Sur l’Île de la Réunion, le « Grand Raid » débute ….. sitôt le précédent terminé!
Suivi de la ferveur grandissante à l’approche du jour tant espéré et attendu.
En mars, le rush pour l’inscription avec une première joie pour les élus, (1000 places pour les non Réunionnais) une déception pour les malchanceux … et une possibilité de se consoler sur le Trail Bourbon ou le Mascareignes, les 2 petits frères du GRR. La semaine qui précède, la publication dans le journal local de la photo des 2700 inscrits fait monter la pression ;-). Mercredi 17 octobre, sur le stade de la Redoute, la remise des dossards rend les concurrents impatients !
Jeudi 18 octobre, 22h, heure locale, Saint Philippe, Cap Méchant, dans une ambiance digne du Tour de France, plus de 2700 ultra trailers se préparent mentalement à parcourir les 170 km de la Diagonale des Fous et à affronter les 10 800m de D+ annoncés. Un 20ème anniversaire préparé par les organisateurs pour que cette édition reste gravée dans les mémoires, avec une distance et un dénivelé jamais atteints à ce jour et la montée du mur du Maïdo plus de 120 km après le départ (+ de 1000m de D+ sur 6km)…
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Menacée pendant plusieurs jours par l’arrivée d’un premier cyclone, Anaïs, (exceptionnelle à cette période de l’année), cette 20ème édition a finalement pu se dérouler sans modification de parcours (crainte d’une montée des eaux dans les ravines traversées), ni de date (envisagée un temps pour éviter le gros des pluies) : il était clair par contre que cette édition serait arrosée et …. elle le fut !!! Ne sachant pas trop évaluer mon niveau de forme, victime d’une entorse du genou 1 mois avant le début du Grand Raid, je suis parti très (trop ?) prudemment et …. je me suis rapidement retrouvé dans la file Indienne qui monte vers le volcan (2600m D+)… La pluie, chaude au niveau de la mer puis de plus en plus fraiche à l’approche du sommet, a accompagné les Grands Fous = après 35 kms et 2600m de D+ au sommet du Volcan (Piton de la Fournaise), le ton était donné … de la pluie, de la boue, le froid …. la soupe chaude, et des chaussettes sèches étaient donc les bienvenues.
Au sommet, une sensation curieuse et inattendue en tout cas aussi précocement: une sensation de grande fatigue, une envie de dormir très forte à tel point que je ne parvenais même plus à marcher droit …. je titubais … pas très bon signe compte-tenu des difficultés qui m’attendaient. Au ravitaillement la présence de mes proches (ma maman, mes nièces, ma Chouquette) m’a instantanément redonné de l’énergie et le sourire.
Puis une mauvaise nouvelle m’a d’abord effondrée, puis sur-motivée: mon frère, Philippe, qui était pourtant lui au top de sa forme, venait d’être victime d’une grave entorse de la cheville et transporté en hélicoptère depuis Foc Foc vers l’hôpital de Saint Denis. J’avais une motivation très personnelle pour aller au bout, la blessure de mon frère la renforça, je courais maintenant aussi pour lui. Après avoir refait surface, j’aperçus mon amie Agathe, du Marseille Trail Club, avec qui nous avions traversé la Corse en juillet en préparation. Pour Agathe c’était sa première Diagonale et une volonté forte de finir. A partir du Volcan, je l’accompagnais pour l’aider à, traverser les petits moments de doutes que génèrent nécessairement ces ultras. Et notre binôme a bien fonctionné dans des conditions particulièrement difficiles car du Piton de la Fournaise jusqu’à Cilaos (km 72 / 4000m de D+ cumulés), nous avons traversé des terrains boueux, donc glissants, et gorgés d’eau, avec des risques pour nos pieds. Descente vers Piton Textor, puis Mare à Boue, qui portait plus que jamais son nom. A Mare à Boue où je suis arrivé accompagné de Jimmy, le king de la tchatche 😉 un premier ravitaillement pour requinquer la machine. Soupe, riz poulet, coca des fruits secs et un premier changement de chaussettes car les pieds étaient déjà fripés en profondeur.
