J’ai eu la grande de chance de rencontrer Olivier Chaigne lors des 24h de Marignane. Après 18h de course Olivier avait déjà parcouru 202kms ! Un véritable exploit !
Il a remporté à 2 reprises les mythiques 6 jours d’Antibes avec au compteur en 2012 accrochez vous bien plus de 881 kms !
Interview d’un coureur d’exception…!
Une présentation de toi en quelques mots ?
« Âgé de 32 ans, je suis originaire de Vendée, là où j’ai découvert le monde de l’ultra, à travers les 100 kilomètres de Chavagnes-en-Paillers. Mais je vis et travaille sur Paris. Mes séances d’entraînement ont pour cadre les quais de Paris ou les bois de Boulogne et de Vincennes. Pas très dépaysant, pas beaucoup de relief, mais on s’y fait ! Paris vide tôt le matin (« il est 5 heures… ») ou rempli de touristes le soir, les différents spectacles offerts par les quais sont sympathiques pour courir.
Niveau sport, étant adolescent, j’ai surtout pratiqué le football et le tennis en compétition. J’ai vraiment découvert la course à pied par hasard à l’âge de 18 ans. Je me promenais dans les rues de Paris lorsque j’ai aperçu une affiche évoquant le marathon de Paris qui se courait… seulement quatre jours plus tard ! Cette course m’a immédiatement tenté. Je suis allé m’inscrire le lendemain (c’était en 1999, à l’époque on pouvait encore s’inscrire la veille !). Résultat, j’ai couru cette épreuve sans aucun entraînement, avec le simple plaisir de courir. Je me souviens m’être retrouvé à l’agonie près de Roland-Garros, avec deux coureurs bien fringants me dépassant en téléphonant à leurs épouses pour les prévenir de l’heure à laquelle ils allaient arriver pour le déjeuner ! Je me suis promis de revenir et de me retrouver dans le même état de forme ! Depuis, je n’en ai raté aucune édition.
Par la suite, j’ai découvert tout un tas de courses, allant des 10 kms aux 6 Jours. Avec à chaque fois des gens passionnés, qui viennent sans faire d’histoire, uniquement pour le plaisir. J’y ai fait tout un tas de rencontres intéressantes et diversifiées, en particulier cette année, où j’ai eu la chance de pouvoir bénéficier des stages proposés par Bernard Faure dans son Périgord natal, ou encore de partir en Australie avec le groupe Kalenji. J’ai aussi participé pour la première fois cette année à des courses de trail, qui sont l’occasion de découvrir de superbes paysages (Trail du Pays d’Argonne, Grand Trail du Saint-Jacques). »
Tu es un vrai passionné d’Ultra, pourquoi cette discipline et depuis combien de temps ?
« Entre 1999 et 2003, je courais chaque année un ou deux marathons. Je m’y étais mis un peu plus sérieusement, en préparant mes courses, et en cherchant à chaque fois à améliorer mes temps. Mais je savais que progressivement j’allais atteindre mes limites et ne plus pouvoir progresser…
En même temps, je reste passionné par l’effort d’endurance, le plaisir de courir longtemps sans se faire mal. Et c’est en 2003, il y a presque 10 ans, alors que j’étais encore étudiant, qu’un copain de promo m’a parlé des distances d’ultras, dont j’ignorais alors jusqu’à l’existence. Et lorsque j’ai entendu parler de ces courses de 100 km et de 24 heures, j’ai très vite eu envie de m’y mettre. C’est ainsi que j’ai couru pour la première fois les 100 km de Vendée cette année-là, dans la foulée du marathon de Paris, avec une petite préparation spécifique sur un mois entre les deux courses. J’en suis ressorti avec un sentiment mêlé de plaisir et d’inachevé : le plaisir d’avoir fourni un effort sur le long terme, d’avoir dépassé certaines limites. Le plaisir aussi d’avoir découvert un milieu très humble, autour de gens partageant une passion commune, des efforts identiques. Un univers calme, sans énervement, avec des coureurs venus de partout, dans la seule envie de se dépasser.
