Je sais, on commence déjà à parler de la Diag 2022 … ! Mais la mienne, ma première Diagonale des Fous, terminée il y a tout juste 2 mois, celle de 2021 donc, vient tout juste d’être complètement digérée ! :))
C’est donc avec pas mal de recul sur l’évènement que je prends le temps de revenir sur cette folle aventure. Au « paradis » oui, mais un scénario qui a aussi pas mal rimé avec « enfer » !
Pourquoi la Diag ?
Il y a ces courses qu’on fait un peu par hasard, par opportunité, par curiosité. Sans trop les avoir planifiées. En se disant : « allez, allons ! Pourquoi pas ! ». D’autres que l’on a en tête depuis un moment déjà, qui nous attirent, mais auxquelles on résiste avec sagesse, en se disant raisonnablement : « attendons un peu, je ne suis pas prêt, ce n’est pas le moment ! »
Alors on les regarde de loin. On s’en imprègne, on admire les copains qui, eux, y vont. Même parfois sans avoir l’impression d’être vraiment prêts ! Pour nous c’est l’inconnu. Alors on essaye d’imaginer : les parcours, l’ambiance, la chaleur, les moments durs, les moments d’euphorie … ça nous paraît INCROYABLE, SURHUMAIN !
La Diagonale des Fous faisait partie de ces courses là à mes yeux. Tellement exigeante, tellement grandiose, tellement difficile, tellement inaccessible si tu n’arrives pas suffisamment préparé physiquement et mentalement. Mais voilà, l’inconnu et l’inaccessible, ça fait fantasmer ! Mais franchement , 5 ans en arrière, je n’aurais probablement pas imaginé me retrouver au départ du Grand Raid de la Réunion : « pas faite pour ce genre de parcours me disait-on ! »
Et puis j’ai découvert l’ultra-trail en 2018 avec le MIUT (Madère Ultra Trail), et la TDS. Puis, en 2019, j’ai franchi un cap supplémentaire en terme de distance avec mes premiers 100 miles (160km) : UTMF (Ultra du Mont Fuji), et UTMB (Ultra Trail du Mont Blanc). Après ces 4 gros morceaux, je savais que mon corps était capable de. Que je pouvais prendre du plaisir dans la souffrance. Et que donc, un jour, je serai au départ de la tant redoutée DIAGONALE DES FOUS !!!
Dans ma lancée, je la planifie pour 2020. Manque de bol (ou plutôt coup de bol, ça me laisse plus de temps pour me préparer ! ;)), elle est annulée cette année là. Ça fait donc le 2ème acte manqué de venir découvrir cette île (annulation d’un tournage E-MOTION TRAIL avec Ludovic Pommeret après une grosse entorse sur l’Eiger Trail en 2017) ! Un signe ?
L’été 2020, ma vie personnelle bascule. Seule, allégée de tout un ensemble de choses matérielles, me voilà avec quelques valises à la place d’une maison. Déroutant oui. Angoissant même. Plus de repères, plus d’éléments qui rassurent, qui stabilisent. Dans ces moments là, soit tu t’effondres, soit tu prends ton destin en main ! Je choisis la seconde option et il m’apparaît comme une évidence que La Réunion doit être le lieu de cette reconstruction.
Ça sera le début de ma « nouvelle vie » ! Débarquer seule avec ses valises et laisser derrière soi un gros chapitre de sa vie – « 10 ans de nous 🎵 »- n’est pas une décision simple à prendre. Je vous assure ! Même sur une île paradisiaque. Et avoir ce projet « Diagonale des Fous » en ligne de mire, a été d’une grande aide pour définitivement tourner cette page et ouvrir la nouvelle !
Voilà pourquoi simplement la terminer était si important pour moi. Franchir cette ligne d’arrivée, c’était la première étape de cette page tournée. Voilà pourquoi, même avec une main fracturée et à peine consolidée, j’ai tout de même décidé de prendre ce départ à Saint Pierre, le 21 octobre dernier … ! Et voilà pourquoi, même dans une souffrance indescriptible, j’ai continué.
On reprend depuis le début ? 😉
La prépa et l’approche du jour J
La règle numéro 1 quand tu prépares un ultra : régularité et sérieux dans l’entraînement ! Arriver le jour J prêt physiquement, c’est arriver le jour J prêt mentalement. Et vous savez tous aussi bien que moi que le cerveau fait une grosse partie du boulot !
Pour ma part, j’ai eu la chance d’être sur place dès la fin janvier et de me familiariser tranquillement au terrain de jeu. J’en avais tellement entendu parler ! Mais pour moi, la prépa pour se genre d’ultra démarre des années avant ! On ne se lance pas sur ce genre de distances du jour au lendemain. Le corps doit s’adapter aux efforts longs, la tête aussi. C’est pourquoi je pense qu’il est important d’avoir effectué des courses de 80/100km avant.
2018, 2019, j’avais franchi ce cap. En 2020 aussi avec 2 courses de plus de 110km effectuées dans l’été (UTCAM et Montreux festival Trail). En mai, j’ai la chance de pouvoir m’envoler au Cap Vert avec le Treg pour prendre le départ d’une superbe course de 120km sur l’ile de San Antao (récit ici). J’intègre également la CCC (100km) fin août, et l’EcoTrail de Paris (80km) début juillet, dans cette prépa.
Puis, en guise de dernier gros bloc, j’accompagne l’équipe i-Run / gore Tex dans le projet « Corsica » fin septembre. La traversée de la Corse par les plus hauts sommets. 5 jours de traversée avec les 22 plus hauts sommets de l’île de beauté à gravir ! Manque de bol, le 2ème jour, je chute et me fracture le 4ème métacarpien à la main gauche … autant vous dire que les 3 derniers jours m’ont donnée beaucoup de fil à retordre … ! 😵
Le coup dur, c’est que les médecins (après avoir passé la radio aux urgences avant de repartir de Bastia), étaient clairement pessimistes pour la Diag : « euh, vous pouvez oublier de penser pouvoir terminer la Diagonale des Fous avec la main dans cet état ! ». Mais voilà, je sais aussi par expérience qu’il y a l’avis du médecin qui analyse une radio. Et l’évolution du patient qui connaît bien son corps. Chaque patient est différent et chaque patient guérit à un rythme différent.
