Habituée des courses d’ultra-trail, Maria Semerjian, athlète i-Run.fr, s’est attaquée, pour la deuxième année consécutive au mythique TOR DES GÉANTS ! Cette course inhumaine de 330km et 24 000MD+ … Sacré morceau, avalé par Maria en 100h18’42 !! Elle nous raconte son périple ici.
« L’an dernier la frustration de ne pas franchir la ligne d’arrivée pour raisons extérieures avait été très grande… Donc cette année, objectif Courmayeur à tout prix ! Sur l’édition précédente, le sommeil avait été un facteur limitant pour moi. Alors j’ai consulté un médecin spécialiste de cette problématique et j’ai travaillé avec une sophrologue pour optimiser mes temps de pause ! On va voir si cette stratégie est payante.
Dimanche 9h30, il fait bien beau, c’est déjà ça de pris !! L’ambiance est géniale, on retrouve le monde et la ferveur d’un UTMB… Chez les « toprunners », on se fait la bise, on se souhaite bonne chance ! Les monstres sacrées Zimmerman et Borzani sont bien présentes et MA concurrente directe de l’an dernier Marina Plavan aussi !! Elle m’avoue avoir une grosse boule au ventre avant ce départ… euh, perso je n’en mène pas large mais je fais bonne figure !!
10h : on lâche les 800 concurrents !
RDV dans 4 jours j’espère dans ces mêmes belles rues de Courmayeur !! Comme d’habitude je me fais pas mal doubler, mais comme d’habitude, je laisse passer la vague ! normalement, je remonterais pas mal de places un peu plus tard… Il fait beau, voire même chaud, c’est dimanche, alors sur les sentiers, le public est très nombreux tout au long de la première étape, c’est vraiment grisant !!
Attention à ne pas trop lâcher la machine !! je passe un peu plus vite que prévu sur les premiers points de contrôle mais rien de très flagrant ! Au refuge Deffeyes (km 20), je retrouve Marina, c’est le début de la chasse-poursuite !
1ère base de vie : Valgrisenche, km 50, 19h40.
20’ de pause pour avaler un bol de soupe et de pâtes, se changer pour la nuit et repartir sous une petite pluie fine. Je discute avec Marina pour tromper l’ennui des km sur le bitume… La nuit s’annonce bien… J’enchaîne 2 gros cols la Fenêtre (2800m) et l’Entrelor (3000 m) sans difficulté ! l’an dernier, à ce niveau de la course, il neigeait, je pensais devoir abandonner tellement j’étais gelée !! là aucune raison de renoncer !! Il est plus de 3h du mat au ravito d’Eaux-Rousses, je n’ai pas sommeil mais je me force à me poser 30’’. Le Dr Montémayor m’a recommandé de faire des pauses de 1h30 par nuit !! alors je coupe la poire en deux : je m’arrête mais simplement 30’’ !!
En fait j’ai beau réciter mes « mantras » pour m’endormir, il ne se passe rien !!! Mais je ne m’énerve pas, je me relâche au maximum, j’emmagasine un max d’énergie positive !! et je repars reboostée à l’assaut du Loson, le point culminant de la course : 3300 m. Mais que la route est longue pour l’atteindre : plus de 15km de marche d’approche où l’on ne prend quasiment pas de déniv… c’est juste hyper raide sur les 300 derniers mètres… Enfin, le jour se lève, j’éteins ma frontale juste avant le col… c’est magnifique… c’est aussi pour ces moments là que je cours !!! J’en profite mais je bascule aussi sec de l’autre côté de la vallée pour filer vers Cogne, 2e base de vie.
2e base de vie, Cogne, km 106, 10h05.
Je « plante » un peu mon team, j’arrive avant eux à la douche mais rien de grave, on se retrouve, je sors une petite tenue short-tee-shirt légère pour la 2e journée et je repars quelques minutes devant Marina pour cette 3e étape. Au programme : un seul col à franchir mais une très très très longue descente de près de 30 km vers Donnas !!!
L’an dernier la chaleur m’avait un peu séchée, là ça va, je trottine toujours mais, comme sur le Loson, la marche d’approche traîne en longueur avant d’attaquer réellement le col… c’est parfois rude de relancer, de se mettre un coup de pied aux fesses quand t’es tout seul dans cette immensité ! La guéguerre 4K-TOR a laissé quelques traces et par exemple le refuge de « Sogno » n’offre plus de ravito !!! Je ne m’affole pas trop mes poches sont encore bien pleines, mais ça va faire super long pour certains… Le refuge de Dondenna est donc très bienvenu, l’ambiance y est adorable !! un bol de pâtes au bouillon (c’est vraiment mon carburant salé majoritaire !!) et c’est parti pour rejoindre Donnas.