mais aussi un sentiment d’inachevé : après une première course d’ultra, on repense à toutes ses erreurs, qui sont souvent nombreuses, et donc à toutes les progressions envisageables. Et on a alors généralement envie de remettre le couvert très vite ! C’est dans cette optique que j’ai couru les 100 km de Vendée cinq années d’affilée. Toujours dans cette envie d’endurance, d’effort sur le long terme, j’ai ensuite testé les courses horaires : 24 heures…puis 6 Jours ! Et j’ai vraiment découvert des formats de courses qui me plaisaient : tous les concurrents partent et arrivent en même temps, il s’agit de gérer au mieux son effort… Il faut mêler le mental au physique, la motivation à l’activité permanente… Pendant plusieurs heures, plusieurs jours et nuits, tu te déconnectes un peu de la réalité, tu rentres dans une sorte de bulle apaisée, d’effort prolongé, tu puises dans tes ressources, et tu cherches à repousser tes limites toujours plus loin… C’est un sentiment très particulier, qu’il est parfois difficile de faire partager,… L’ultra est aussi un peu une passion égoïste, qu’il faut vivre de l’intérieur pour la comprendre et la partager. »
Quelles sont tes « meilleures perfs » ou disons plutôt celles qui ont été pour toi les plus importantes?
« A chaque fois que je participe à une course de longue distance, je suis surtout motivé par l’envie d’améliorer mon temps. Donc les premières performances que je pourrais qualifier (de façon très personnelle) d’importantes, qui correspondaient à des objectifs personnels, sont celles qui m’ont permis de passer des « barrières mythiques » comme les 3H au marathon, les 10H sur 100 km, ou les 200 km sur 24H.
Ensuite il y a évidemment les meilleurs temps réalisés sur chaque distance, dont je garde de bons souvenirs, comme mes 212 kms lors des championnats de France de 24H à Brive en 2008. Et puis il y a les victoires en course : j’ai eu la chance de gagner à deux reprises les 6 Jours d’Antibes. Et, cerise sur le gâteau cette année, en plus d’Antibes, j’ai remporté mon premier 24 heures il y a tout juste un mois à Marignane. C’est d’ailleurs sur 24 heures que j’ai le plus envie d’améliorer mon score ; j’aimerais pouvoir me rapprocher du score symbolique des 24H, soit des 10 KM/H sur un tour d’horloge…mais j’en suis encore très loin !! »
Demain on te propose un face à face avec Usain Bolt et Kilian Jornet, est ce que tu relèves le défi et sur quel type d’épreuve ?
« Si je veux avoir une chance de gagner, j’ai intérêt à leur proposer…une partie d’échecs !! Parce que niveau course à pied, ils représentent deux autres mondes inaccessibles à mon petit niveau !! Au passage, je remercie Emeline pour sa gentille comparaison lors de son joli compte-rendu des 24H de Marignane ! Mais Usain Bolt, c’est quand même un autre monde ! J’aime beaucoup son détachement, le naturel avec lequel il aborde ses épreuves. Certains pourraient prendre cela pour de la provocation, mais je le trouve très sincère, il apporte une réelle fraîcheur, beaucoup d’exotisme. Il remporte l’épreuve la plus médiatisée aux Jeux Olympiques et reste le même, simple, naturel !
Quant à Kilian Jornet, c’est vraiment le roi de l’ultrafond ! Il participe à des épreuves d’une incroyable difficulté, et les remporte avec une aisance époustouflante. J’aimerais beaucoup participer à des courses comme l’UTMB ou la Diagonale des Fous, mais j’en suis encore au point mort niveau entraînement en côtes (pas facile à Paris, même s’il y a les Buttes-Chaumont). Je trouve ces courses en montagne infiniment plus dures que les compétitions horaires qui se déroulent uniquement sur du plat. Et je n’en suis que plus admiratif des performances de Kilian Jornett. Je suis d’ailleurs convaincu qu’il pourrait exploser tous les records sur des courses de 24 heures ou de 6 Jours. En comparaison des efforts à fournir lors des courses de montagne, les compétitions horaires devraient lui paraître bien plus faciles ! Mais je crois qu’il n’est pas tenté par ce genre de courses, il préfère courir dans des univers plus dépaysants, plus variés et vallonnés. »
Une anecdote ou un bon souvenir que tu pourrais nous raconter ?