J’essaye donc d’être optimiste et de me dire : « allez, il reste 4 semaines, ça peut le faire ! ». J’ai aussi eu la chance de croiser la route de deux supers docs (Olivier et Arthur), qui ont su rester aussi optimistes que moi et m’ont accompagnée de près dans l’évolution de cette blessure. Jusqu’au jour J. Et après !! (pour une autre blessure ! 🤣).
La radio de contrôle de la main effectué 5 jours avant le départ du Grand Raid montre que une consolidation encore bien fragile. Mais mes sensations sont convaincantes : je serai au départ de cette Diag jeudi soir ! Ma main ne me gêne plus, j’arrive à courir sans douleur, aucune raison que je ne tente pas le coup. Reste 5 jours pour bichonner cette main, on est laaaaaaarge !! 😄
Jeudi 21 octobre : le départ plein d’étincelles à Saint Pierre
Bon, la prépa matérielle d’un ultra n’est pas ce que je préfère. Trop de choses à penser ! Le stress d’oublier un truc, de négliger l’important, de passer à côté d’un détail qui pourrait tout faire foirer ! Heureusement, j’ai une super équipe qui m’entoure, et avec elle, nous essayons de planifier au mieux, un « plan de route ». C’est toujours un peu moins stressant quand on réfléchit à plusieurs cerveaux.
D’ailleurs, la dernière nuit, comme souvent, n’est pas des meilleures ! Avec un départ à 21h, la journée du jeudi est particulière à gérer. Trouver le juste milieu entre ne pas trop en faire, et ne pas rester toute la journée à végéter non plus. Et puis penser à autre chose aussi. Relativiser. Hey, on ne va pas jouer nos vies là ! Mais en même temps, rester aussi connectée à la course pour ne pas passer à côté de ce fichu détail …!
C’est Juju qui sera le maître d’oeuvre de mon assistance, accompagné de toute l’équipe rassemblée autour de Marie Jo et Pierre. Ils s’occuperont aussi de Benoît Girondel, au départ de cette édition aussi. Je leur fais entièrement confiance et je sais que leur aide va être précieuse pour nous. Merci à eux d’être là pour nous. Tous mes sacs de ravitos ont été dispatchés au préalable et nous arrivons à Saint Pierre sur le lieu du départ avec Juju vers 20h.
Wow ce monde de ouf déjà sur place !! De toute façon l’île vibre déjà au rythme du Grand Raid depuis plusieurs semaines; C’est dingue ! Un évènement pour les réunions ! On sent cette atmosphère qui mêle plusieurs sentiments : excitation, peur, stress, mais aussi bonheur d’être là, pressés d’en découdre ! Enfin ! J’ai la chance d’avoir un dossard élite qui me permet de me glisser dans le sas préférentiel tout devant.
Les médias sont là, les spectateurs les plus passionnés aussi, tout devant. Les regards sont tournés vers cette ligne de départ. On nous regarde avec compassion, émerveillement aussi … peut être bien comme des FOUS finalement ! 😆 À ce moment là, on ne réalise peut être pas encore trop dans quoi on se lance. En tout cas, quand c’est la première fois ! Mais la naïveté de la première fois, c’est bien aussi !
Je retrouve pleins de têtes connus sur la ligne de départ. On se salue, on se souhaite bonne course. J’ai le big smile qui ne me quitte pas depuis un moment déjà ! Et une fois le départ donné, ce big smile est figé sur mon visage, accompagné du « boum boum » de mon coeur qui se sent bien vivant au milieu de cette foule d’encouragements !! C’est juste l’euphorie totale pendant 6/7km !! Ce départ de la Diag à Saint Pierre … wouaaaaaaah ! J’en ai eu des frissons dans tout le corps !
Les bruits, les cris, les mains levées, les applaudissements, la musique, ce rythme entraînement … un brouhaha qui porte et qui fait avancer les jambes sans même sans rendre compte ! Forcément, dans ce contexte là, on part vite, mais on s’en fiche : on veut juste PROFITER de ce moment !
1er kilomètre en 4′,
2ème kilomètre en 4’22,
3ème kilomètre en 4’26, …
Mais je ne regarde pas ma montre, je ne m’en rends pas compte (j’ai juste les chronos affichés sur Strava ! ;)). Jusqu’à ce que j’entende : « première féminine, allez ! » Et puis les premières pentes arrivent, le rythme ralentit naturellement, on peut reprendre son souffle et raccrocher à la réalité : « doucement quand même, t’as 160km à faire hein ! ».
6/7 kilomètres plus loin, nous quittons les lumières de la ville pour s’enfoncer vers les champs de canne. Le calme s’installe petit à petit et chacun rentre dans sa bulle. J’ai laissé partir Émilie et Aurore, la route est longue. Je me mets à mon rythme en essayant de me tenir à ce que je me suis fixée : GÉRER ! Ne pas s’emballer pour arriver fraîche après cette première nuit, à Cilaos.
Une nuit douce, agréable, sans accroc !
J’avoue que cette portion du parcours, dans la nuit, jusqu’à Cilaos, est celle que je redoutais peut être le plus. L’inconnu des 30 premiers kilomètres qu’il est impossible de reconnaître puisque dans des champs privés, le passage au volcan, ce terrible sentier de Marabout et cette angoissante descente de Kerveguen … ! J’essaye de ne pas y penser encore et je profite du moment présent avant d’en arriver là.
1h22, presque déjà 15km parcourus, en montée douce, sans difficultés techniques. Tout va bien, je ne m’arrête pas au ravitaillement, j’ai quasi rien bu. Le terrain se corse un peu par la suite, avec quelques instabilités pour les chevilles. On passe sur des singles étroits, entourés de barbelés. Je me fais 2 frayeurs à cause de ça : la première à cause de ma manchette qui s’accroche dedans (ouf, je ne l’ai pas déchirée), la seconde parce que c’est ma bague qui s’accroche à son tour. J’ai bien cru que j’allais arracher mon doigts sur ce coup là !
