec le réalisateur.
Crédits Photos : Montaz Rosset Visuals
Texte: Rémi Blomme
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