« Puisqu’on parle des efforts à fournir lors des épreuves d’ultra, de l’importance du mental, je peux évoquer mes difficultés rencontrées cette année lors des 6 Jours d’Antibes. J’étais arrivé à cette course dans le but de battre mon record (850 kms) et d’atteindre la barre symbolique des 900 kms. Mais il y a quelque chose que je redoute chaque année à Antibes, c’est la chaleur !! Et dès le premier jour, les coureurs ont été prévenus que les températures allaient frôler les 30 degrés tous les jours ! Dès le lundi, il a commencé à faire chaud. J’ai très vite senti que je ne pourrai pas garder le rythme voulu. La barre des 900 kms s’envolait…Et après même pas 24 heures de course, j’avais déjà des ampoules ! Une douleur au pied s’est réveillée… Bref… Je n’avais plus envie de continuer. J’ai commencé à le dire à tous les coureurs que je croisais : je n’étais pas bien, j’étais sur le point d’abandonner…
Et en fin d’après-midi, je décidai de m’arrêter et d’aller… à la plage située juste à côté ! Je me suis un peu trempé les pieds, puis je me suis allongé sur le sable… Je commençai à envisager une semaine de vacances, farniente, sous la chaleur d’Antibes ! Et c’est à ce moment-là que j’ai eu droit à ce qu’on appelle la solidarité entre coureurs. Beaucoup d’entre eux sont venus m’encourager, me remotiver, en me conseillant de ne pas laisser tomber. C’est d’abord Gérard Cain, l’organisateur, qui m’a littéralement secoué ! Il m’a dit que ce serait stupide d’arrêter aussi vite, que mes problèmes étaient plus dans la tête que physiques, et qu’ils ne tarderaient pas à disparaître !!! Il m’a conseillé de repartir doucement en attendant l’arrivée du kiné dans la soirée.
Puis c’est Pierre-Michael Micaletti, tout auréolé de son récent record du monde sur tapis roulant, qui est venu me glisser quelques mots d’encouragements. Il m’a conseillé de repartir prudemment, de me remotiver avec de nouveaux objectifs, même si mes ambitions de faire plus de 900 kms étaient revues à la baisse. Et en me voyant revenir, tous les coureurs ont eu un mot sympa à mon égard. En plus, j’ai eu droit en même temps à la visite surprise d’un vieux copain de Sciences-po, qui travaillait au même moment sur Nice. Il n’était pas venu dans le but de me voir faire bronzette !!
Le soir même, le kiné ne m’a pas interdit de continuer, tant que la douleur ne s’aggravait pas. Et après ces quelques heures de cogitation, j’ai repensé à la course. J’étais encore bien placé au classement, je pouvais toujours viser un bon score, près de mon précédent résultat en 2010. Une fois ces motivations revenues, je n’ai plus jamais eu envie de m’arrêter, et les difficultés se sont estompées jour après jour. A la fin, même si je n’ai pas dépassé les 900 kms, j’ai quand même battu mon record personnel, malgré ces tracas de début de course !