Je suis suivie de près par un caméraman trop sympa de Canal Grand Raid, il me questionne, on papote, c’est chouette ! La température est incroyablement douce. Je me rends compte que je ne bois pas beaucoup et m’efforce donc de soigner un peu plus l’hydratation.
J’arrive au 2ème ravitaillement, Notre Dame de la Paix, km25, déjà 1700mD+ effectué : 3h06 de course. À ce moment là 3ème féminine, mais le classement reste anecdotique ici, nous nous suivons toutes de près. Je prends le temps de bien me ravitailler (mais vite fait quand même ! 😄), et je repars, direction le volcan avec l’aire de nez de boeuf ! Me voilà désormais en terrain connu ! Que de souvenirs qui font du bien au moral ici. On avait fait cette partie avec Quentin à l’entraînement, je me souviens très bien.
Alexandra Clain me recolle et nous faisons un bon petit bout de chemin ensemble ! Je me colle à ses talons. Je sais qu’elle est réputée pour être une superbe gestionnaire. Et elle connait cette course par coeur. Trop bien, je vais essayer de ne pas la lâcher et de m’accrocher avec elle. On passe quasi ensemble au 3ème ravitaillement, Nez de Boeuf. 5h15 de course, presque 40km/2500mD+.
Il est 2h du mat, tout se passe à merveille pour moi ! Je me sens bien, je n’ai pas froid, alors que nous sommes proches du point culminant de la course (un peu plus de 2000m d’alitude). Aucune douleur musculaire ou tendineuse, le ventre va bien, le souffle aussi, j’ai réussi à ne pas m’emballer pour rester en mode « gestion », comme c’était prévu en début de course. Ma main va bien, je n’y pense même pas ! Quel bonheur !
Pourvu que ça dure ! La descente jusqu’à Mare à Boue, je le connais très bien aussi ! N’est ce pas Quentin ? 😜 Sauf que de nuit, ce n’est pas tout à fait la même que de jour ! Vous voulez voir ce que vous n’avez pas vu parce que vous ne regardiez que vos pieds ? 😅 allez, voici la vidéo ci dessous !
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Je sais qu’elle peut paraître simple sur le papier cette descente … mais en vrai, elle peut aussi laisser des traces musculaires si on ne met pas les freins ! Et puis elle est franchement pas évidente techniquement parlant. Prudence donc. Je gère du mieux possible pour trouver le juste équilibre. Et puis lorsque j’arrive à ce 4ème ravitaillement à Mare à Boue, je retrouve Émilie, qui ne semble pas au top.
Je passe donc 2ème alors que je la pensais loin devant, n’ayant aucune info sur les écarts jusque là. Entre temps, j’ai pris le temps de bien me recharger avec Sabine et toute la super équipe qui m’attendait sagement sous la tente pour m’assister !! Au top !! Merci merci ! J’avais prévu de changer de frontale ici, mais le jour devrait se lever bientôt, je prends le risque de continuer avec la même (Led Lenser is Champion !! ;)))
Voilà la portion que je redoute le plus : Mare à boue suivi de Kerveguen ! Mais de 1-je suis là aussi en terrain connu, et de 2-je me sens tellement bien à ce moment là, que j’ai l’impression d’avoir des ailes qui me portent au dessus des cailloux (mais en vrai, elle est quand même pourtant bien pénible cette portion là ! lol) ! 🤩
De Cilaos à Mafate sur un petit nuage !
Je prends un pied monstrueux dans ce passage à Mare à boue et jusqu’au sommet de Kerveguen ! À ma plus grande surprise. Le sentier est humide, glissant, instable, rempli de pièges et de cailloux / rochers qui peuvent rendre complètement dingues … mais j’arrive à digérer le truc avec sérénité et calme. Peut être parce que je connaissais.
À ce moment là, je suis accompagnée d’un petit groupe de gars très sympa, on s’encourage et se passe les relais ! Je recolle Aurore qui était en tête de la course. Elle n’a pas l’air bien du tout, j’essaye de l’encourager du mieux possible.
Voilà donc que je passe 1ère féminine au beau milieu de la nuit. Je ne m’emballe pas, je sais que le chemin est long et tout peut basculer dans un sens comme dans l’autre. Mais ça fait tout de même du bien au moral d’avoir de si bonnes sensations à ce moment là.
Nous avons le droit à un fabuleux lever de soleil juste avant le sommet de Kerveguen ! Wouaaaaah ! « Regardez vite fait derrière les gars ! Quel spectacle ! » À peine le temps de réaliser que nous étions en haut, que nous voilà à plonger dans l’infernale descente de Kerveguen vers Cilaos …. !
Et quel plongeon ! Celui là aussi je le redoutais tellement … et bien finalement, il est passé comme une lettre à la poste, et c’est toute sourire et en grande forme que j’arrive à Cilaos, au 66ème kilomètre. 9h38 de course. Pile poil le timing que mon assistance avait pronostiqué ! (ils sont trop forts et ils semblent mieux me connaître que moi je me connais ! 😂).
Un aperçu de ce fameux coteau Kerveguen en vidéo ? 😉
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Il est 6h30 du mat, la première journée démarre et les bonnes chaleurs commencent déjà à s’installer. Je n’ai pas sorti ma veste de la nuit : assez rare pour le signaler, grande frileuse que je suis ! J’ai d’ailleurs toujours mon tee-shirt officiel du Grand Raid que nous avons obligation de porter au départ ! 😃 Allez, il va être temps de se changer pour cette 2ème partie de course qui va démarrer après Cilaos : MAFATE !
Changement de tee-shirt, changement de chaussettes, un petit coup d’eau sur le visage, je range la frontale, prends des nouvelles des copains : mauvaise nouvelle avec l’abandon de Benoît Girondel. Arf, il va être déçu ! Je suis triste pour lui.