De temps en temps, je retrouve Steeve et Gaël, 2 Suisses super sympas avec qui je peux échanger quelques mots !! ils vont pus vite que moi mais ils s’arrêtent plus longtemps que moi sur les ravitos !! ça compense !! Alors, on se retrouve, ça coupe bien la monotonie !! Certains coureurs détestent le bitume… ils vont être assez malheureux au sortir de la forêt car il reste pas mal de km de faux plat plutôt descendant avant d’atteindre Donnas… Perso, je suis un peu énervée, ça commence à tirer, les pieds chauffent, j’ai les jambes en béton… On finit le premier ultra quoi !! Mais j’arrive en trottinant à la base de vie à 20h.
3e base de vie, Donnas, km 151, 20h.
Il est trop tôt pour dormir, mais tant pis, je suis mon prévisionnel : une douche et je me couche cette fois 1h. Exercices de respiration, je me calme, évacue les tensions, refais le plein d’énergie et d’images positives… mais je ne dors pas… on verra plus tard !! Je repars avec 30’ de retard sur Marina mais je suis en super forme !! La course commence vraiment maintenant !!
C’est vraiment particulier : tu viens de faire un ultra, t’as l’impression d’être rincée en arrivant, d’avoir mal partout et en fait quand tu repars, c’est quasiment comme si rien n’avait eu lieu ! Tu repars à zéro : les muscles sont relâchés, le corps s’adapte, j’ai moins faim aussi (je pense que la lipolyse fonctionne à bloc !!). Mais certains ne sont pas vraiment dans cet état !! au bout de 2 jours de course, les lignes explosent !!! Pour l’Espagnole Silvia Ainhoa, partie à fond et même devant Lisa Borzani, c’est le début d’une longue glissade, elle va payer cher son départ fulgurant !!
Je me régale vraiment sur cette 2e nuit : je rattrape Marina à Sassas, on arrive ensemble au ravito et elle s’arrête pour dormir… ok moi je trace vers le beau refuge de Coda, 900 m au-dessus… Le froid et le vent de la nuit me tiennent bien éveillée ! Ensuite, je déroule sans trop me soucier du déniv, ça monte, ça descend, le tracé est un peu modifié mais je ne me crispe pas… et le jour se lève encore cette fois sur le superbe nouveau refuge de la Balme. Les gardiens sont aux petits soins : un bol de pâtes et 15’ au calme pour une pause à l’horizontale !! Je ronfle (c’est laid mais qu’est ce que c’est bon !!) quelques minutes et je repars !!
Sur cette 2e partie d’étape, il n’y a pas de gros sommets à passer mais quelques belles fenêtres bien techniques, de grosses marches caillouteuses en montée et en descente (c’est rude pour mes courtes jambes !!), le parcours est superbe mais ardu… La température monte d’un cran, il faut rester dedans, je retrouve Steeve et Gaël, les ravitos en pleine montagne sont géniaux même si c’est trop tôt pour la polenta !! dommage !!
L’an dernier j’avais eu du mal à rejoindre Niel, là ça va pas trop mal… mais derrière le col de Lasoney, nous attend une encore superbe mais très longue descente vers Gressoney… Le début est large, tout en herbe, c’est génial pour les jambes mais ensuite, ça se gâte, du caillou et du bitume pour rejoindre la 4e base de vie… J’ai du mal à boucler cette étape… mais heureusement famille et amis sont là, au bord du chemin et derrière leurs ordinateurs à m’envoyer toutes leurs ondes positives !! ça booste !!
4e base de vie, Gressoney, km 205, 16h.
Je m’accorde une heure de pause avant de repartir de jour vers le col Pinter (en 2015, j’étais de nuit et c’est tout de suite moins évident !!). C’est long mais je me régale un bon moment avec le spectacle d’un troupeau de gros bouquetins (non, je vérifie bien, mais ce n’est pas une hallucination !!). Il n’y a pas de grosses difficultés sur cette étape, juste il fait assez froid, les descentes sont longues mais peu techniques…
J’enchaîne de ravito en ravito… je suis très souvent seule dans cette superbe nuit avec juste les étoiles (et même une filante, le vœu était évident !!) et la lune quasi pleine… c’est magnifique… Mon team est bien réveillé pour m’accueillir à 3h45 à Valtournenche, c’est rude pour eux !!
5e base de vie, Valtournenche, km 239, 3h45.