Comme quoi, ces courses d’ultra demeurent avant tout des épreuves mentales, avec des hauts et des bas, où il ne faut jamais renoncer, car il est toujours possible de se reprendre ! Il s’agit de mettre en exergue notre motivation, notre capacité à puiser au plus profond pour endurer, résister au-delà de la douleur, et découvrir un certain bien-être dans l’effort. Au passage, je profite de cette anecdote pour m’excuser auprès de tous les coureurs qui la liraient ; certains ont dû me prendre pour une girouette : le lundi après-midi, je parle d’abandonner, puis je suis en tête de la course deux jours plus tard… la prochaine fois, je garderai mes états d’âme pour moi !! En tout cas, aucun coureur ne m’a fait le moindre reproche, la moindre remarque négative, ce qui montre le bel état d’esprit qui existe dans ces courses. Il y a de grandes solidarités entre coureurs. L’entraide passe avant l’esprit de compétition, même si chacun vient pour se surpasser. »
Pour 2013 as-tu défini tes objectifs et quels sont ils ?
« Selon toute vraisemblance, je pense que je vais repartir pour une nouvelle édition des 6 Jours, sur le nouveau circuit des Lucs en Provence, au mois de mai prochain. Je ne te cache pas que mon objectif sera à nouveau de passer cette fameuse barre des 900 kms !! Juste avant, j’aurai couru comme chaque année le semi et le marathon de Paris. Et, amis marseillais, au mois de mars, nous nous croiserons peut-être sur le semi-marathon de Marseille : je travaille au sein d’un groupe bancaire qui organise chaque année deux compétitions internes de course sur route et de trail. Et cette année, ce sont nos collègues marseillais qui organisent la compétition sur route à l’occasion du semi-marathon.
Après les 6 Jours, je fais toujours un break nécessaire de 2-3 mois. La deuxième partie de saison reste à définir. Je sais déjà que je participerai au marathon de Berlin ; j’aimerais essayer d’y battre mon record, car il paraît que le parcours est l’un des plus rapides au monde. Et si j’en ai le courage, j’essaierai peut-être d’enchaîner ensuite avec un 24 heures ou un 100 km, mais cela reste à définir… Enfin, sur un mode plus « touristique », j’ai prévu quelques marathons en dilettante entre amis, soit le Médoc, soit à l’étranger, à Amsterdam ou à Athènes… Et probablement un trail, peut-être celui de l’Aubrac organisé par mes amis de Kalenji. »
Un petit conseil pour celles et ceux qui aimeraient bien tenter un Ultra ?
« Le principal conseil que je peux donner, c’est d’y croire et de se faire plaisir. Rien n’est impossible dès lors que la personne tente l’épreuve avec envie. Il ne faut pas se faire une montagne de la distance. L’ultra est accessible à tout le monde, quels que soient le niveau et la préparation de chacun. Chaque personne a ses forces et faiblesses, mais on retrouve autant de plaisir chez la personne qui courra 100 kms en 24 heures que chez celle qui atteindra les 200 kms dans la même durée.
Et un dernier point : ne pas renoncer en cas d’échec. Ce qui est bien dans l’ultra, quand on se refait le film de notre course, surtout la première fois, c’est que les marges de progression sont infinies. L’âge n’est pas un obstacle, on apprend de ses courses précédentes, et on progresse vite. Par exemple, entre mes deux premiers 6 jours, j’ai progressé de 100 kms. Je conseillerais à tout le monde de courir au moins deux ultras avant de se faire une opinion forgée : le premier pour découvrir, et le second pour constater la capacité à progresser rapidement. C’est à partir de cette deuxième course que la dynamique s’enclenche souvent, et que la personne réalise si ce sport est fait pour elle ou non. Et le plus souvent, les coureurs sécrètent alors un plaisir sans cesse renouvelé ! »
Le mot de la fin ?
« Je ne vais pas être très original, mais puisque nous sommes en période de vœux, j’en profite pour souhaiter une très bonne année 2013 à tous les passionnés de l’ultra et à tous ceux qui découvrent cette belle discipline. Tous mes vœux d’épanouissement, surtout sur les plans personnels et professionnels, car il ne faut pas oublier que nous sommes tous des coureurs amateurs et que la course reste une passion secondaire, qui ne doit pas prendre le dessus sur d’autres aspects de la vie.
Donc santé, bonheur, et amour avant tout !! Et puis, quand même, un maximum de kilomètres de plaisir ! »
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