Je ne m’attarde pas plus que ça au ravito, je suis dans une bonne dynamique, rien ne sert de faire trop redescendre la pression.
Sortie de Cilaos, je m’enfonce vers Bras Rouge avant d’attaque la très longue ascension du Taibit ! Je fais route en solitaire ici, je décide donc de mettre la musique. Les jambes sont légères, je me sens super bien, ça déroule tranquillement, au rythme de mon MP3 et des jolies musiques que j’ai téléchargées pour l’occasion ! 😉 Le début de la montée se passe bien, avec des petites relances par endroit. Il commence à faire bien chaud, mais j’aime ça.
Je sais qu’Alexandre m’attend aux pieds de la seconde partie de la montée, au niveau de la route, pour un point ravito. Il y a plein de monde en fait !! Wouaaaah trop génial, ça fait du bien de retrouver du monde ici. Les hélicos commencent aussi à nous tourner autour … on sent que, ça y’est, on est bien dans la course là ! Une caméraman repart avec moi, et ne me lâchera plus jusqu’à Marla.
Oh cette montée, je la connais trop bien pour savoir qu’elle peut être trrrrèèèèèès longue !! Je prends d’ailleurs un gros coup de moins bien avant le sommet … Chaud, soif, faim … j’ai hâte d’arriver à Marla pour pouvoir me refaire la cerise ! Musculairement, tout va bien, mais je sens que je suis un peu en surchauffe à ce moment là. D’ailleurs, Émilie me recolle juste avant d’arriver à Marla, le prochain point de ravitaillement. 78ème kilomètre. Nous pointons ensemble : 12h28 de course.
Elle a pris un petit coup de mou dans la nuit et a réussi à retrouver une seconde vie ! Elle semble en grande forme, tant mieux pour elle ! Pour ma part, je prends le temps de me passer sous la douche froide, de bien boire, avant de reprendre la route, quelques secondes après Émilie. Il semble qu’on ait presque 30 minutes d’avance sur la 3ème, Aurore.
Même si je suis dans un coup de moins bien à ce moment là, je ne panique pas, je sais très bien comment ça se passe en ultra : ça va, ça vient !! Ça fait le yoyo ! Dans ces cas là, il faut faire le dos rond, ralentir, bien se ravitailler, s’entourer de pensées positives … et à un moment, ça revient toujours ! La preuve, Émilie a connu la même chose dans la nuit.
Je reste focus sur mes sensations et repars dans un bon état d’esprit. Nous ne sommes qu’à mi course … la route est encore longue ! Oh que oui, elle va être encore très longue pour moi … ! 😬🙈 Si je savais le calvaire qui m’attend par la suite … !
LA chute qui va tout faire basculer
Il commence à faire bien chaud, mais personnellement, après m’être bien arrosée à Marla, je n’ai vraiment pas l’impression de subir la chaleur. Et puis j’ai la chance d’avoir eu le temps de m’y habituer en début d’année ! :)) Par contre, je m’efforce de bien m’hydrater pour éviter les mauvaises surprises.
J’attendais avec impatience toute cette portion que nous avons juste entamé là : MAFAAAAAAATE !!!! ? Marla, Plaines des Merles, Sentier Scout, la traversée des Ilets … mais quel bonheur !! Je les ai suffisamment pratiqués pour savoir que ce sont typiquement ces genres de sentiers qui me régalent ! Passée Cilaos, je savais que j’allais vivre une belle partie de régalade ! Je poursuis donc ma route mafataise derrière Émilie, avec hâte et enthousiasme.
L’allure reste bonne, même si j’ai dû ralentir un peu après mon petit coup de mou dans le haut du Taibit. J’ai rallumé la musique, qui rythme mes foulées. Je commence à perdre la notion du temps. Quelle heure est-il ? Depuis combien de temps court-on ? Je n’en sais trop rien, je sais juste que je ne suis pas loin des 100km et qu’il faut que je me prépare à commencer à rentrer dans le dur. Probablement à un moment. Mais quand ? On attend tous ce moment … en espérant qu’il arrive le plus tard possible ! Mais pour l’instant, tout va bien ! Pourvu que ça dure.
Je me réjouis d’ailleurs de n’avoir encore fait aucune chute très impressionnante. Alors oui, j’en ai quand même fait quelques unes. Comme toujours, sur les portions les moins techniques ! Tu sais, ces fameux endroits où tu relâches un peu plus l’attention. Mais depuis le départ hier soir à Saint Pierre, je n’oublie pas que la vigilance ne doit JAMAIS me lâcher … j’y pensais beaucoup cette nuit au volcan, à Marabout, dans la descente de Kervegen … puis dans la descente vers Marla … mais ici, dans Mafate, là où le terrain est tout de même plus propre, sur les sentiers que je connais très bien pour y être beaucoup passée, je crois que l’attention s’est un peu relâchée.
Inconsciemment bien sûr, parce que je devais me sentir plus en confiance à ce moment là, je laisse mes pensées divaguer et profite de cet environnement que j’adore ici en essayant de dérouler ma foulée du mieux possible. Je me sens relâchée, peut être un peu trop … la pointe de mon pied accroche sur un caillou, mon corps bascule sur l’avant et je fais un vol plané !
Par réflexe, je protège ma main gauche encore un peu fragilisée par cette fracture venue de Corse, et c’est tout mon corps qui tape violemment au sol et sur les cailloux ! Je suis complètement sonnée. Une fois au sol, je me rends compte que j’ai du mal à respirer et que mes côtes ont pris un bon gros pète. Le coude en sang, le genou a pris aussi, la cuisse et surtout aussi, la hanche. J’essaye de me relever au plus vite en espérant qu’il n’y ait que la carrosserie d’abîmée …
Dans ces moments là, tu prends un gros shoot de stress !! Ça te fait perdre un peu tes moyens, ça fait bien monter le cœur et il faut mieux attendre de faire redescendre cette pression avant de repartir. Je m’inspecte : c’est pas joli joli tout ça ! C’est surtout les côtes qui me font peur, vu comme ça a tapé … des bénévoles m’ont aidée à me relever, me propose d’aller voir un médecin. Trop sympa ! Mais ça va aller, je ferai le point avec mon assistance un peu plus loin, à Grand Place.