En arrivant, je croise Nahu, le sympathique et performant Ariégeois rencontré au départ… mais lui aussi il paie assez cher son départ en flèche… J’espère qu’il va s’accrocher pour finir… De mon côté, toujours fidèle à mon plan, je me couche et je commence à trouver plus rapidement le sommeil !! L’an dernier, j’étais repartie très fatiguée, l’étape avait été très compliquée, très hallucinée !! cette fois, j’ai tout fait pour éviter cette situation, j’espère que ça va tenir !!
J’ai toujours Marina bien arrimée à mes basques mais je récupère très vite Silvia l’Espagnole, un peu en perdition… J’ai mal pour elle… Cette année, je profite des paysages somptueux, ça monte, ça descend, je me perds un peu dans mes fiches, dans mes calculs de temps de passage, on subit quelques modifications de parcours… mais rien à voir avec l’an dernier !! je suis super lucide !
Je retrouve mon team à Oyace, j’essaie de me poser mais c’est vraiment trop bruyant, tant pis, je repars de jour, prête à affronter le mauvais temps qui s’annonce. En 2015, sur ce col, j’étais tellement hallucinée que j’avais appelé mon ami pour savoir où était le chemin, je confondais les étoiles et les balises !! du grand n’importe quoi !! Là, je ne vais pas super vite mais j’avance sans tituber ! Juste, on prend la pluie, le vent au sommet mais ça fouette et ça réveille !! Ollomont en vue !! Yess !! l’an dernier la course s’était arrêtée dans ce petit village… cette année, pas question d’en rester là, il reste un tronçon, je vais finir !!
6e base de vie, Ollomont, km287, 22h20.
Là je dors vraiment une heure de bon sommeil !! C’est risqué car Martina ne s’arrête pas autant, je repars avec juste 20’ d’avance ! c’est la « guerre » !! on va voir qui a raison !! Je me mets la pression et fonce vers le refuge de Champillon mais Marina aussi ! Je vais devoir attendre un peu avant de la décrocher… je creuse l’écart à Saint Rhémy mais ce n’est pas fini… La météo s’est vraiment détériorée.. J’arrive gelée et assez trempée eu refuge de Frassati, juste avant le dernier col du Malatra : coulée de boue, neige fondue, montagnes toutes blanches juste au-dessus… là je me dis que la course va être neutralisée… et ben non.. un Chinois repart juste devant moi… « ok, c’est pas fini, bouge toi ma vieille faut repartir !! ».
Je me déshabille, heureusement j’ai pas mal de vêtements secs de change dans mon gros sac, j’engloutis 2 bols de pâtes, les gardiens du refuge sont adorables et me poussent dehors !! Heureusement la neige a cessé, c’est juste tout blanc, magnifique… je passe le Malatra, 2900 m, dernier col du périple… Va suivre un assez long passage assez à vide : pas de couverture réseau, pas d’info sur la concurrence devant, derrière, je n’ai pas de repère car c’est un nouveau bout de parcours…
je flotte un peu donc jusqu’à ce que je reconnaisse le petit pont de bois sur le chemin « classique » entre Bonatti et Bertone !! OK, je sais où j’en suis !! je me ressaisis et là coup de boost : et si Marina était juste derrière… c’est vraiment pas possible !! Qu’elle me double dans les dernières longueurs serait vraiment très douloureux… alors je pose le cerveau, les douleurs, les questions et je relance un max !! Je pointe à Bertone, décline l’invitation à m’arrêter et fonce vers courmayeur !! il paraît que je vais faire le 2e temps le plus rapide sur ce tronçon !!
Ca fait 4 jours que je rêve de franchir cette ligne d’arrivée…
J’essaie de joindre au téléphone mon amoureux pour partager ce moment d’émotion mais ça répond pas… dommage… mais faut vraiment que j’y aille !! Et voilà, je l’ai fait !! je relâche la pression, des larmes, des sourires… 100 h d’effort pour ces quelques minutes d’émotion, c’est grandiose !! Je profite de ces moments de lumière : une petite valse improvisée, une signature sur l’affiche officielle et puis voilà… C’est fait, c’est bouclé, je suis super ravie du résultat et de la manière dont j’ai géré la course.
J’avais peur de moins bien réussir que l’an dernier, c’était un peu le risque et en fait tout c’est encore mieux déroulé !! En course je recherche le « flow », c’est un concept un peu utopiste, un peu anglo-saxon… mais vraiment il me correspond… En lisant des textes, je suis tombée sur la description de ce fameux « flow » et là je me suis vraiment dit, « ah oui, c’est pour ça que tu cours » !! et bien là, sur cette course, je l’ai atteint cet « état de grâce » personnel, où l’on a la sensation que tout roule, que tout est sous contrôle, que rien de peut vous arriver… et c’est pas souvent !! »
>> informations et résultats : TOR DES GÉANTS 2016
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