La question risque de faire réagir ! Ceux qui diront « c’est clair qu’ils le sont ! », ceux qui penseront « après tout, les gens font ce qu’ils veulent », et les concernés qui diront peut-être « oui, et alors ? ».
Bien sûr, on va poser les choses plus calmement. Premièrement, constater que le phénomène de l’ultra long est en croissance, vu le nombre d’épreuves qui se multiplient, et celles qui sont ajoutées à un programme où il n’y en avait pas. L’intérêt est présent, clairement.
Dire aussi ce que cela implique d’organiser des épreuves très longues : des parcours plus longs à tracer ou à répéter, des bénévoles qui ont encore plus de charge de travail, la sécurité accrue que cela nécessite, les frais matériels, de chronométrage et de présence des prestataires, de la fatigue en plus (pour les coureurs, certes) pour TOUS…
Le long, une fin en soi ?
Les distances courtes, c’est violent, c’est cash. Il faut faire preuve d’une extrême détermination pour des gains de quelques secondes, quelques fois. Se tourner vers le long, c’est essayer de faire preuve de courage, et de se dire qu’avec la volonté, on peut y arriver. L’allure, je la tiens, mais est ce que je peux y arriver longtemps ? C’est tout le défi qui se présente à soi…
Les athlètes, une fois qu’ils se sentent buter contre la vitesse, aiment bien voir si durer est aussi possible. Courir longtemps, c’est moins violent, on se sent plus volontiers de tenir sur la durée, avec les valeurs de courage, d’abnégation, de ressources mentales. C’est l’aventure intérieure !
Du coup, est ce vraiment une fin en soi ? Ne peut-on pas être heureux autrement ? Prouve-t-on plus de choses, plus de valeurs personelles en ressortant « vainqueur » (finisher) d’une épreuve insensée ?
Le bonheur de courir est l’alignement entre les sensations que l’on souhaite éprouver et l’accord de nos envies profondes. Courir longtemps n’est donc pas une fin en soi. On peut trouver son bonheur sur le court, ou via de simples footings…
L’ultra, de la folie ?
Passer son temps à courir, passer des heures à s’entraîner, et s’aligner sur du long, c’est sûrement un peu de folie, par rapport aux vies que nous menons. C’est aussi une échappatoire… par rapport à cette folie quotidienne, non ? Les excès entraînent les excès de compensation.
Concrètement, l’ultra flirte avec les limites de l’épuisement physique et émotionnel. Un corps qui ne répond plus et qui ne demande que le sommeil, est-ce sain ? Les hallucinations liées nous mettent-elles en danger ? Sans doute… Et que dire de cet épuisement physique qui nous conduit quelques fois à l’hôpital, à entreprendre plusieurs jours / semaines de repos. Le corps a de la mémoire. Le bonheur physique des sensations est marqué dans le cerveau. La douleur physique s’oublie mais reste présente dans la chair.
L’expérimenter une fois… ok, l’humain a toujours voulu voir ce qu’il y avait à la frontière du réel, du palpable. Mais pratiquer régulièrement tout en connaissance de cause, de quoi cela relève-t-il ?
La quête reste personnelle. Se prouver des choses à soi-même, courir pour quelqu’un, disposer des capacités de son corps… Chacun est responsable de sa vie, de son enveloppe, et de ce qu’il met sur la table. Ce n’est clairement pas raisonnable… Mais, où se situe la frontière du raisonnable, et de la folie ?
Par Mathieu BERTOS / Photo : Facebook Tor des Géants