Je m’efforce de repartir le plus vite possible, à petites foulées. Je sais d’expérience que si la mécanique n’est pas trop touchée, il faut quand même mieux faire repartir la machine avant qu’elle ne refroidisse trop. Alors oui, j’ai mal. Alors oui, je repars contrariée. Dégoutée même. Oui, je ne peux m’empêcher de me dire que la seconde partie de la course ne sera pas la même que la première à cause de cet épisode malheureux. Mais oui, j’essaye aussi de rester confiante en me disant : « allez, ça va passer ! »
Je rejoins tant bien que mal mon équipe d’assistance à Grand Place, aux alentours du kilomètre 100. J’arrive en boitillant, le visage crispé, mais soulagée de les retrouver pour me confier et essayer de retrouver du réconfort.
Avec tout ça, les écarts se sont creusés avec Émilie, elle a désormais un peu plus de 20 minutes d’avance sur moi.
Le début d’un long et douloureux calvaire
C’est Guillaume et Pierre-Emmanuel, l’équipe de « dans la tête d’un coureur », que je retrouve en premier et à qui j’explique mes mésaventures. Quelques foulées plus loin, les filles sont positionnées avec mon matériel, prêtes à me bichonner ! Troooooop adorables et aux petits soins ! On nettoie, on met du froid, on essaye de faire au mieux pour que je reparte le plus sereine possible.
J’explique aux filles que c’était les côtes qui me faisaient le plus souffrir au moment de la chute, mais au fil des kilomètres qui ont suivi l’accident, j’ai ressenti une douleur au niveau du tibia qui devient de plus en plus vive et gênante au fur et à mesure de mon évolution. Jusqu’à m’obliger à modifier ma foulée pour soulager ce point qui devient vraiment très douloureux.
Je me pose 10 000 questions : est ce que je ne devrais pas changer de chaussures et en prendre des plus amortissantes ? (j’ai couru avec les Trabuco Sky, que j’adore, depuis le début. Elles sont extras mais très légères). Est ce que c’est une périostite ? N’est ce pas une douleur tendineuse ? J’ai mal depuis ma chute, alors n’y a t-il pas eu aussi un choc dessus qui a déclenché une lésion sur l’os … tant de questions qui me pollueront le cerveau des heures et des heures sans me lâcher jusqu’à l’arrivée …
Je me décide finalement à tenter de faire un strap autour du tibia. En me disant que si c’est le début d’une périostite, ça soulagera un peu en rendant l’impact des chocs moins fort. Essayons. De toute façon, j’ai bien l’impression que je vais devoir faire avec jusqu’à l’arrivée maintenant. La côté est douloureuse au toucher, mais ne me gêne plus à l’effort. On verra ! Mais si question d’abandon il doit y avoir, c’est maintenant, parce qu’une fois repartie d’ici, je n’aurais que l’option « haut de Dos d’Âne » pour un éventuel rapatriement véhiculé …
Cette option de cligno ne se pose de toute façon pas du tout pour moi ici. Je repars déterminée à continuer à avancer, même au ralenti. Mais j’avoue, de moins en moins confiante en l’espoir de retrouver des jambes mécaniquement en état.
Quand l’espoir laisse place au désespoir … et quand l’abandon devient une option
Quand je quitte le ravitaillement de Grand Place et toute mon équipe, j’essaye de me montrer confiante et positive. Je ne veux pas trop les inquiéter. Mais dans mon intérieur, je suis ravagée de dégoût ! Chaque pose de pied devient douleur pour mon tibia et je sais que je vais devoir composer avec ça encore longtemps. Les kilomètres passent de plus en plus doucement et forcément, je ne prends plus de plaisir. Alors que j’attendais tellement ce passage trop chouette dans Mafate !
Mais je ne fais pas du sur place non plus. Donc, tant que j’avance, c’est bon ! Me voilà au début de la descente vers Roche Ancrée. Courte mais bien raide ! En bas, la rivière et ça remonte vers Roche Plate. Je m’en rappelle bien, on l’a faite il y a 3 semaines avec Olivier, mon coloc ; et il est forfait à cause d’une chute en bas : fracture du sacrum ! Je pense à lui. Le pauvre. Maudite Roche Ancrée, qui va me faire crier de douleur à chaque fois que mon pied se pose au sol.
Cette descente me paraît interminable et la douleur devient vraiment insupportable. J’essaye de l’occulter depuis un moment déjà, mais là, j’ai l’impression que mon tibia est ouvert en deux tellement j’ai mal ! Je n’y arriverai jamais. Je ne pourrais pas terminer cette course avec ça. Ça dépasse de loin tout ce que j’ai l’impression d’avoir déjà supporté dans mes différentes mésaventures …
Je m’arrête au milieu de la descente, m’assoie et je pleure. Pleurer ne sert à rien du tout, mais parfois, ça fait du bien. Comme l’impression que de ces larmes sort un peu de cette fichue douleur. Je me calme et décide de prévenir Juju à l’assistance : je crois que je n’ai pas d’autres solutions que de me résoudre à l’abandon. Je rallume mon tel qui était éteint depuis hier soir et je reçois quelques notifications de SMS.
Je n’y prête pas trop attention dans un premier temps, et je tente d’appeler Juju. Ça ne répond pas ; sentiment d’impuissance … je fais quoi ? Comment vais-je me sortir de ce merdier ? Ok, je laisse un vocal. En mode détresse complète ! Juju, rappelle moi, j’ai trop mal, j’arrive plus à courir, je suis au bout de ma vie … bon, pour l’avoir réécouté après coup, je me suis mise à sa place quand il l’a reçu, ça ne devait pas être cool. Il ne pouvait pas faire grand chose de là où il était. Mais juste avoir du réconfort moral m’a fait du bien, et échanger avec quelqu’un à ce moment là était vital !