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Après Mare à Boue, Direction le Gîte du Piton des Neiges, toujours dans la boue … et une ascension (1000m de D+ sur 12 km) qui semble sans fin et qui décourage pas mal de coureurs de notre groupe. A 2500m d’altitude, nous sommes frigorifiés et nous ne nous attardons pas. Nous redescendons aussi vite que possible vers Cilaos (près de 1300m de D- sur 8 km !). Une descente qui fait mal aux genoux et qui laisse des traces. J’arrive quelques minutes devant Agathe et j’en profite pour prendre une bonne douche ….. glacée ! brrrrrrrrrr. En retirant chaussures et chaussettes nous constatons les dégâts: ampoules sur quasiment tous les orteils, sur la plante des pieds, crevasses … bref impossible de repartir dans cet état et nécessité absolue de passer voir le podologue. Vues les conditions météo, nous n’étions pas les seuls dans cette situation. Une attente annoncée de 200 chez les podologues de Cilaos !!! bref, un rapide calcul à faire pour vérifier si nous pouvions arriver dans les délais à l’étape suivante (avant 3h du matin dans le cirque de Mafate à Marla). Après une petite négociation, Agathe nous a permis de gagner quelques précieuses minutes. Nous en sommes ressortis des « poupées » de sparadrap sur les 10 orteils et les pieds « momifiés ». Ensuite direction repas chaud pour recharger les batteries.
Cilaos, c’est chaque année le carrefour de la Diagonale, celui ou le risque d’abandon est le plus élevé pour les moins bien préparés (déjà plus de 70 km dans les jambes, le froid, la nuit, les doutes, le confort du stade de Cilaos, la présence des proches ou amis sur le Stade. Bref choisir entre le retour vers un nid douillet ou …. les pentes abruptes du Taïbit puis la fraicheur du cirque de Mafate …. Pour Agathe et pour moi, une fois les pieds réparés, aucun doute malgré la fatigue et les douleurs, notre motivation de finir était forte et seule une blessure sérieuse aurait pu nous contraindre à nous arrêter là. Un petit souci non traité pour moi: 2 ampoules sous les ongles des gros orteils …. très douloureuses, surtout chaque fois que le pied rencontrait une pierre.
A partir de Cilaos, nous avons commencé à regagner régulièrement des places en gardant toujours à l’œil le chrono pour arriver à l’étape suivante avant la barrière horaire (4h du matin pour Marla): dans la montée du Taïbit, Agathe m’a annoncé sa forte envie de dormir un moment. Je l’ai convaincue (avec difficulté de tenir jusque Marla, à mi parcours et mi dénivelé (85 km / 5370 m de D+ cumulés) ce qu’elle a réussi à faire. A Marla, au cœur du cirque de Mafate, un riz saucisse, de la soupe chaude et une quantités de bananes séchées pour recharger les stocks, puis un petit somme d’une heure pour Agathe dans une couverture de survie. Pour moi une « sieste » de 15’ également « au chaud » ( Marla est situé à 1600m d’altitude et … brrrrrrrrrr !)
Vers 3h nous repartons, avec un groupe d’une vingtaine de coureurs, en direction du Sentier Scout pour y chercher la chaleur et lumière du jour. Sur le parcours, nous rencontrons de la boue, des rondins de bois glissants (Bras Machine, Plaine des Tamarins, puis une incursion dans le Cirque de Salazie de la montée du Col de Fourches au Sentier Scout). Le vrai bonheur sur ces épreuves qui s’étalent sur plusieurs jours, c’est … le lever de soleil. Quand le jour se lève, l’énergie qui s’était endormie dans l’obscurité, renait, faisant presque oublier 😉 la fatigue due aux efforts de la veille !
