Il est toujours intéressant de revoir les théories passées, qui se projetaient alors vers le futur. C »est depuis toujours la même histoire : va-t-on franchir des barrières qui paraissent infranchissable ? Et quand ?
Comme dans Retour vers le Futur qui inventait l’overboard ou la veste auto-chauffante il y a plus de 30 ans, imaginait-on il y a 10 ans que les moins de 2h sur le marathon, distance mythique, seraient battues avec des chaussures à lame carbone ?…
Visionnaire ou presque !
A la lecture de la revue scientifico-sportive Sport et Vie, le numéro de mai-juin 2011 n’était pas loin d’avoir flairé la chose.
L’article « Rendez-vous dans 2 heures » se termine de la façon suivante :
« Il a été calculé que grâce à ses prothèses en carbone, le coût énergétique d’Oscar Pistorius (le coureur sud-africain amputé des deux jambes), était amélioré d’environ 4%.
En appliquant cette baisse aux qualités physiques d’Haile Gebrselassie (recordman du monde à l’époque en 2h03’59), on obtient un chrono de 1h59’16. Et si la barre des 2h était franchie par un paralympique ? C’est, à coup sûr, une grosse ânerie« .
Relisez bien le paragraphe. Une ânerie ? Pas tant que ça !
On parle des prothèses carbone. Concrètement, c’est ce qui est arrivé avec les Vaporfly de Nike : la lame carbone incorporée dans les semelles. Du coup, on a vraiment cherché à améliorer les records.
On peut clairement parler de dopage technologique, et pas seulement de progrès technique. Il y a une rupture dans le progrès, régulier et à long terme, avec un apport « métallique » technique, qui a fait faire un bond aux performances.
Le gain de 4% : c’est exactement ce que promettaient les Vaporfly Next% en 2017, aux pieds de Kipchoge. Lors de sa 2è tentative des 2h en 2019, on n’est pas loin de l’extrapolation du temps de Gebrselassie.
Kipchoge, qui valait 2h03’05 en 2017 (un peu mieux que le record de « Gebre ») avant l’arrivée des chaussures carbone, est passé donc à 1h59’40. Un poil moins bien que les 1h59’16 promises à l’extrapolation de Gebre. Mais quand même ! Pas si loin…
Mais pour aller aussi vite, il fallait d’autres éléments tels que la protection et le relais des lièvres, le tempo exprimé par la voiture et sa lumière au sol, un circuit choisit idéalement, ainsi qu’une météo (un jour précis !) déterminé. De quoi conditionner artificiellement les performances.
Sur le terrain, y est on vraiment ?
Si on regarde les résultats des dernières années, les performances moyennes ont progressé. Il peut y avoir une notion de progrès scientifiques bien sûr, mais on ne peut nier l’apport technologique.
En 2007, Gebre (2h04’26) était le seul à passer sous les 2h06, nettement ! C’est dû aux qualités incroyables de l’athlète. Petit à petit, il y a eu entre 10 et 20 athlètes sous ces 2h06. Mais par la suite, il y en a eu 26 en 2018, et 33 en 2019 ! Les chaussures carbones étaient arrivées…
Pourtant, concernant le record du monde, le meilleur temps référencé par année n’a pas changé : il tourne autour des 2h03. Seuls Kipchoge (2h01’39) et Bekele (2h01’41) s’en sont détachés plus nettement.
Attendons les résultats des marathons d’automne (reportés à cette saison pour cause de covid) pour voir si ça évolue plus nettement, mais pour l’instant…
Chez les femmes, de même on tourne autour de 2h17/2h20 depuis longtemps. Mis à part l’incroyable 2h14’04 de Brigid Kosgeï… Les autres filles sont entre 6 et 2 par an à courir moins de 2h20, mais une douzaine en 2019 ! Les lames carbone ont fait monter la moyenne. Pour autant, est-on proche de courir les 2h10…? Toujours pas.
Les 2h en course ? Pas pour le moment…
A échéanche plus ou moins proche, ça peut arriver. Les filles sont passées à 1h03’44 au semi, et les garçons à 57’32. Mais là aussi c’est surtout la moyenne qui a augmenté, avec il y a 5 ans une vingtaine de coureurs sous les 1h, on est passé à 39 en 2019 !
Courir deux fois une 1h chez les hommes reviendrait à courir pas loin de deux fois le record de l’heure sur piste. Ça paraît assez dingue. Seul un coureur comme Kipchoge pourrait y arriver, en combinant son passé de pistard et sa maîtrise exceptionnelle de la distance. De la vitesse et une économie de course endurante… Pourquoi pas.
Mais le parcours idéal, la météo idéale, la date convenue, des lièvres qui poursuivent leur effort sans s’arrêter et se relayer, la performance le jour J, et le fait qu’on ne fait pas plus de 2 ou 3 tentatives de pointes par année, cela retarde nettement les choses.
Les facteurs sont très nombreux. On ne bat pas des records du monde tous les jours. Sauf en ce moment, sur piste et sur route, avec un apport technologique. Alors qui sait !
Par Mathieu BERTOS / Photo : BSR Agency
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