Il va dans me sens et me dit : « ok, on va voir comment on peut s’organiser. Mais tu réalises que pour te faire sortir d’ici, y’a pas d’autres solutions que l’hélico ? » Ah ouais, c’est vrai, je suis au fin fond de Mafate à Roche Ancrée et y’a même pas un poste de secours pour avoir un avis médical. On se met d’accord avec Juju : « bon écoute, je tente d’arriver en bas de cette descente, je mets les jambes au frais dans la rivière et on se rappelle après. Ça me laisse le temps de cogiter pour prendre une décision. »
Je retrouve Lucie Jamsin en bas. Elle suit un ami à qui elle fait l’assistance et je la retrouve ici par hasard. Elle me demande si ça va. Ça devait se voir à ma tête et ma façon « bancale » d’avancer : non ! Ça ne va pas du tout, je me demande si je ne vais pas devoir abandonner … j’ai une douleur horrible au tibia, je souffre le martyr ! On en discute, elle me propose ses bâtons si jamais je décide d’abandonner, histoire de soulager ma jambe (merci Lucie). Je le remercie mais refuse. Une partie de moi veut encore persévérer et essayer d’avancer …
Je me pose les jambes dans la rivière et je prends le temps de réfléchir (purée, j’ai l’impression que ça fait 1h que je stagne ici, ça devient angoissant cette situation!). Le frais me fait du bien. J’en profite pour lire quelques messages sur mon tel, je vois celui qui fera comme un déclic pour moi : parce que cette personne qui venait de m’envoyer ses pensées d’encouragement est lui, privé de toutes sensations sur son tibia. Il s’est fait amputer en février 2020. Il se dirait certainement que j’ai de la chance, moi, d’avoir mal.
Évidemment que je dois continuer d’avancer ! Pour lui, pour cette petite Illyana (son prénom est accroché dans mon dos), pour tous ceux qui sont venus exprès pour me faire l’assistance, pour ces raisons très persos qui me poussent à vouloir franchir cette ligne …et puis parce qu’il est hors de question que je fasse venir un hélico pour une douleur au tibia !! C’est décidé, je repars ! Je rappelle Julien pour lui faire part de ma décision. Il ne doit plus rien comprendre, mais il est content et rassuré d’entendre une voix plus déterminée que 30 minutes avant.
Prochaine étape : sortir de Mafate
Bon, maintenant que la décision est prise, il va falloir faire au mieux pour s’accommoder de cette souffrance … et savoir tout de même ne pas aller trop loin dans la prise de risque. En continuant dans cet état, je sais pertinemment que j’en payerai les conséquences : je vais prendre quelques semaines / mois de soins, d’arrêts. Mais mon corps se réparera ! Je sais que je ne suis pas sur des séquelles irréversibles. Tu le sens ce genre de chose. Quand le danger est vital ou non.
La montée vers Roche Plate est longue et difficile, mais dans ce sens de la pente, la douleur est moins forte. Par contre, j’appréhende énormément la descente qui suivra ensuite … Les hélicos me tournent autour. Je vois bien qu’ils me cherchent ! (oh les gars, vous allez me pousser dans le décor à voler si près de moi!!). Avec tout le temps qu’il s’est passé à tergiverser à Roche Ancrée, mes proches doivent s’inquiéter … (j’imagine le petit point statique sur live trail ! Lol).
Pointage au km108 à Roche Plate : 19h43 de course. Sachant que j’ai pointé à Grand Place (km100) en 16h44. Soit 3h pour faire …. 8km ! Beaucoup de temps perdu à l’arrêt, à réfléchir, à prendre une décision, puis une autre. À pleurer, à chouiner, à gémir … à boiter ! Ce temps qui passe et qui résonne comme un « tic tac » dans ta tête ! Et puis du coup, Émilie a pris un max d’avance bien sûr, elle pointe 1h05 avant moi. Forcément. Et je suis super étonnée, dans ces circonstances, de tenir encore mon rang de 2ème féminine d’ailleurs !
À la sortie du ravitaillement de Roche Plate, je me fais gentiment encourager par un homme à la caméra à la main. Il me suit en me demandant si ça ne dérangeait pas qu’il fasse des images. Pour Réunion Première si mes souvenirs sont bons. « Non, pas de soucis ! Par contre, je te préviens, je n’avance pas, je fais que gémir de douleur tellement je suis en train de vivre un calvaire sans nom … » Voilà que j’ai un compagnon de route pour confier mes malheurs et pour m’aider à détourner le négatif vers du positif : le partage. Merci Didier pour ce bout de chemin fait ensemble ! Et désolée pour tous ces « aaaaaaah j’ai trop mal ! », qui devait quand même bien polluer ton plaisir … je me fais pitié tellement je suis obligée d’avancer à allure escargot. Quelle frustration !
On arrive ensemble au ravitaillement suivant : Îlet des Orangers, km113,5. Soit, 5km après Roche Plate. Accrochez-vous : je suis à 21h13 de course, donc j’ai mis 1h30 pour faire 5km de descente … voilà voilà ! Autant vous dire que dans ma tête, j’étais complètement sortie de la compétition et de l’aspect « performance ». J’attendais le moment où toutes les filles allaient me passer devant. Mon seul objectif était de terminer. J’arrêtais pas de le répéter à Didier d’ailleurs, qui m’encourageait avec beaucoup d’optimisme pour me remonter le moral comme il le pouvait … !:)
J’en étais au stade de décompter les kilomètres, et d’avancer point par point. Le prochain était « Deux Bras », et je savais que j’allais y retrouver Dorian de mon assistance là bas. Avec Didier, nos chemins se séparent à la nuit tombée. Nous venons de sortir nos frontales. Je sais que cette portion jusqu’en bas de Dos D’âne n’est pas si simple que ça. Sur le papier elle apparaît sans grosses difficultés, mais en pratique, ces alternances de montées / descentes à ce moment de la course ne sont pas évidentes à gérer. Du tout ! Encore moins avec cette jambe qui me lance en continu ….
