Daniel Komen est l’un des kenyans que vous auriez pu voir briller au milieu des années 90, et oublier ensuite…
Comme tant d’autres me direz-vous. Ils sont rares les Paul Tergat ou les Haile Gebreselassie qui ont poursuivi leur carrière sur route, sur deux voir trois décennies différentes. Komen est bien une des étoiles filantes qui a brillé un jour dans le ciel de l’athlétisme. Mais il a brillé tellement fort qu’il a laissé sa trace, avec 3 records d’extraterrestre : 7’20″67 sur le 3000m en extérieur, 7’24″90 sur le 3000m en intérieur, et 7’58″61 sur le 2 miles ! Des marques qui n’ont pas été approchées…
Une histoire somme toute banale qui débute le 17 mai 1976: celle d’un enfant issu d’une famille pauvre au Kenya. Ses parents habitaient une hutte dans la campagne éloignée, sa mère vendait des pommes de terre sur le bord de la route. Comme beaucoup des enfants de la Vallée du Rift, il se déplaçait en courant. 6 miles le matin pour rejoindre son école, et 6 miles le soir pour rentrer chez lui ( 1 mile = 1609m). Il n’a pas vraiment couru d’épreuves officielles jusqu’à la fin de son adolescence, où il se révéla immédiatement comme un talent exceptionnel. Il savait qu’il venait d’une famille très pauvre et qu’il devait se sortir de cette situation. Il savait courir et ne se fixait pas de limite.
Il battait nettement ses jeunes compatriotes à l’entrainement et en compétition. Un ancien coureur devenu « chercheur » de talents, Joseph Cheshire, qui travaillait pour l’agent anglais Kim McDonald, lui conseilla d’emmener le jeune Komen en Europe. Lui qui n’avait jamais quitté le Kenya, goûta à sa 1ère course au Canada à Vancouver : une course sur route de 8km qu’il gagna avec en prime le record du monde junior (22’35). C’était en avril 1994. En juillet, il devenait double champion du monde junior du 5000m et du 10 000m. Il ne réussit pas à battre le record du monde du 5000 (12’56 pour Komen) que son compatriote Moses Kiptanui avait porté à 12’55″30. Ce dernier devint alors un modèle pour Komen, qui ne connaissait rien au professionnalisme. Il savait que pour s’en sortir, plus il courrait, plus il ramènerait de l’argent chez lui. Arrivé dans le groupe de McDonald en 1996, il demanda à courir le plus souvent possible. Mais c’était la période des Jeux et il fallait se qualifier lors des sélections kenyanes… où il termina 4è. Non qualifié pour les Jeux d’Atlanta, il avait tout le temps de faire un maximum de courses. Il débuta ainsi une incroyable série de performances sur 2 ans, qui n’a jamais été reproduite depuis.
Il débuta sa saison sur un double-miles en Suède, où il pulvérisa le record du monde d’Haile Gebreselassie, avec un temps de 8’03″54. Moins d’un mois plus tard à Monaco, il s’approcha de 5 centièmes du record du monde du 3000m de Noureddine Morceli en 7’25″16. Il ne savait pas qu’il était à deux doigts du record du monde. Il ne connaissait pas vraiment les records, il courrait juste « aussi dur que possible ». Il ne connaissait ni le stress, ni la pression. Il ne savait pas ce que c’était que d’être nerveux avant une course. 4 jours plus tard, il livrait une superbe bataille avec Gebreselassie sur un 5000m, où il gagna en échouant à moins d’une seconde du record du monde de « Gebre » en 12’45″09. Puis en peu de temps, il abaissa son record sur 15000m (3’34″17), puis pris part à un 3000m (7’25″87) et à un 5000m (13’02).
Malgré une possible fatigue de Komen, McDonald monta une course pour battre le record du monde du 3000m à Rieti en Italie… Une des meilleurs courses jamais vues! Avec des lièvres de kenyans de 1er choix, les temps de passage complètement fou faisait rire les commentateurs : 1’57 au 800m, 3’54″7 au mile… et Daniel Komen qui poursuivit seul son effort! Il ne faisait plus rire personne, et boucla un époustouflant 7’20″67, soit 4,5s de mieux que le record de Morceli ! Une marque qu’il détient toujours, avec la performance de 7’24″90 en intérieur, que seulement 2 personnes ont pu dépasser en extérieur, c’est dire… Ni El Guerrouj ni Bekele n’ont réussi à faire mieux. A la fin de la saison estivale, il fit une pause mais recouru par la suite aussi souvent que possible. L’année suivante, il repartit de plus belle. Il vint en Belgique pour battre le record du 2 miles de Gebreselassie. « Quelle tactique adopterez-vous? » lui demande-t-on en conférence de presse. Komen n’aime pas vraiment parler. Il répond simplement : » un soldat ne discute pas de sa tactique avant de partir batailler « . De tactique,il n’en avait jamais eu. McDonald lui avait prévu une tactique pour la course, qu’il rejetta. » Dis moi juste si je dois aller plus vite ou moins vite » dit-il. Le record tomba : 7’58″61, seul coureur à ce jour en dessous des 8 minutes.
Par la suite, il abaissa son record du 1500m à 3’29″46, celui du mile à 3’46″48, avant d’aller piquer un autre record du monde à Gebreselassie: 12’39″74 au 5000m (que Gebre reprendra par la suite). Puis l’hiver qui suivit, il établit son record du monde indoor du 3000m (7’24″90), qualifié de « Mont Everest » de l’athlétisme. Début 1998, il obtient une médaille d’argent aux championnats du monde sur cross court en Australie.
Puis la chute commença, de façon imperceptible au début. Mais il commença à négliger son entrainement. Il savait qu’il était le meilleur. Et puis, il était déjà un rebelle en quelque sorte et plutôt individuel. Même pendant les entrainement de groupe, où il écoeurait ses jeunes compatriotes. Il commençait à dépenser l’argent qu’il avait gagné. Il estimait avoir durement gagné son argent et ne se voyait plus souffrir comme il l’avait fait. Il se contentait de ça, des victoires et du succès financier… Alors que quelqu’un comme un Kiptanui aimait réellement courir. Des agents ont bien essayé de le relancer sur route au début des années 2000. Un coup il était présent (et gagnant), un autre coup il n’était pas au départ… Il s’est retiré au Kenya aux dernières nouvelles. Selon les standards du pays, c’est un homme aisé. Il est président de l’association « Keiyo North Rift Athlétics » et co-directeur de l’école privée de sa femme.
« Je ne sais pas s’il a le moindre regret de n’être jamais allé aux Jeux Olympiques, ou autre… » rapporte le journaliste Ratcliffe. » Je pense qu’il est heureux comme ça ».
Mathieu BERTOS
D’après la lecture de l’article « What ever happened to Daniel Komen? », paru le 13 mai 2011 dans le site « running.competitor.com »
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