Pour nous le soleil est réapparu peu après le passage au Col de Fourche, juste avant le retour dans le cirque de Mafate et l’arrivée sur le chemin (encore) boueux du Sentier Scout. Ensuite, la journée allait être longue et difficile avec le Maïdo en guise de cerise sur le gâteau, encore près de 5000m de D+. La Plaque, puis au pied d’Ilet à Bourse où nous croisons Pauline, enfant handicapée, portée sur une joëlette de l’Association Run Handi Move, qui sourit en entendant les encouragements …. de l’EMOTION. Puis la montée vers Ilet à Bourse me donne l’occasion de voir ce qu’il me reste dans les quadris pour finir un peu plus rapidement…et après plus de 100 km, une bonne surprise, mes jambes ont très envie de grimper (Agathe aussi d’ailleurs !).
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A Grand Place, un passage chez les infirmières pour …. les pieds, encore et toujours … avant d’attaquer la Roche Ancrée, sous un soleil de plomb, puis la remontée vers Roche Plate (900mD+). Une remontée au sein d’un bon groupe de « grimpeurs » et dans une bonne ambiance. A l’arrivée à Roche Plate, je recharge les batteries et j’absorbe tout ce que je trouve (sucré, salé, mixte etc ….) en attendant Agathe car je sais que derrière arrivent la Brèche et le Maïdo (+ de 1000m de D+) en plein soleil également. La barrière horaire étant fixée à 19h au sommet du Maïdo, je monte au max de mes possibilités jusqu’à rejoindre un groupe qui grimpe dans un tempo qui me va bien. Au sommet (2030m) il fait froid, je recharge à nouveau toutes les batteries (soupe, biscuits salés, bananes séchées) et je passe chez le podologue pour une révision des orteils . 30’ plus tard Agathe rejoint à son tour le sommet et se requinque, soutenue par son amie Anne, puis nous redescendons vers l’Ecole sans Souci. La descente est annoncée en 3h et nous formons rapidement une colonne d’une vingtaine de coureurs, à la recherche de l’Ilet Alcide de cette Ecole sans Souci …. Le temps passe, Agathe soufre du dos et doit régulièrement s’étirer, moi je ne sens plus mes pieds, ni …. La fatigue ! La descente est interminable et glissante. Au loin nous finissons par entendre les hauts parleurs qui nous annoncent que nous sommes dans la bonne direction mais à quelle distance ??? Le temps presse car la barrière horaire est fixée à 23h et il reste à peine 2h pour descendre 750m de D- sur une faible pente traversée de rondins glissants. J’accélère et j’arrive à l’Ecole Sans Souci (134km) dans les délais. Là j’ai la surprise de retrouver mon frère, ma maman, ma Chouquette, de quoi retrouver instantanément le sourire, même en état d’épuisement avancé ! Brossage de dents, déodorant (pas superflu !!!), un petit massage de pieds, un changement de lampe frontale et zou ! c’est reparti.
Je ne vois pas Agathe mais étant à la limite des délais, je décide de partir, espérant la revoir en « finisher » à l’arrivée !!!!. J’étais décidé à donner toute l’énergie qui me restait voire plus, pour finir et remonter quelques places (j’allais en remonter 400 entre Sans Souci la Redoute). Une petite boucle jusque « Halte là » où je retrouve mes proches sur le Stade pour refaire le plein (Riz saucisses, boissons …), podologue, changement de chaussettes …. Puis c’est reparti pour les 35 « derniers » kilomètres …dans la descente du Chemin Ratineau, accroché aux arbres sur une pente glissante où se sont joints à nous les concurrents du Trail Bourbon, je hurle à chaque foulée, mes pieds sont à vifs, les ampoules sous mes gros orteils me font souffrir…..