Deux Bras, km122, 23h34 de course. Toujours pas de féminine qui me remonte. Je suis étonnée. Je me dis que nous devions probablement avoir pas mal d’avance sur la 3ème avant ma chute du coup. Tellement contente de retrouver du réconfort auprès de mon assistance ici ! Il fait nuit noire maintenant, je prends une nouvelle frontale bien rechargée. La mienne commençait à clignoter. Je prends aussi le temps de changer de chaussures, de mettre des chaussettes propres et sèches (on a dû mettre les pieds dans l’eau plusieurs fois, mais pour le moment, je suis assez tranquille côté ampoules).
La gestion infernale de la 2ème nuit
Prochaine grosse difficulté : Dos d’Ane ! Ohhhh comme je la connais bien celle là ! Et franchement, je pense que c’est un gros avantage de la connaître et de savoir à quoi s’attendre à ce moment là. 4Km pour environ 700mD+, ça s’appelle une belle grimpette qui fait mal aux gambettes !;)
Soulagée de retrouver de la montée, j’aborde cette portion avec plus de sérénité que la prochaine descente qui suivra après et qui risque de me faire hurler de douleur …. hop, retour les pieds dans l’eau avant de démarrer l’ascension (youpi, j’ai profité du bonheur des chaussettes sèches à peine 5 minutes ! Lol). Et c’est parti. Le cerveau est connecté sur une chose depuis de (trop) longues heures, ma jambe. Le reste n’est qu’accessoire et j’en oublie la fatigue générale du corps qui est en train d’encaisser une 2ème nuit blanche.
Je focalise sur la douleur pour essayer de la dompter. La gérer aussi, en appuyant différemment pour que ça fasse un peu moins mal. Je mets une grosse heure et demi pour atteindre le haut. Belle ambiance là haut, mais je n’arrive plus du tout à profiter de tout ça et à prendre du plaisir … j’aurais tout essayé pour tenter de soulager : étirer (ça fait encore plus mal!!), straper (ça fait encore plus mal!!), glacer (oui, ça soulage mais temporairement), masser … j’en viens même à avoir envie qu’on me coupe la jambe pour stopper ce calvaire !
L’enfer de cette descente jusqu’à chemin Ratinaud. Le pire : du raide en descente qui se court vite, avec un sol dur. Je crois l’avoir faite toute en pleurant. En marchant, ou parfois en tentant de courir mais en pleurant encore plus fort. Mais jamais plus, à ce moment là, l’abandon ne fut une option. Je la franchirai cette ligne. Je me referai une 3ème nuit blanche s’il le faut. De toute façon, je ne vois pas comment la douleur peut être plus intense là maintenant. J’ai tenu jusque là et je ne suis pas morte. Je tiendrai bien encore 10h (ouais, parce que c’est quasiment le temps qu’il m’aura fallu pour ces 40 derniers kilomètres …).
Obligée de m’arrêter toutes les 3 minutes comme pour reprendre mon souffle et m’accorder un peu de répit dans cet horrible serrage de dents … le sentier Kaala me fait vivre un nouveau véritable enfer. Interminable. Les coureurs en relais me doublent comme des fusées et ça y’est, voilà la 3ème féminine, Amandine, qui me double. Je l’encourage, elle me répond : « c’est pas vraiment physiologique de courir 160 bornes ! » Lol ! D’en faire 80 avec cette douleur à la jambe ne l’est pas non plus d’ailleurs !
La Possession, une nouvelle étape de franchie et une nouvelle petite victoire pour moi ! 140Ème kilomètre, 28h de course, je retrouve un peu de réconfort auprès de Juju. Il m’a ramenée des sushis pour me faire plaisir, trop choupi !!
Il ne reste que 20 kilomètres oui, mais la bataille est encore loin d’être terminée, croyez moi.
Les 20 kilomètres de l’enfer
J’ai du mal à repartir du ravitaillement de la Possession où j’ai trouvé un peu de chaleur humaine qui fait du bien au moral. Et surtout, je sais que je vais devoir repartir pour un nouveau gros serrage de dents. J’avoue qu’il commence à me ronger psychologiquement ce serrage de dents … me tarde juste d’en finir là.
Je n’arrive même pas à courir sur la portion plat en bitume jusqu’en bas du sentier des Anglais. Les vibrations des chocs de chaque foulée me résonnent jusqu’aux oreilles ! Un coureur spectateur me demande si j’accepte qu’il fasse un bout de chemin avec moi. Ah non aucun soucis, je lui réponds, mais je te préviens, je ne suis pas de très bonne compagnie là ! J’ai une douleur atroce que je traine depuis le km80 et 1-je n’arrive plus à courir, 2-je chouine (quand je ne pleure pas), à chaque foulée.
Il accepte le deal et m’accompagne quasiment jusqu’à Grande Chaloupe. J’avoue que je n’écoute pas toujours ce qu’il me raconte tellement je suis obnubilée par cette jambe. Mais c’était adorable de sa part de m’apporter un peu de soutien dans ce calvaire interminable … entre temps, la 3ème féminine, Sophie m’a doublée. Au début du sentier des Anglais. Je l’encourage et lui demande comment elle va. Elle me répond un rapide : « ça va. » et s’envole. Aucune possibilité de m’accrocher. Le podium s’envole mais je pensais vraiment qu’il s’envolerait bien avant ce moment là franchement !
Il fait nuit mais le ciel étoilé est magnifique. Je me retrouve seule sur cet impitoyable sentier des Anglais que je connais bien aussi. Il y a beaucoup de vent. Plus je grimpe, plus je frissonne. C’est la première fois depuis le départ que j’ai un peu froid. Je remets la musique et je continue à mettre un pied devant l’autre, tel un robot. Même la musique, je n’arrive plus à la savourer. Elle fait bruit de fond, mais le bruit principal et qui revient me casser les oreilles à chaque foulée, c’est celui de mon gémissement.
