La course à pied est-elle le plus beau des efforts solitaires ou la plus belle des aventures collectives ? Surement un peu des deux !
Seul on va parfois plus vite mais à plusieurs, on va plus vite et surtout plus loin !
De la politique au running
Jomo Kenyatta a été et restera la figure emblématique du Kenya ! D’abord élu Premier ministre du pays en juin 1963, il en proclame l’indépendance le 12 décembre de la même année avant d’en devenir le premier président de la République jusqu’à sa mort en 1978.
Le Kenya doit à Jomo Kenyatta un état d’esprit, un concept, devenu la devise du pays : Harambee! Littéralement, Harambee signifie « agir ensemble » en swahili. Suite à son indépendance, le président a voulu insuffler à son pays l’idée selon laquelle il est indispensable que tous puissent et doivent travailler ensemble pour construire une nouvelle nation !
Un athlète kenyan, Stephen Ndungu (record personnel de 2 h 09 min 54 sec sur marathon), raconte d’ailleurs : «Harambee signifie tirer ensemble comme un groupe. Lors de l’indépendance du Kenya, le président a parlé du fait qu’une personne ne peut rien faire toute seule…Rien ne peut être réalisé sans le groupe » (1).
L’état d’esprit Harambee « est désormais dans l’athlétisme. Nous nous entraînons en groupe. Nous courrons comme un groupe et pas comme un individu » précise-t-il. Au Kenya, les coureurs ne courent ainsi presque jamais seuls comme l’indique l’ancien international français Bob Tahri : « Là-bas, tout se fait en groupe. Quand vous avez été habitué tout le temps à ça, vous ne concevez pas de vous entraîner tout seul. »
S’entraîner en groupe est un des secrets
Harambee est l’état d’esprit qui fonde l’attitude des coureurs kenyans ; et même leur réussite ! Quand on lui demande ce qui fait que les kenyans sont les meilleurs, Caroline Rotich (5 victoires sur marathon) répond : « Harambee. S’entraîner ensemble comme un groupe » (2). Ismael Kirui (double champion du monde du 5000m 1993 et 1995) la rejoint dans ses déclarations : « on doit s’entraîner ensemble. Après ça, on sait que le Kenya est imbattable » (3).
L’Harambee spirit, le fait de s’entraîner en groupe est une vraie plus-value pour tous les coureurs. Déjà, comme le dit Bob Tahri, « quand vous vous entraînez en groupe, vous vous posez moins de questions. Même si vous n’avez pas envie d’aller vous entraîner, ça stimule, vous suivez le groupe. Alors que quand vous êtes tout seul, et que vous n’avez pas envie, c’est difficile d’y aller ».
Ensuite, c’est qu’ensemble, tout devient possible, tout devient réalisable puisque l’entraînement en groupe permet de partager la douleur, en faisant moins sentir la fatigue individuelle, celle-ci étant en quelque sorte divisée ou plutôt partagée entre les coureurs ; et en réduisant l’effort mental du coureur amenant au contraire le maximum effort physique (4).
Pour Richard Chelimo, ancien détenteur du record du monde du 10000m (27 min 07 sec 91 en 1993) « tu ne peux pas devenir un athlète international si tu t’entraînes tout seul, tu as besoin de la compagnie d’autres coureurs qui puissent te pousser quand tu es fatigué » (3).
Cette émulation profite aux plus jeunes qui vont se former à travers l’observation et l’imitation des meilleurs en s’entraînant avec et comme eux ; mais aussi aux champions ! Tous les jours, l’émulation est de mise et l’entraînement devient un peu une compétition de chaque instant.
Bob Tahri confirme : « Quand tu t’entraînes au Kenya, c’est la bagarre, c’est le jeu, c’est la survie dans l’effort. Tu t’accroches, tu te bas. » Les meilleurs se mettent généralement en tête afin d’imposer leur rythme, tester les autres coureurs voire essayer de les distancer. Sammy Korir (7 victoires sur marathon) résume bien ce qui devient un cercle vertueux : « les jeunes défiaient les vieux dès leur arrivée, et ensemble se poursuivait l’indispensable chemin pour rester compétitif au niveau mondial. Je suis convaincu que ce système est fondamental pour faire des kenyans les piétons les plus résistants sur cette terre » (4).
En plus, quand on voit le pedigree des coureurs qui composent chaque groupe, on peut facilement imaginer la difficulté que peut représenter chacun des entraînements en groupe. « Quand je m’entraînais là-bas, il m’arrivait de courir avec un groupe où il y a 20 mecs de mon niveau, forcément, ça stimule » précise Bob Tahri.
La course : un sport d’équipe
Fidèles à leur état d’esprit, le Harambee, les kenyans considèrent la course à pied comme un sport d’équipe : « nous kenyans, nous allons de l’avant, nous nous aidons et nous nous défions sur le rythme de course » racontait Paul Tergat, entre autres quintuple champion du monde de cross-country (1995 à 1999) et ancien recordman du monde du 10000m, du semi-marathon et du marathon (4).
Pour eux, c’est mieux de courir en groupe et de s’aider ; à l’entraînement comme en compétition. Puisque finalement, c’est surtout ça le Harambee spirit, travailler ensemble, coopérer et s’aider ! Cet état d’esprit est aujourd’hui porté par les champions kenyans qui essaient de soutenir la population locale et le mouvement running au Kenya, chacun à leur façon. Kip Keino, médaillé d’or olympique du 1500m en 1968 et du 3000m steeple en 1972, a par exemple créé un centre d’entraînement avec le soutien financier du Comité International Olympique.
Quelques un supportent leur propre groupe de coureurs en leur fournissant notamment le logement, la nourriture, du matériel et/ou le coaching. Comme dit l’ancien recordman du monde du marathon Dennis Kimetto : « ils sont comme j’étais dans le passé et je sais combien il est important d’être aidé au départ » (6).
Par Jérôme Sordello
1-http://mktdc.com/train-with-champions
3-Toby Tanser. More Fire How to Run the Kenyan Way. Westholme Yardley. 2008
4-Gabriele Rosa. Correre la vita. Sulla storia della maratona contemporanea. Il Melangolo. 2014
5-Jean Ammann. http://iframe.yanoo.net/news/2664-.html
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