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Je passe le pointage Chemin Ratineau Kaala dans les délais (avant 2h) puis c’est le black out... un énorme coup de pompe, une sensation jamais éprouvée jusque là … après 60h sans sommeil, 148 km et 9500m de D+ … Mon corps et mes jambes avaient un but = redescendre à la Possession pour y pointer avant 7h …. Mon esprit ne pensait qu’à une chose, devenue obsessionnelle, se reposer … J’étais devenu d’une part un corps (saint 😉 et d’autre part un esprit ….. Incapable de suivre les coureurs de mon groupe, je me suis posé sur un rocher, la tête entre les mains avec une peur, celle de m’endormir et de ne pas me réveiller dans les délais …. Plusieurs fois j’ai demandé la route pour redescendre vers la Possession mais incapable de suivre …. j’ai du renoncer …. jusqu’au moment où Theo a croisé ma route, je lui ai expliqué mon état de fatigue extrême et il m’a immédiatement proposé de me guider vers la Possession avec une bienveillance incroyable. Je ne sais pas ce qui s’est passé à ce moment là dans ma tête … un déclic ? mais je suis descendu avec lui au radar, comme un boulet, dans sa foulée, au milieu des galets, oubliant complètement mes douleurs et ma fatigue.
Arrivés à la Possession à 4h30, le plus dur était alors fait. Il nous restait à retrouver nos esprits, à manger ce qui nous tentait, puis à reprendre la route pour les 20 derniers kilomètres, direction la Grande Chaloupe puis le Colorado et la Redoute. Et toujours alerte, 24h/24, ma Chouquette souriante et prête à nous redonner le petit coup de booster décisif !
Avant de partir de la Possession, Théo m’a demandé si j’avais envie « d’envoyer », affirmatif ! Nous sommes alors partis sur les pavés taillés dans la lave du Chemin des Anglais avec le sourire et une énergie que je ne soupçonnais plus. Un vrai moment de bonheur avant même l’arrivée ! A la Grande Chaloupe (157ème km / 10 000m D+), les encouragements de mes proches ont remis du charbon dans la machine 😉 et Théo et moi avons ainsi remonté plusieurs centaines de places puis Théo, plus frais que moi s’est envolé vers la Redoute. Colorado, puis la descente vers le Stade de la Redoute avec ses virages interminables qui finissent d’achever mes pieds mais …. avec le sourire d’un « Fou » car le Stade et sa ligne d’arrivée se rapprochent …une émotion forte, très forte …. je voulais absolument franchir la ligne d’arrivée de cette Diagonale pour mon papa qui aurait tant voulu venir se réchauffer à la Réunion avant de partir et pour mon frère qui a du renoncer dès le 6ème km après une sévère entorse de la cheville …
A l’arrivée, j’apprends une triste nouvelle, le décès d’un concurrent, Laurent DELAPREZ, membre comme moi du Marseille Trail Club, après une chute au Col de Fourche (Cf: article). J’ai bien entendu une envie incroyable de dormir, une sensation d’épuisement après ces 65 heures sans sommeil, ces 170 kms parcourus (175 voire 177 selon certains GPS), ces 10 800m de D+ …) et une envie de remercier mes proches qui m’ont accompagné pendant près 2 jours et 3 nuits, ma maman, mon frère, ma Chouquette, et Agathe et Théo avec qui j’ai fait des bons bouts de chemin.
Une envie aussi de revenir goûter à cette ambiance unique, l’année prochaine ou les suivantes ( ?) mieux préparé cette fois, pour ne pas avoir à calculer en fonction des barrières horaires 😉 Dès l’arrivée, une remise à neuf à la Croix Rouge où l’infirmière prend en charge mes pieds (eh ouiii encore !). me perce les ampoules sous les ongles des gros orteils pour soulager enfin ma douleur …. pendant que … je m’endors en quelques secondes ! …. ensuite un besoin de repos et de chaleur
Et de …. VACANCES ! 😉