J’ai l’impression d’être hors du temps. Il doit être 2,3 ou 4h du mat. Je ne sais plus trop et ma montre s’est éteinte de toute façon. Je l’avais mal paramétrée et j’avais oublié d’enlever les options qui mangent le plus de batterie.
Je me rappellerai toute ma vie de ce moment où je suis arrivée sur le Colorado. Cette image est gravée à jamais : les premières lueurs du jour, le ciel est rose, il y a beaucoup de vent, il fait froid. J’ai l’impression d’être dans un film. Cette ambiance à la fois angoissante et apaisante. Personne en vue ! Le désert. Cette belle pelouse verte. C’est beau, c’est propre. Les oiseaux chantent, une nouvelle journée qui démarre. Je continue de grimper quand j’aperçois deux silhouettes emmitouflées dans des doudounes, la tête dans les capuches. Puis des cris d’encouragement : « allez Sissi !! » Il est 5h du mat, Juju et Anouk sont montés pour m’encourager dans cette dernière ligne droite. Marie Jo aussi, elle a même fait un bout de chemin avec moi avant la montée vers Colorado. J’ai de la chance d’avoir cette équipe de choc !
32h30 de course. 155km. Cette fois, c’est vraiment bientôt la fin. Cette dernière descente va être horrible oui, mais c’est la fin du calvaire. Et je n’arrête pas de me répéter : « la douleur est temporaire. Bientôt ce cauchemar va s’arrêter. L’abandon il aurait été définitif. Et tu aurais dû faire avec toute ta vie. » Me voilà engagée dans cette dernière descente vers le stade de la Redoute.
Les couleurs du ciel sont incroyables ! Le lever du soleil est magique ! Les premiers rayons du soleil percent à travers les arbres, je prends le temps de m’arrêter pour admirer ce spectacle. Quand la pente est trop raide, je suis obligée de descendre en crabe pour imposer un peu moins de contrainte à mon tibia (oui à ce moment là je ne savais pas que c’était le péroné, et non le tibia, qui était abîmé). Parfois en me tenant aux branches des arbres. Mais même si mon évolution est très lente, je continue à avancer. Doucement mais sûrement ; je me raccroche à ça.
Le stade se rapproche, et l’effervescence autour de l’arrivée aussi. Je suis à un peu plus de la moitié de la descente. J’entends quelqu’un qui vient en sens inverse m’encourager, je crois connaître cette voix. Ah oui, c’est John, le chéri d’Ingrid ! Ils sont venus me soutenir sur cette fin de parcours interminable … ! Trop sympas les copains ! On papote, ça fait oublier les malheurs ! Et puis les derniers D- passent plus vite et ENFIN me voilà sur le bitume, à quelques pas de l’entrée du stade.
Je retrouve les pépettes et toute l’équipe d’assistance en bas (pour l’anecdote, j’arrive tout de même à me casser la figure en traversant la route sur le bitume hein….!), et leurs chaleureux encouragements pour rentrer dans le stade.
C’est davantage le sentiment de soulagement qui m’envahit à ce moment là, mais à l’approche de la ligne, les mots de Ludo, le speaker, résonnent dans ma tête et les larmes d’émotion montent soudainement. L’épuisement mental prend largement le dessus sur l’épuisement physique (même si les deux sont intiment liés, je vous l’accorde !), mais je m’étais jurée de ne pas m’écrouler ici …
Le temps de me ressaisir, je lâche prise quand même et laisse couler ces larmes qui mêlent pleins de sentiments différents et j’essaye tout de même de réaliser tout ce que je viens de traverser … ça mettra du temps. Parce quand même, j’ai vécu un truc de fou là ! Ben maintenant, je sais d’où vient ce nom …. La « Diagonale des FOUS » prend tout son sens pour moi désormais ! 😉
34h pour faire cette folle traversée de 160km. 80km de bonheur, 80km de cauchemar. Compliqué de faire un bilan à chaud juste après avoir franchi cette ligne. Mais une chose est sûre, même si j’en prends pour 3 mois de repos forcé derrière, je ne regrette pas ce choix d’avoir poussé la machine aussi loin.
Le corps se répare et je prendrai le temps qu’il faudra pour cela. La vie nous inflige parfois un tas d’autres blessures qui ne se réparent jamais vraiment … j’ai les miennes que je traine aussi ! À chacun de trouver sa façon de les soulager. Terminer cette course en était une pour moi !
Alors merci la Diag, merci à cette petite Illyana, qui m’aura aussi donnée la force de continuer, merci à toutes celles et tous ceux qui m’ont soutenue dans cette aventure …. que ça soit avant, pendant, ou après !
RDV en 2022 pour tenter une course entière sur deux jambes ! 😜
2/3 mots sur l’après course
Vous vous en doutez, à peine la ligne franchie, j’ai été prise en charge par des professionnels de la santé. Une adorable kiné qui a suivi la course tout d’abord, Mathilde. Qui a pris le temps de m’examiner et qui m’a conseillée de ne plus poser le pied au sol avant d’aller passer une radio.
On m’a emmenée direct à l’hôpital pour effectuer des examens (merci le fauteuil roulant ! 😅). La radio a décelé une petite fracture au niveau du péroné. Pas une fracture de fatigue, ni un os cassé en deux. Mais une fissure probablement provoquée lors de la chute, qui se serait donc aggravée avec les kilomètres parcourus dessus. Il aurait fallu que j’utilise les béquilles quelques semaines, mais avec une côte fêlée aussi, impossible de m’appuyer dessus.
Bref, les jours qui ont suivi la course n’ont pas été simples, mais 2 mois après, le corps s’est bien réparé et aucune séquelle n’est à déclarer ! J’ai juste eu la (mal)chance en ce 22 décembre, de faire une très mauvaise chute à vélo … et à ce jour, me voilà de nouveau à l’arrêt avec une nouvelle souffrance à gérer : fracture de la clavicule ! Décidément ! Vivement « les jours heureux qui se pointent …! »🎵🙏