La communauté du running est friande d’expressions en tout genre, surtout depuis l’avènement récent du trail.
La course à la saucisse fait partie de ces formules que tous les coureurs en herbe ont entendu un jour ou l’autre dans les conversations qui touchent au petit monde de la course à pied.
On pourrait lui associer course de quartier, ou tout simplement course locale. Le Larousse et le Petit Robert s’accordent unanimement pour lui décerner la définition suivante : « Expression familière pour désigner une course locale qui sent bon les frites-chipo-merguez du stand place de l’église et où le vainqueur se voit attribuer le prestige d’un champion de loto de la salle des fêtes du village. » Je me défend solennellement de toute allusion puisée chez du Laurent Baffie ou du Jean-François Kahn.
C’est souvent un terme connu pour son caractère péjoratif. Un terme qui est là pour décrédibiliser le succès du jour, le bon coureur départemental ou régional qui remporte le 9,8 Km populaire du coin avec trois minutes d’avance sur ses concurrents directs. « Pfff, de toute façon y’avait personne ! » ira déclarer le détracteur jaloux. Ce coureur victorieux en mal de reconnaissance sait que ce seront ses seules chances de monter sur la première marche du podium en compétition et de s’attribuer ainsi le titre de champion du monde départemental. Il pourra encadrer fièrement l’article de presse en son honneur, aux côtés de ses coupes et de ses médailles aux couleurs des petits commerces de la bourgade. C’est aussi un moyen pour certains d’échapper à la confrontation, de peur de se muter en simple anonyme dans une masse performante où ses crédits locaux victorieux seront réduits en poussière. Et parfois même, des athlètes de haut niveau se mêlent à la fête, pour faire plaisir au club organisateur, avec un discours à l’arrivée qui a de quoi laisser de marbre la V2 qui avait atteint dans la douleur son objectif de passer sous la barre de l’heure de course : « C’était une bonne séance » annonce alors de manière déconcertante le vainqueur du jour.
Péjoratif aussi, pour évoquer une organisation plus ou moins mal ficelée : on promet un 5 Km alors que le Garmin de Michel annonce 4.743 mètres à l’arrivée, une panneau de signalisation qui s’est volatilisé dans la nature a causé la bifurcation d’un groupe de coureurs dans un champ de patates, une remise des récompenses maladroite s’est éternisée jusqu’à l’heure de l’apéro, ou encore ce foutu ravitaillement avec le minimum syndical qui manquait cruellement de raisins secs et de boissons énergisantes. Sans oublier ce dossard en touts points perméable qui s’est désintégré sous un intense crachin, tâchant au passage le nouveau tee-shirt de compression blanc comme neige d’un runner aguerri. Les clichés vont bon train me direz-vous !
Mais finalement, ces petites courses locales sont bien loin de s’arrêter à cela. D’ailleurs, où s’arrête la course locale dans l’imaginaire collectif ? Question de règlementation, de label FFA, chacun pourra sans doute se faire sa propre définition autour d’une table ronde sur le vocabulaire de la course à pied à travers des débats passionnés…
Quoi qu’il en soit, la course à la saucisse, on l’aime. Elle symbolise une ambiance particulière qui fait tout son charme, souvent dans les villages de campagne pittoresques, avec une petite organisation chaleureuse, un rassemblement festif autour de la course à pied où se mêlent les petites installations habituelles qui structurent le paysage de ces rendez-vous : buvette, arche d’arrivée aux couleurs d’un partenaire majeur, l’estrade prêtée gracieusement par la mairie qui fait office de podium, le petit secrétariat pour la remise des dossards où se battent les nombreux flyers qui vantent les mérites de la course voisine qu’il faudra cocher dans le calendrier … De petites organisations que ne « payent pas de mine » comme on dit, et qui rythment le calendrier sportif du département.
C’est aussi l’occasion d’animer un village qui se caractérise généralement par son calme et sa faible activité. Il ne faut pas oublier que ces petits événements sont essentiels à la vie d’un petit club, pour lui donner ainsi une légitimité et une implantation concrète sur la scène locale. Chacun y va de son organisation. Des rendez-vous importants aussi bien pour les coureurs que pour la municipalité, le club organisateur, les petits commerces, ou les magasins spécialisés dans le running qui vont se promouvoir en sponsorisant des athlètes. Un moyen aussi pour ceux qui n’aiment pas se noyer dans la foule des grands rendez-vous de partager des instants privilégiés avec une communauté restreinte qui se côtoie tout au long de l’année. On y croise les mêmes visages de passionnés, bénévoles, speakers, correspondants de presse, responsables de clubs, les mêmes personnes qui renforcent cet environnement familier et rassurant. On y voit ces figures locales de la course à pied que l’on retrouve tous les week-ends, aux avants-postes des courses hors stade du département, sur les épreuves sur route comme sur les courses nature.
Dans la Sarthe par exemple, un certain Frédéric Nouet (photo) s’en était fait le spécialiste il y a quelques années, galopant dans tout le département en s’offrant le palmarès complet du calendrier hors stade. Le jeune vétéran de 41 ans s’est toujours illustré sur le bitume sarthois : « Je suis rentré dans le bain de la course à pied avec de la corrida de Malicorne (dans le sud-ouest de la Sarthe, ndlr) » explique le licencié de l’Endurance 72 au Mans. « Avec mes frères, on participait à cette course chaque année. Habitant le village de Noyen-sur-Sarthe, sans piste d’athlétisme, notre seul connaissance de la course à pied s’exprimait au travers des entrainements sur route. Par ce fait, nous nous sommes donc orientés vers les compétitions sur route » conclut t-il. Nul doute que le coureur sarthois était prédisposé à se présenter sur ces fameuses épreuves locales.
Avec un record personnel sur 10 Km en 30’43, Frédéric Nouet avait aisément les moyens de s’illustrer sur ces compétitions en tournant régulièrement autour des 32-33 minutes sur la distance. Les performances moyennes sur la route diffèrent selon les régions et les écarts peuvent être conséquents. La Sarthe a souvent profité d’un bon niveau, en lien avec la place dominatrice du hors stade dans l’athlétisme du département. « Ce que j’apprécis pendant ces épreuves » poursuit le routard, « c’est le contact avec le public, d’où apparaissent des personnes familières. Aussi, cela renforce mon envie de satisfaire ces encouragements. Les participants à ces courses n’ont pas « l’esprit tueur » que l’on peut rencontrer en cross ou sur piste. » Une manière plus sereine d’aborder la route. Un bon moyen également de mettre en avant les couleurs de son club et de ses partenaires.
Enfin, ce sont des opportunités pour des coureurs « lambdas » de se démarquer et de s’offrir les honneurs en décrochant des podiums dans leurs catégories respectives, du jeune cadet débutant à l’infatigable vétéran 4 qui répond toujours présent dans les pelotons. De petites fiertés personnelles agrémentées de lots et de bouquets garnis qui sont toujours une source de plaisir et de motivation. Bon, il n’y avait peut-être que 3 personnes inscrites dans leur catégorie ce jour-là, mais qu’importe. Il n’y a pas de petites victoires !
Alors, vive la course à la saucisse ! Et avec cette question existentielle s’il vous plaît : Chipo ou Merguez ?
Rémi Blomme
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